Député Undp du département du Mayo-Louti dans la région du Nord, engagée en politique depuis les années 90, Douvaouissa Aissa Hamadi nous replonge dans les grands débats de la récente session parlementaire. Dans cet entretien exclusif accordé à La Voix Du Koat, la présidente de la Commission des Affaires sociales et culturelles à l’Assemblée nationale revient aussi sur la difficile situation de la protection de l’enfance dans le Grand-Nord, la perversité de la société camerounaise…
LVDK : Vous sortez de la pleine session parlementaire de juin 2021. Quel sujet ou débat vous a le plus captivé, et pourquoi ?
La session parlementaire qui a commencé le 8 juin et s’est achevée le 7 juillet était très dense, avec beaucoup de thématiques, avec les ratifications des projets, des lois votées. La thématique sur la problématique de l’eau et l’électricité, le foncier avec la diaspora et la problématique de l’approche genre m’ont intéressée. Mais le sujet en rapport à l’eau, l’électricité et le foncier m’a le plus captivée parce que ce sont des éléments très poignants avec tout ce que nous connaissons au niveau de nos bases, les ressentis des populations du fait qu’elles ne sont pas desservies en électricité, en eau à temps. Vous savez qu’avec l’avènement de la Covid 19, tout est à plat. Ça en est trop pour nos populations. Vous êtes sans ignorer que d’où je viens, la population est en majorité dans les petits métiers. Les petits métiers nécessitent de l’énergie. Quand il n’y en a pas, imaginez comment va faire un coiffeur, un vendeur de glace, un restaurant… Déjà qu’avec la pandémie, ils fonctionnent à mi-temps. Vous comprenez pourquoi les débats sur ces problématiques m’ont beaucoup captivée.
LVDK : Comment s’est déroulé le Débat d’orientation budgétaire (Dob), qui était l’un des principaux enjeux de cette session?
Tout à fait. Le Débat de l’orientation budgétaire est venu tout couronner parce que c’est pendant cette période que nous devons tout savoir sur ce que compte faire le gouvernement en ce qui concerne le budget de l’année suivante. Et pour préparer le budget, il faut qu’il y ait un socle, et le socle c’est le Débat de l’orientation budgétaire. Il est question de savoir comment orienter notre budget, qu’est-ce qui est important pour que nous attenions les objectifs que le gouvernement s’est fixé. Pendant ce débat, l’accent a été mis sur la lutte contre la pandémie de la covid19, la préparation de la Can qui tient à cœur de tous les Camerounais et aussi relever le défi du développement de tous les secteurs touchés par la pandémie. Nous pensons que si ce socle est respecté, matérialisant cela par le budget, nous allons arriver à un meilleur développement en 2035. N’oublions pas que l’accent a aussi été mis sur les régions avec l’implémentation de la décentralisation.
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LVDK : Les parlementaires avaient reproché au Minfi l’année dernière de n’avoir pas tenu compte du Dob pour l’élaboration de la loi de Finances 2021. Peut-on penser que les choses soient différentes cette fois-ci ?
On ne peut pas dire qu’il n’a pas tenu compte totalement du Dob. Nous lui avons reproché pour un certain nombre de points, portant surtout sur la décentralisation où nous voulions que le quota qui leur est dû soit vraiment effectif mais ça n’a pas été le cas. Il nous a été dit qu’il faudrait que les textes d’application soient là pour que nous puissions arriver à bout. Cette fois, nous comptons sur la bonne foi du gouvernement pour le respect du Dob.
LVDK : L’autre sujet à l’ordre du jour c’était la protection de l’Enfance au Cameroun. Quel est l’état des lieux de l’enfance dans le Grand-Nord et spécifiquement dans la région du Nord ?
La protection de l’enfance n’est pas chose facile encore moins chose donnée. La plus simple chose qui est déjà l’existence de l’enfant est très compliquée dans le Grand-Nord. Pour qu’on établisse un acte de naissance à un enfant, c’est un labyrinthe, entre les parents, l’administration, la commune… La maman qui accouche estime qu’elle a fait son travail d’accoucher et que si le père veut, il fait l’acte de naissance. Quand l’enfant va à l’école, il a des problèmes parce que son père n’a pas établi son acte. Des fois, quand bien même l’enfant est né dans un ménage, il n’est pas reconnu par le père.
Le père qui est allé à la mairie établir l’acte de naissance de son enfant n’inscrit pas son propre nom parce qu’il trouve que les documents comme sa carte d’identité qu’on va lui demander sont des tracasseries. Dans mon cabinet, j’ai plus de 2000 demandes d’établissement d’acte de naissance. J’ai dû arrêter, question de satisfaire d’abord ces deux milles demandes. Vous imaginez que pour un seul arrondissement on est à ce stade, combien de fois dans le département ?
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Moi je dis que la protection de l’enfance commence par l’établissement d’acte de naissance parce qu’il faudrait que l’enfant existe pour le protéger. Sans acte de naissance il existe où ? On l’a recensé où ? Ils sont tous dans la rue avec la drogue, le tramadol. Il parait que le tramadol est devenu cher. Avant avec 100Fcfa c’était quatre comprimés, maintenant il faut 1000Fcfa pour un comprimé. Du coup, ils fument de l’essence. C’est un travail que le ministère des Affaires sociales doit prendre à bras le corps pour veiller vraiment à la protection de ces enfants qui n’ont pas demandé à naître. Et tout passe par leur existence. C’est leur droit.
LVDK : Niveau recensement, on ne peut donc pas être affirmatif sur la population du Grand-Nord ?
Mais bien sûr. Qui les a recensés ? Déjà que plusieurs n’accouchent pas dans les centres hospitaliers. Rare sont ceux qui vont dans les centres hospitaliers. Il y a le chèque santé au Nord. On paie 6000Fcfa pour avoir les soins durant toute la grossesse c’est-à-dire jusqu’à la césarienne. Mais les gens trouvent que c’est énorme. On va aussi prescrire des examens à la future maman, parmi lesquels le Sida. Et qui a envie de savoir qu’il a le Sida ? Du coup ils accouchent dans les maisons. C’est difficile d’estimer la population du Nord. C’est un problème même général au Cameroun.
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LVDK : La problématique de la protection de l’enfance est plus que jamais au goût du jour, du fait des vidéos pornographiques, les sextapes, les partouzes et autres déviances qui infestent la société et par là, les enfants. Quelle analyse la femme, mère et député que vous êtes fait de cette situation ?
Les parents sont devenus analphabètes. Un enfant de trois ans manipule un téléphone que sa mère n’arrive pas à déverrouiller. On doit réapprendre à éduquer les enfants. Aujourd’hui on dit qu’on ne bat plus sur l’enfant ; on laisse le téléphone n’importe où ; quand l’enfant pleure parce qu’il réclame le téléphone, on lui donne directement. L’enfant regarde les jeux, les vidéos, puis il tombe sur une image ou une vidéo interdite et le mal est fait. Les parents n’encadrent plus les enfants. Ils sont assis au salon, mais personne ne parle à l’autre. Chacun est sur son téléphone. L’enfant sait que c’est l’outil qui est en train de l’encadrer. Donc il s’éduque avec le téléphone, il choisit ce qui lui plait. On n’arrive plus à inculquer les bonnes mœurs à nos enfants. Tout le monde est devenu pervers, même les adultes. La perversité est carrément devenue un droit. On accuse les télés mais qu’est-ce que nous-même parents faisons ? Les parents devraient faire une rétrospective, se demander comment ils ont fait pour arriver où ils sont et ce qu’ils doivent faire pour que leur enfant soit meilleur. Je me rappelle quand j’avais eu mon Probatoire. J’étais en vacances à Douala. J’avais appelé mon père pour lui dire que j’ai trouvé du travail dans le secteur pétrolier. Pour moi, le Probatoire était le sommet. Mais mon père m’a dit : «Je n’ai pas fait l’école, toi tu vas faire l’école. J’ai travaillé sans niveau, toi tu travailleras avec des diplômes. Tu vas aller de l’avant.» Il est venu me prendre à Douala pour me ramener au Nord. Ça veut dire qu’il ne voulait pas que je sois confrontée aux mêmes difficultés que lui. Pourquoi nous autres ne pouvons pas marquer une pause et nous dire que notre enfant sera mieux que nous ? C’est à partir de là qu’on saura comment canaliser les enfants pour les mettre sur le droit chemin. Aujourd’hui on entend plutôt les parents dire qu’ «on ne doit pas gronder mon bébé ; ne touchez pas à mon bébé ; vous ne l’avez pas accouché ; j’ai trop souffert pour l’avoir…». Après on se met à pleurer devant les conséquences de nos actes.
LVDK : Justement Honorable, voilà une problématique cruciale, pourtant on n’a pas l’impression qu’elle intéresse ou émeuve les parlementaires…
Au contraire. Nous en débattons dans nos réseaux parlementaires. C’est pour cette raison que lors de la journée de l’enfant africain, nous en avons parlé. Le 8 juillet encore, les femmes se sont réunies pour en parler. Je suis la présidente de la Commission des Affaires sociales et culturelles à l’Assemblée nationale. En novembre, avec le ministère des Affaires sociales, nous allons encore en débattre pour comprendre ce qui se passe, parce que ça devient comme de l’amusement. Ces images indécentes sont là et les gens sont contents de les partager. Pour la session de novembre, cette problématique sera le premier sujet que la Commission des Affaires sociales et culturelles va aborder avec le ministère des Affaires sociales et celui de la Promotion de la femme et de la famille, et la société civile. Il faut voir les recommandations à apporter pour que par la suite elles deviennent des lois.
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LVDK : Des Ong et associations militent au Cameroun pour une meilleure parité. Qu’est-ce que ça vous fait, à la femme que vous êtes, qui vous retrouvez dans une si grande sphère de décision qu’est l’Assemblée nationale ?
Je ne suis pas trop féministe. Je dis que nous devons nous battre pour nous frayer notre chemin. N’attendons pas qu’on nous le donne. Le pouvoir s’arrache. Tant que tu ne l’arraches pas, tu n’auras rien. C’est vrai qu’il y a certaines femmes qu’on appelle pour combler les listes électorales pour les besoins d’usage. Dans ces conditions, on fait de toi ce qu’on veut. Par contre quand tu insistes toi-même pour être dans une liste, les hommes savent qu’ils doivent être prudents. Pour arriver à la parité, je veux que nous osions, que nous prenions notre destin en main. Ce n’est pas à quelqu’un d’autre de décider de qui nous allons être. En 2019 quand j’ai commencé la sensibilisation des femmes pour qu’elles soient candidates, d’aucuns m’ont appelée. Ils me disaient que je veux qu’elles soient candidates au risque de me battre. Effectivement je veux que les femmes soient nombreuses dans les listes. Ce n’est pas parce que je suis député que je vais jouer à l’égoïste et fermer la voie aux autres femmes. Nous devons être partout comme les hommes. Il y a des hommes qui ne savent rien de la politique, qui deviennent politicien par nomination, parce qu’ils ont eu un poste de responsabilité. Vous le voyez silencieux comme une tombe au meeting, parce que ce qu’il défend dorénavant c’est son poste. Il vote pour simplement garantir son poste, il ne comprend rien au fonctionnement de son parti.
LVDK : Vous avez été Pleg, délégué régional des Pme du Nord, conseillère municipale, député de la nation aujourd’hui…étiez-vous prédisposée à une telle carrière politique ?
Quand on entre en politique, le couronnement c’est d’être élu. Vous pouvez être nommé mais tant que le peuple ne vous a pas plébiscité, vous n’avez pas encore fini. Je suis entrée en politique quand j’étais encore sur les bancs, à l’université. J’ai commencé dans les années 90 avec l’avènement de la démocratie. Je suis entrée avec l’Undp et j’y suis jusqu’à ce jour. Je n’étais pas encore Pleg. Je ne savais même pas que j’allais le devenir puisque j’avais fait d’autres concours sans succès. C’est le concours de l’Enset que j’avais eu. J’étais dans l’administration mais je continuais avec la politique. Pour moi, prédestinée à cette carrière, peut-être, parce que depuis ma jeune enfance j’ai toujours été au service des autres. J’aimais écouter les autres, défendre leurs causes. C’est ma nature et je me suis dit que ce serait encore mieux de le faire si j’entre en politique.
Je ne trouvais pas très bien mon couloir dans les associations mais en politique, j’ai su que je pourrai apporter ma participation au développement économique et social du Cameroun. Dieu merci j’y suis arrivée. Je me rappelle qu’étant délégué en 2007, quand je dépose ma candidature, certains collègues ont tout fait pour me dissuader en me disant qu’un député ne gagne rien, qu’il est très pauvre. Je leur ai dit que je connais le salaire d’un député, j’ai eu des oncles députés, mais je serai candidate et je verrai si je passerai. Au premier coup je n’ai pas été élue. J’étais quatrième sur la liste. Il y a eu partage des voix, les deux premiers de la liste sont passés, les deux autres ont été recalés. C’est à la deuxième tentative, en 2013 que j’ai été élue député. Mais avant 2013, j’ai aussi été candidate comme conseiller municipal, 1er adjoint au maire. J’ai même été candidate à la mairie mais les hommes m’ont battue. C’était de bonne guerre mais à la mandature suivante, j’ai été élue député.
LVDK : Honorable parlez-nous de l’expérience de votre 1ère mandature, de 2013 à 2020…
Quand je suis arrivée à l’Assemblée, il fallait d’abord observer. J’ai observé et j’ai commencé à m’intégrer, à comprendre les rouages, parce que c’était une autre école. Vous savez que je sors de l’administration. On avait les ordres du ministre, mais maintenant il y a d’autres paramètres relatifs à moi-même, à l’Assemblée et ses rouages, comment tenir la population et comment tenir ma famille, encadrer mes enfants car pendant la session, je passe un mois loin de chez moi. Je me suis intégrée. Au deuxième mandat je suis montée d’un cran avec un poste de responsabilité. Je suis même presque épanouie aujourd’hui quand j’analyse. Je m’épanouie parce qu’au sein de ma commission je dois remuer mes méninges pour atteindre mes objectifs.
Entretien réalisé avec Valgadine TONGA