La ville de Douala, capitale économique du Cameroun, et par-delà tout le pays est traversée depuis vendredi 29 mars 2019, par un vent de stupeur et de consternation, suite à la mort d’un élève du Lycée Bilingue de Deïdo dans l’arrondissement de Douala Ier. L’élève a été poignardé par son camarade au cours d’une dispute. En dehors de la ville de Douala, une journaliste raconte qu’en reportage dans un lycée à Kribi dans la même journée, elle est tombée sur une scène qui aurait aussi fini en bain de sang si un enseignant n’était pas intervenu à temps. Un élève avait décidé de se venger le jour de la remise des bulletins d’un affront qu’il essayait de contenir depuis longtemps, aidé dans la besogne par d’autres camarades, face à un accusé qui ne voulait pas se laisser faire et avait aussi des alliées. L’intervention de l’enseignant a permis de récupérer entre les mains des acteurs, couteaux et tire bouchons, toutes des armes dont ils devaient se servir dans la bataille. Et ces cas ne sont pas isolés. Les cas de viols et autres types de violences entre élèves sont désormais relevés au quotidien dans les établissements scolaires.
Au départ un espace de sécurité…
L’école est pourtant un espace de sécurité à priori, c’est pourquoi tout parent pense d’abord à la sécurité des enfants dès le premier moment où il les envoie à l’école. Dans quel quartier est situé l’établissement, l’enceinte est-il entouré, quelles mesures disciplinaires sont applicables et appliquées ? se demandent-ils toujours. L’enfant est par ailleurs envoyé à l’école pour éviter qu’il ne devienne un délinquant comme il est dit naturellement, mais progressivement, cet espace est en train de devenir un lieu où on rencontre le bandit si on ne le devient pas là-bas.
Qu’est ce qui se passe dans nos écoles ? Les autorités sont en ce moment en train de se poser la question. Mais la réponse, elles l’ont depuis longtemps. Ce qui se passe, est simplement la résultante de toutes les conditions réunies pour que la société entière devienne un no mans land. Entrer dans l’enceinte scolaire avec une arme blanche, se disputer, faire des deals, se venger, poignarder un camarade…toutes sont autant de violations des règles disciplinaires, éthiques et morales, qui doivent être jugées et punies comme telles.
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Devenu un espace de reproduction des contre valeurs
Mais quelle règle veut-on que l’élève observe à l’école, quand il n’y est à l’heure que parce qu’il a emprunté une moto qui les a pris à trois, a violé tous les feux de circulation et roulé à contre sens pour arriver ? Il a bien noté qu’il n’est arrivé à temps que grâce à un ensemble de violations de règles. Quel comportement éthique veut-on qu’un élève adopte à l’école, quand il apprend tous les jours que les ministres, symbole de la réussite sociale, sont en prison parce qu’ils ont détourné des deniers publics ? même les recteur d’université, symbole de la connaissance ? Quelle morale veut-on qu’ils retiennent quand ils apprennent qu’ils ont manqué de vivre la Coupe d’Afrique des nations parce que des personnes chargées de construire les infrastructures pour accueillir cette fête continentale de football qu’ils aiment tant, ont tout surfacturé, n’ont pas été capables de livrer les chantiers à temps, et ne sont pas inquiétés ?
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Quelle éducation veut-on qu’il garde à l’école, quand à la maison, la télévision qui a remplacé les parents, propose à longueur de journée et de programmes, des séries télévisées qui font l’apologie de la violence, de la délinquance ? Des téléfilms dans lesquelles on voit des jeunes user de la force, de la fourberie pour obtenir ce qu’ils veulent et rallient dans le même temps leurs amis ? Des jeunes qui s’offrent tout par la violence, fument, tuent, blessent, insultent, et ont des paroles obscènes comme principales composantes du langage ? Et qui par-dessus tout obtiennent des prix de meilleurs acteurs au cours des compétitions parrainées par les autorités ? Pourquoi un élève ne serait pas violent, quand il entend son père ou sa mère menacer son enseignant parce qu’il ose lui appliquer une discipline en récupérant son téléphone ?
Tous coupables
Les responsabilités à établir au niveau des établissements scolaire ou hospitalier pour le dernier cas, ne sont que de surface, qu’il ne faudra pas dégager et croire le problème résolu. Car au bout tous sont coupables. La préfectorale garante de l’ordre dans la ville, qui laisse prospérer le phénomène des enfants de la rue, qui écument les dessous des ponts et des échangeurs, les cimetières, les devantures des supermarchés et surtout les clôtures des établissements scolaires. Coupables, toutes les autorités administratives, municipales et policières de la ville qui savent que la drogue circule dans ces milieux particulièrement prisés par les jeunes, qui peuvent être des élèves simplement habillés en civil. Coupables aussi, l’administration douanière qui laisse passer les drogues sur toutes les formes aux frontières ; l’administration scolaire qui n’arrive pas à maîtriser l’effectif dans les classes, ce qui éviterait la promiscuité et limiterait les comportements et les habitudes violents pour protéger sa place. Et pour finir, c’est toute la politique éducative au niveau national qui est mise en cause. Le décès du jeune élève du Lycée de Deïdo n’est en réalité que l’arbre qui cache la forêt, la face visible d’un iceberg.
La douleur est profonde de perdre un enfant à la fleur de l’âge, et les mots ne seront jamais suffisants pour exprimer la compassion à la famille, à la communauté éducative, à la jeunesse et au pays entier. Au lieu de vouloir trouver des solutions de surface comme cela risque d’être le cas, il est important de reconnaitre d’abord que la jeunesse n’est que le produit de la société dans laquelle elle évolue, ensuite que la violence à l’école n’est que la reproduction d’une violence qui sévit de nos jours dans la société camerounaise, et enfin que les enfants copient plus qu’ils n’obéissent.
Roland TSAPI