Après l’Afrique qui pleurait depuis samedi dernier l’un de ses dignes fils Kofi Atta Annan connu pour son engagement pour la paix dans le monde, c’est le Cameroun qui rend hommage depuis jeudi 23 août à l’un de ses fils le plus populaire, mais le plus discret en même temps, Joseph Kadji Defosso.

Le père de Kadji Beer a définitivement déposé sa capsule aux premières heures du 23 août 2018 en Afrique du Sud, après s’être battu contre la maladie pendant au moins dix ans. La dernière fois où l’on l’a vu publiquement c’était encore sur une chaise roulante le 20 mai 2018, quand le gouverneur de la Région du Littoral, Dieudonné Ivaha Diboua s’est déplacé pour aller à son domicile lui attribuer sa dernière distinction officielle, la médaille de Commandeur de l’ordre national de la valeur, une reconnaissance de l’Etat de son apport dans la construction de l’économie.
L’homme s’en va à 95 ans. Né vers 1923 dans la région de l’Ouest Cameroun, Joseph Kadji est issu de la grande famille Defosso de Bana. Il fait partie de ces milliers de jeunes camerounais de l’époque qui ont su prendre leur destin en main alors que les portes de l’école occidentale leur étaient fermées d’une manière ou d’une autre. Il fait partie de ceux qui ont su frayer leur chemin et s’imposer dans le monde des affaires, sans avoir fait les grandes écoles de gestion. Il fait partie de ceux des patriarches camerounais qui ont bâti le sentier du succès en s’appuyant sur ses propres ressources et en restant encré dans sa culture, au moment où l’école du Blanc était présenté comme étant la seule voie vers la réussite. On lui connaissait déjà dès le bas âge la fibre de l’homme d’affaires. Il le confirma à l’âge de 40, en posant l’un de ses actes de bravoures. Dans un contexte où le Blanc était encore considéré comme le seul « qualifié » et « habileté » à monter une industrie au Cameroun, il créé l’Union Camerounaise des Brasseries. A ce jour, l’Ucb emploi au moins 1000 Camerounais, et a permis de mettre sur pied 7 autres grandes entreprises dont l’ensemble constitue le groupe Kadji, présent dans les assurances, l’hôtellerie, la minoterie, le transit, le transport maritime, le sport, la distribution…
L’homme d’affaires face à l’adversité

Le chemin de l’homme n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, loin de là. Son succès lui a au long de sa vie attiré des amis, et aussi des ennemis. Mais avec l’Union Camerounaise des brasseries, il a su encaisser des coups, résister à l’adversité et rester concentré sur son objectif. C’est à ce prix que cette entreprise s’est définitivement imposée dans le secteur brassicole au Cameroun et occupe aujourd’hui une place de choix, qui fait la fierté des milliers de Camerounais. Dans les années 90, quand souffle sur le pays le vent de la démocratie et du multipartisme, il afficha sa sympathie pour l’opposition, en pleine expansion. Le pouvoir de Yaoundé ne digéra pas cette liberté de choisir son camp, et déclencha contre lui le rouleau compresseur. Des scellés furent posés sur les portes de l’usine par l’administration fiscale, officiellement pour non-paiement des impôts.
Toujours avec l’Ucb, Kadji Defosso est aussi cité parmi les hommes d’affaires qui ont cru au patriotisme économique, il a su résister à l’invasion et aux multiples tentatives d’absorptions de son entreprise. Là où la bière mutzig brassée par le groupe Fotso a été absorbée par la Sabc, là où Isenbeck a été racheté facilement à la Siac, l’Union Camerounaise des brasseries a longtemps plié, mais n’a jamais rompu. Aujourd’hui les Camerounais sont encore fièrs de la seule bière du pays produite par l’Ucb. Les fans du sport connaissent aussi la Kadji Sport Academy, ce centre de formation situé à la sortie ouest de la ville de Douala, qui a vu passer les stars du football camerounais parmi lesquels on peut compter celui qui est encore le meilleur buteur des Lions Indomptables de tous les temps, Samuel Eto’o Fils.
Honneur à l’homme

Du sport au social il n’y a qu’un pas, que l’homme d’affaires a vite franchi de sa longue vie. Une imposante église bâtie dans son village à Bana, où il a également construit de ses fonds l’un des plus luxueux hôtels de ville évaluée à 800 millions de Fcfa et généreusement rétrocédé à l’Etat. Sur le chemin des honneurs, il a été depuis 2002 maire de Bana, avant d’être contraint par l’âge d’abandonner. Ses prouesses lui ont également valu des honneurs sur le double plan traditionnel et national, avec la dernière distinction de Commandeur de l’ordre national de la valeur qui est venue le trouver chez lui le 20 mai dernier.
Sur le plan humain, l’homme aura aussi été l’exemple d’humilité, sans que cela n’enlève rien à sa valeur. D’après des témoignages, sa première maison construite à Douala au lieu-dit New Bell source du quartier, face église évangélique, une sobre villa, garde toujours la même architecture. Ce que d’autres auraient déjà détruit et remplacé par une maison imposante, il l’a gardée comme un monument, surtout pour ne pas oublier d’où il vient. D’après les biographes de Joseph Kadji Defosso, il a tenu à laisser le message suivant aux jeunes générations : « Rien ne s’acquiert en un jour. Evitez les pièges de la facilité. Ayez de la vision. Osez prendre votre destin en main.»
Roland TSAPI