Le phénomène de moto taxi est devenu au Cameroun plus qu’une mode, un mode de vie. Introduit dans la ville de Douala vers les années 90 à la faveur des opérations villes mortes, qui rentraient dans le cadre des revendications politiques, le transport par moto a progressivement gagné du terrain. Comme toute activité économique, il génère des gains d’une manière ou d’une autre, de la fabrication jusqu’au client qui en est le consommateur final. Mais de quel gain s’agit-il et à qui il profite ?
Importation
Toutes les motos en circulation au Cameroun sont importées d’Asie et arrivent dans les caisses. Les mécaniciens se chargent de les assembler dans les ateliers annexes des magasins, avant exposition et vente. En l’absence des chiffres actualisées, l’on peut déjà retenir qu’entre janvier et décembre 2012, le Cameroun a importé des motocycles d’une valeur de 9 milliards 305 millions, et les autres parties et accessoires de motocycles évaluées à 2 656 tonnes pour un montant de près de 2.5 milliards. Le chiffre va grandissant chaque année, et même s’il était constant, il est évident que la masse financière transférée à l’extérieur pour cela est incommensurable. Et pour enrichir qui ? Les usines chinoises qui connaissent un essor particulier depuis que la moto est devenue le moyen de transport prioritaire au Cameroun. Et dire que la Chine n’inonde pas seulement le Cameroun, elle fournit aussi les 6 pays de la sous-région Afrique centrale, pour ne s’en tenir qu’à cette partie du continent. Question simple : qu’est-ce qui empêche les opérateurs économiques de saisir cette occasion de l’invasion des motocycles pour mettre sur pied une ou des usines de fabrication des motos ?
Absence de vision
On remarque déjà là pour le regretter, que le Cameroun, plaque tournante de la sous-région a encore manqué de vision sur ce plan. Pour peu que les dirigeants aient eu pour soucis le développement économique, qu’ils auraient depuis longtemps imposé le transfert technologique en la matière. Il aurait suffi de faciliter l’implantation d’une usine de fabrication de motocycle au Cameroun, même par les Chinois, avec clause d’employer le maximum de main d’œuvre locale, et obligation de procéder au transfert de technologie dans les années qui suivraient.
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De manière certaine, cette usine aurait employé une très grande partie de ces jeunes camerounais qui conduisent les motos justement à longueur de journée. Les pièces détachées de ces engins à deux roues, qui constituent aussi un volume important des importations, ne sont pas fournies uniquement pas la Chine, mais proviennent aussi du Nigéria voisin qui a surement des centaines d’usines de fabrication. Il se pose d’ailleurs constamment le problème du respect des normes par ces pièces, ce qui pouvait être réglé si les produits étaient fabriqués localement. On nous apprend que les pneus sont fabriqués à base du caoutchouc, une matière produite au Cameroun. Et le Cameroun étant devenu avec les motos un très gros consommateur de ces pneus, la logique aurait voulu qu’à ce jour il existe au moins deux usines de production, avec les produits dérivés.
Mais rien. Au mois de décembre 2015, rapporte le site internet investiraucameroun.com, la société KTM avait signé avec le gouvernement camerounais, une convention lui donnant accès aux exonérations prévues dans la loi portant incitation à l’investissement privé au Cameroun. Ces avantages sur une période allant de 5 à 10 ans visaient à faciliter l’entreprise dans le cadre d’un projet de construction d’une unité d’assemblage des tricycles à Douala. Le projet devait coûter 12.6 milliards de Fcfa et permettre de créer environ 630 nouveaux emplois. Difficile de dire si l’unité a déjà vu le jour, même comme c’était juste pour faire de l’assemblage sans rien produire.
Quel profit pour la Cameroun ?
Que profite finalement le Cameroun dans cette affaire de motos qui ont envahi tout son espace ? Un pays sérieux peut-il être inondé par un produit manufacturé pour lequel il ne fabrique même pas une pièce ? Le bienfondé de la prolifération de cet engin devient dès lors questionnable pour la Cameroun, pour trois raisons au moins :
D’abord aucun jeune assis sur cet engin ne peut faire carrière là-dedans, le pourcentage de ceux qui réussissent à faire une épargne et réaliser un investissement est peu visible. Sur le plan social, le comportement des conducteurs de motos dans les rues montre bien qu’ils ont perdu quelque chose, et ne sont plus des êtres humains entiers.
Ensuite la moto est une véritable source ou cause de désordre urbain. L’incapacité de l’autorité municipale à discipliner et mettre de l’ordre dans le secteur, le rend incertain dans les contributions aux recettes communales. La moto est aujourd’hui devenue un véritable casse-tête chinois, et si les autorités en charge de la gestion urbaine avaient trouvé le bouton sur lequel appuyer pour l’éradiquer, elles l’auraient déjà fait depuis longtemps. Enfin, les pertes en vies humaines causées par les motos ne se comptent plus au quotidien. L’hôpital Laquintinie de Douala a même été obligée de créer un pavillon Benskin en son sein, tant les accidentés des motos sont récurrents et effroyables. On ne peut négliger également le rôle que joue la moto dans les agressions, les braquages, les vols à l’arrachée. Elle est ainsi un outil très prisé par les criminels du fait de sa mobilité et sa capacité à se mouvoir même dans des conditions difficiles.
Pendant que d’autres pays s’enrichissent donc dans la fabrication des motos et ses accessoires, le Cameroun lui, refusant de s’arrimer, est ainsi devenu plutôt une poubelle des résidus. Et l’emploi illusoire que donne l’activité de moto taxi à des centaines des milliers des Camerounais, ne devrait pas contenter les gouvernants, car cela ne vaut même pas un simple lot de consolation.
Roland TSAPI