Au regard du code électoral en vigueur, très peu de dossiers de candidature à l’élection présidentielle ont de chance de prospérer. Il y aurait beaucoup de légèreté dans la constitution de ces dossiers, preuve que la fonction présidentielle a été banalisée au Cameroun. Redonner à cette fonction ses lettres de noblesse sera l’une des missions du prochain président de la République.

Le ciel s’éclaircit peu à peu au-dessus de Elections’ Cameroon pour ce qui est du nombre de candidats qui seront en course le 7 octobre. Jusqu’au 19 juillet dernier, l’organe en charge des élections se limitait à recevoir les dossiers de candidature, enregistrer les pièces contenues et délivrer un récépissé de dépôt. Depuis vendredi 20 juillet, le Conseil électoral est réuni pour ouvrir les chemises et voir ce qu’il y a dedans. La première étape consiste à vérifier l’existence même de pièces exigées, en commençant par la lettre de présentation et d’investiture du candidat par un parti politique, comme l’exige l’article 122 du Code électoral. A ce niveau, 22 dossiers sont recevables. Mais être investi par un parti politique ne suffit plus. Cela était encore possible jusqu’en 2011, mais après la dernière élection, la loi électorale a été revue et le législateur y a ajouté une condition supplémentaire : le parti politique qui présente un candidat à l’élection présidentielle doit désormais avoir participé à une élection locale et avoir remporté un siège de conseiller municipal au minimum.
Rejet en bloc
En appliquant à cette restriction, les saisonniers politiques sont dans la trappe. En jetant un coup d’œil sur les dossiers de cette année, on constate que 11 partis au total sur les 22 ne remplissent pas cette condition, et sont d’office éliminés. Pour les 6 candidats qui ont déposé leurs dossiers en indépendant, leur indépendance est en réalité jugée par rapport à un parti politique. Mais dans les faits ils sont dépendants de 300 personnalités sur l’ensemble du territoire, qui doivent présenter sa candidature en apposant chacun sa signature sur le document d’investiture. Là aussi les choses n’auront pas été faciles, et pas un seul candidat n’aurait été en mesure de récolter 10 signatures dans une région, surtout qu’il fallait aller les chercher auprès des députés, des conseillers municipaux ou des chefs traditionnels de 1er degré. Quel député ou conseiller municipal aurait osé laisser le parti qui l’a investi pour donner sa signature à un candidat venu de nulle part ? Au regard de ces deux critères seulement, le panier des dossiers se vide considérablement, ne laissant au fond que 11 chemises en étude. Une liste non officielle de ces 11 retenus circule depuis le 23 juillet, parmi lesquelles madame Habiba Issa de l’Union des Populations du Cameroun, Upc. Cette candidate risque d’être aussi disqualifiée pour défaut de qualité du signataire de sa lettre d’investiture dans le parti.

Le ministre de l’Administration territoriale Atanga Nji, a en effet désigné le député Bapooh Lipot comme seul habilité à agir au nom de l’Upc, dans une note adressée aux gouverneurs des régions. Note vivement contestée certes, mais si le Conseil électoral d’Elecam venait à en tenir compte, Habiba Issa sera obligée d’aller défendre son dossier devant le Conseil constitutionnel. D’autres candidats pourraient également tomber sous le coup du non-paiement de la caution de 30 millions, où sous d’autres conditions. Quand les dossiers auront fini d’être minutieusement examinés dans le fond, l’on pourra aisément se retrouver avec moins de 10 candidats. En plus, les chances d’une coalition entre candidats restent intactes, puisque la loi donne la possibilité de renoncer avant que ne soient imprimés les bulletins de vote.
En définitive, si les candidatures à une élection présidentielle peuvent être rejetées aussi facilement faute de pièces suffisantes, cela interpelle notre conscience par rapport au sérieux qui entoure ce processus. Pourquoi les candidats, qui ne sont pas ignorants de la loi, se seront précipités pour aller déposer les dossiers vides ? Et surtout les candidats indépendants, quelles étaient leurs motivations alors qu’ils se savaient incapables de remplir les conditions minimales?
Banalisation de la fonction présidentielle
L’un d’eux était même le premier à déposer son dossier à Elecam au lendemain de la convocation du corps électoral. Sans doute son nom a été prononcé pour la première fois à la radio à cette occasion. L’effet médiatique serait ce que recherchaient beaucoup d’entre eux, être entendu à la radio et vu à la télévision. D’après des sources proches de certains candidats indépendants, ils voulaient juste étoffer leurs curriculum vitae, et pouvoir désormais marquer sur leurs cartes de visite « ancien candidat à l’élection présidentielle au Cameroun ». Cela ajoutera à de la considération, et pourra ouvrir les portes des affaires quelques part au-delà de l’Océan. Cela nous amène à la question essentielle de la banalisation de la fonction présidentielle au Cameroun. Elle est devenue à la limite un sujet de moquerie, moins qu’un jeu. Avant la convocation du corps électoral, on entendait de partout dans le pays des déclarations d’intention de candidature. Il suffisait même que quelqu’un se dispute avec son épouse pour lui dire qu’il va même être président de la République, qu’il n’est pas n’importe qui.
La légèreté avec laquelle certains dossiers de candidatures ont été finalement déposés à Elecam, montre à suffire que cette fonction a considérablement perdu de sa consistance au Cameroun. La candidature à une élection présidentielle devrait être le couronnement, la consécration de toute une vie au service de la nation, au service de l’intérêt du peuple, et ne plus être comme un objet de satisfaction de la libido primaire. Il est temps de redevenir un peu sérieux dans tous les aspects de la vie de la nation. Et quel que soit le prochain président de la République, rendre à la fonction présidentielle au Cameroun ses lettres de noblesses sera, l’une de ses principales missions.
Roland TSAPI