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Cri silencieux : Gaël Keutchogue peint les blessures invisibles du passé

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Gael Keutch ne peint pas pour plaire mais pour panser. Et chaque ligne est une cicatrice, chaque couleur un souffle arraché à la nuit de l’enfance. À travers une abstraction viscérale, l’artiste camerounais convoque la mémoire blessée et les stigmates d’hier.

Dans son domicile niché au quartier Émana à la périphérie de Yaoundé, à l’écart des circuits artistiques officiels, Gaël forme des lignes comme on se libère d’une époque passéiste. Formé dans les arcanes tumultueux de l’Université de Yaoundé I, cet artiste trace pour se réparer. Exposé au Goethe Institut, à la Fondation Tandem Muna, au Musée des Civilisations de Dschang, il avance à contre-courant, refusant les codes et l’étiquette d’artiste plasticien. « Je suis un passionné pratiquant », affirme-t-il avec une désarmante sincérité.

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Ses œuvres sont des toiles silencieuses, nourries de matières brutes : terre, pigments, poussière d’émotion. Chaque tracé, nerveux ou suspendu, agit comme une parole retenue trop longtemps. « Dans un tracé, je raconte ma journée », confie-t-il. Sa peinture, journal à ciel couvert, parle de l’enfance blessée, des regards qui jugent, de ceux qu’il rend aujourd’hui. La ligne devient parole. Le geste, rituel. Le bleu, omniprésent, n’est pas symbole, mais souffle et respiration de l’âme.

Esthétique de la sincérité

Gaël ne peint pas pour produire. Il peint pour vivre mieux. « L’art me permet d’être quelqu’un de meilleur qu’hier », confie-t-il. Artiste modeste, il rejette toute précipitation et revendique une lenteur salutaire. Son abstraction reste traversée de silhouettes floues pleines de mémoire. Les œuvres invitent à l’introspection : le spectateur n’observe pas, il ressent.

Gaël est un poète libre, tellement il refuse de s’enfermer sur une thématique arrêtée. Cependant, l’humain reste son cœur battant. Relations mère-fils, amitiés silencieuses, blessures d’amour, inégalités sociales sont autant de présences souterraines qui traversent ses toiles. Même dissoutes, les figures habitent l’œuvre. L’artiste ne montre pas, il évoque. Il ne dénonce pas, il expose. Avec pudeur.

Murmure intérieur

Face à un monde saturé d’images et pressé de classer, l’artiste choisit l’authenticité. Il trace une voie rare, sans souci de performance ni d’effet. Il ne cherche pas à séduire, mais à guérir. Il peint comme on prie. Son œuvre, fragile et dense, est un acte de réconciliation avec l’enfant qu’il fut et l’homme qu’il devient.

Dans le silence de ses toiles, une vérité affleure : celle d’un art qui ne veut rien prouver, mais tout ressentir. Un art qui accueille, qui panse, qui relie. Et si Keutchogue refuse les titres, c’est peut-être parce qu’il porte plus qu’un métier : une mission d’âme.

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Keutchogue peint lorsqu’il en ressent la nécessité. « Si je ne ressens rien, je ne travaille pas. » Ainsi, il refuse le cadre rigide de l’artiste discipliné. Il choisit la spontanéité, la sincérité de l’émotion sur la régularité de la technique. Son atelier est un lieu de passage, un sanctuaire de sensations. Il ne programme pas. Il attend que la toile l’appelle. Thématiquement, son art reste ouvert. Il évoque les liens familiaux, les relations amoureuses, les blessures du regard, les luttes sociales, mais toujours avec la liberté de ne pas fixer. « Je suis moi, et je place la liberté et l’émotion au centre. » Ainsi, ses œuvres échappent aux catégories, faisant vibrer et parler ceux qui savent écouter.

Dans une toile dominée par des tons noirs et un enchevêtrement de lignes fines, surgit soudain la forme d’un regard. Il le commente : « Ce sont les regards qu’on a eus sur moi, et ceux que je leur renvoie aujourd’hui. » C’est là toute la force de l’œuvre de Gaël Keutchogue : transformer la blessure en langage, l’humiliation en récit, le silence en forme. L’artiste n’illustre pas le monde. Il l’interroge à partir de lui-même. Il n’est ni figuratif ni abstrait. Il est l’homme-ligne, celui qui trace pour ne pas oublier, à défaut d’exister en dépit de tout. Dans son travail résonne une vérité rare : celle d’un homme qui crée non pour séduire, mais pour se sauver. Et cela, peut-être, est la plus belle définition de l’art véritable.

Cheick Malcolm Radykal EPANDA

 

 

 

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