Discours historique du Colonel Sadio Camara Ministre de la Défense et des Anciens Combattants en Russie, ce vendredi 19 août 2022.
Les enjeux stratégiques en Afrique de l’Ouest et au Sahel dans un monde en mutation : quelle place pour le Mali ?
«Au nom de Son Excellence, Le Colonel Assimi GOÏTA, Président de la Transition, Chef de l’État du Mali, je remercie Son Excellence Vladimir POUTINE, Président de la Fédération de Russie, pour avoir autorisé mon homologue, Sergei SHOIGOU, Ministre de la Défense de la Fédération de Russie, à m’adresser une invitation à participer à cette dixième Conférence pour la Sécurité Internationale dans cette belle ville de Moscou.
Je remercie le Gouvernement et le Peuple russes pour l’accueil chaleureux qui a été réservé à la délégation malienne, et pour l’occasion qui m’est donnée ici, de présenter la vision du gouvernement malien sur les enjeux stratégiques de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel. Notre sous-région vit aujourd’hui sous une forte pression sécuritaire, liée à l’expansion des groupes terroristes, à la criminalité transnationale organisée, et aux tentations sécessionnistes de certains groupes, sur fonds de crises de coexistence communautaire. Cette situation constitue un frein à l’émergence économique des pays concernés, car on le sait bien, il ne peut y avoir de développement sans sécurité.
Je profiterai de cette auguste audience pour présenter ici, notre analyse des facteurs stratégiques majeurs qui affectent la sécurité de notre région, avant d’illustrer cette analyse avec la situation particulière du Mali. La sous-région ouest-africaine et sahélienne est confrontée à de grands défis qui s’entremêlent et se développent sur trois dimensions : internationale, régionale et locale.
Sur le plan international, notre sous-région subit négativement les effets des incertitudes liées à la mutation en cours de l’ordre international, qui résulte du constat de la défaillance, voire de l’échec du système de gouvernance mondiale, issu de la deuxième guerre mondiale et réadapté après la fin de la guerre froide. Les rapports de force qui ont permis la consolidation de cet ordre apparaissent aujourd’hui dépassés.
Les leçons des conflits de la fin du 20e siècle et du début du 21e siècle ont montré l’impuissance d’une certaine vision de la force, comme moyen de structurer l’environnement mondial. En réaction à cette perte relative d’influence sur la scène globale, nous constatons la volonté de certaines grandes puissances de reconstituer une architecture géopolitique en blocs homogènes, schéma qui leur est certainement plus familier et plus rassurant.
Les répercussions de cette tendance sont déjà visibles dans le monde, y compris en Afrique, continent relégué comme d’habitude au rang d’objet de convoitise. La crise sanitaire liée à la pandémie COVID-19, la gestion brutale et égoïste des phénomènes migratoires, le traitement encore plus égocentrique des défis climatiques et environnementaux mondiaux, dans un contexte de crise énergétique, indiquent clairement la teneur des règles qui seront mises en place dans ce monde en recomposition.
Ce constat est renforcé par le ton infantilisant et autoritaire des injonctions faites aux pays africains, visant à influencer leur gouvernance interne et canaliser les aspirations démocratiques légitimes de leurs peuples. Des postures universalistes sont utilisées pour justifier les ingérences aux relents colonialistes qui ont accablé l’Afrique depuis plusieurs siècles. On veut nous convaincre que nous devons devenir stériles pour éviter de rajouter à la misère du monde.
Dans ce contexte géopolitique mondial marqué par la montée des tensions, l’un des premiers défis pour les pays d’Afrique est de préserver une certaine autonomie et résister à la forte pression qui veut les forcer à choisir un camp et s’aligner derrière un protagoniste. Malheureusement, les signes de la division et de la polarisation sont déjà bien visibles, et le rêve d’unité africaine des pères de l’indépendance est désormais un bien lointain souvenir.
Les dynamiques régionales en Afrique sont très sensibles aux évolutions du contexte international, alors que les pays africains n’ont que peu de capacité d’influer sur les grandes décisions. L’instrumentalisation, voire la manipulation des institutions sous-régionales pour servir les intérêts de puissances extrarégionales constituent un défi stratégique majeur pour la construction de l’unité africaine.
Ingérence continue
Les institutions africaines de gouvernance régionale sont alourdies par l’imposition de systèmes politiques importés, calqués sans effort d’adaptation à la culture, aux réalités et aux besoins des populations. Elles cherchent donc bien souvent à s’attirer la sympathie des grandes puissances au lieu de dépenser leurs ressources pour la préservation des intérêts des peuples africains.
Le Mali est bien placé pour dénoncer ces pratiques, car notre pays sort à peine d’un régime de sanctions injustes, illégales, illégitimes et inhumaines imposées par les Chefs d’État de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Tous les peuples de la Communauté ont souffert de ces sanctions qui ne servaient que des agendas étrangers.
Nous assistons donc à une crise de confiance entre gouvernants et gouvernés, marquée par l’incohérence entre les politiques publiques et les aspirations des populations, dans un contexte de reproduction des rivalités par procuration. L’Afrique redevient, malgré elle, un terrain d’affrontement.
Dans un environnement sécuritaire complexe et volatile marqué par des insurrections fréquentes et la montée du terrorisme, cette crise de confiance est accentuée par la défaillance des instruments et mécanismes de sécurité collective. L’architecture paix et sécurité de l’Union Africaine peine à produire des résultats. La Force en Attente de la CEDEAO, saluée comme la composante régionale la plus élaborée, n’a pas eu d’impact significatif sur la situation au Sahel, notamment au Mali. Malgré la multiplication des coalitions permanentes ou circonstancielles, cette incapacité à trouver des solutions africaines aux problèmes africains, s’est soldée par une ingérence continue d’acteurs extérieurs bilatéraux ou multinationaux, qui imposent leurs agendas au détriment des intérêts des peuples africains.
Au niveau local, les populations l’ont bien comprise, et n’hésitent plus à se faire entendre avec force. Malgré les gains apparents de la période démocratique dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest, l’instabilité politique qui en a résulté est une manifestation de la réaction au décalage entre les peuples et les pouvoirs en place. Les citoyens expriment leur frustration de voir leurs immenses richesses naturelles exploitées au bénéfice d’autres acteurs. Ils expriment leur colère et s’indignent quand leurs dirigeants sont convoqués, sermonnés, humiliés en public pour n’avoir pas assez défendu chez eux les intérêts des supposées puissances amies.
Sur fond d’accroissement des inégalités, d’injustice et de mauvaise gouvernance économique, le démantèlement programmé des outils de sécurité et des structures étatiques initié par les plans d’ajustement structurel, ainsi que la déconstruction progressive des tissus sociaux sous l’influence de modèles importés, poussent les individus à chercher des alternatives en dehors de la protection offerte par les États.
Destruction de la Libye du Colonel Kadhafi
Des modes d’action terroristes, particulièrement barbares, et longtemps considérés comme inimaginables pour les paisibles populations africaines, ont ainsi été importés d’autres théâtres et occasionnent des souffrances terribles dans notre sous-région. Pour illustrer cette analyse et montrer les perspectives de résolution des problèmes sahéliens et ouest-africains, je ferai maintenant un rapide récapitulatif de la situation particulière du Mali, qui n’a cessé de dégénérer depuis le milieu des années 2000, jusqu’à atteindre le fonds en 2012, avec la prise du contrôle des deux tiers du territoire malien par une coalition de rebelles séparatistes et jihadistes nouant des liens avec des parrains puissants, dans l’enchainement logique de la destruction de la Libye du Colonel Kadhafi.
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L’intervention militaire internationale déclenchée en réaction à cette invasion, s’est soldée par un échec. L’opération française SERVAL de 2013 a certes réussi en quelques semaines à briser la dynamique terroriste. Cependant la multiplication des missions qui lui ont succédé, avec la force française BARKHANE, la MINUSMA, la Force Conjointe du G5 Sahel, les missions européennes EUTM, EUCAP Sahel et la Task Force TAKUBA, censées soutenir l’État malien et les Forces de Défense et de Sécurité du Mali, ont créé un embouteillage sécuritaire dont l’une des conséquences a été de maintenir une sorte de statu quo malgré la signature de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger. Les populations maliennes n’ont pas tiré les bénéfices de ce déploiement massif.
Initialement cantonnée au nord du pays, l’insécurité s’est propagée au Centre puis au Sud du pays avant de déborder les frontières, menaçant d’embraser toute la sous-région jusqu’à la façade atlantique. Pendant ce temps, les partenaires du Mali ignorent largement la volonté des autorités maliennes et utilisent le droit international ainsi que les restrictions financières et commerciales pour brider la capacité de l’État à faire face aux menaces.
Face à ce diagnostic inquiétant, devant le risque de voir la Nation malienne se désintégrer, les autorités de la Transition issue de l’insurrection populaire de 2020, ont décidé de réorienter leur stratégie en diversifiant leurs partenariats, pour briser la dépendance sécuritaire dans laquelle le Mali était entretenue.
Déterminé et décomplexé, le Mali estime qu’aucune puissance ne peut prétendre à une quelconque exclusivité de la coopération malienne. Le Mali veut nouer des partenariats gagnant-gagnant avec tous ceux qui ont la capacité et surtout la volonté de coopérer avec lui dans le respect de sa souveraineté et la préservation des intérêts mutuels.
Dans cet esprit, notre pays a souhaité redynamiser les liens historiques et solides tissés avec l’Union soviétique, qui a accompagné la République du Mali depuis les premières heures de son indépendance au plus fort de la guerre froide.
C’est encore le lieu de féliciter le Peuple russe et lui témoigner la reconnaissance du Peuple malien, car la Fédération de Russie a une nouvelle fois démontré sa fiabilité et sa sincérité envers le Mali. Le Gouvernement malien met l’accent sur la sécurité humaine, et dispose du soutien du Peuple qu’il s’efforce de protéger.
Fortes du soutien technique et matériel de la Russie, qui ne dissimule aucune arrière-pensée coloniale, les autorités de la Transition ont impulsé une dynamique totalement nouvelle, s’appuyant sur des succès militaires qui ont surpris beaucoup d’observateurs, pour créer les conditions du retour progressif de l’administration et des services sociaux de base au plus près des citoyens. Le premier semestre de l’année 2022 a ainsi vu une avancée spectaculaire sur le plan sécuritaire.
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Sous l’impulsion de la France, frustrée par son absence de résultats, ce qu’il convient d’appeler la Communauté Internationale a imposé des sanctions absurdes au Peuple malien, dans un effort délibéré d’aggraver les effets de la crise, avec l’espoir de pousser en quelques semaines les populations à se révolter contre les autorités de la Transition. Ceux-là sous-estimaient la résilience et le courage patriotique du Malien. Pour montrer sa volonté d’émancipation notre peuple s’est levé comme un seul homme, pour s’unir autour de l’essentiel, la survie de la Nation.
Les soutiens populaires se sont manifestés partout en Afrique, motivés par la flagrante injustice faite au peuple malien. Le Mali est resté debout, et le partenaire russe est resté à ses côtés. Le bilan du partenariat renforcé russo-malien est éloquent. Malgré l’embargo, le Mali a acquis, en quelques mois, davantage de moyens militaires que pendant les 30 dernières années, grâce aux sacrifices économiques consentis par le peuple, et à la coopération avec des pays comme la Russie, la Chine, et d’autres. Les groupes terroristes, qui réussissaient hier à décimer des garnisons entières, sont désormais en débandade sur tout le territoire. Leurs sanctuaires sont détruits, leurs bases logistiques sont démantelées, leurs chefs sont neutralisés.
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Désorganisés et progressivement coupés de leurs soutiens, ils en sont réduits à s’attaquer aux cibles molles, aux populations sans armes. Le Sud et le Centre du pays sont largement pacifiés. Malgré quelques actions d’éclat terroristes largement relayées par des médias pressés de montrer le Mali en difficulté, l’espoir est revenu dans les villages.
Ainsi, près de 100.000 réfugiés et personnes déplacées sont retournés dans leurs villages. La liberté de circulation des personnes et des biens redevient une réalité, l’agriculture reprend, l’activité commerciale se développe, l’administration se redéploye.
Pour amorcer une profonde refondation du système de gouvernance du Mali, le Gouvernement de Transition lance des réformes politiques, institutionnelles et sécuritaires sans précédent, afin de doter le Peuple malien des outils durables indispensables à son développement harmonieux.
Jugé inquiétant pour une certaine classe dirigeante mondiale, le combat du Mali pour sa dignité et sa liberté est pris en exemple par tous les peuples du Sahel, d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique entière.
Cela nous rend optimistes, car nous savons que le chemin reste long et tortueux, mais l’ambition de redressement et de refondation du Mali dépasse toute autre considération.
Je vous remercie de votre aimable attention.»