Démissionnaire du Rdpc en 1991, farouche opposant pendant 26 ans, Jean Jaques Ekindi soutient désormais ce parti qu’il a vomi, et surtout son candidat Paul Biya. Opposition alimentaire ou illumination subite ?

La vague de ralliements spectaculaires des opposants d’hier au Rdpc pour le soutien de candidature de Paul Biya continue au fur et à mesure que l’échéance approche. Le dernier en date est aussi surprenant qu’inattendu, mais somme toute compréhensible. Il s’est opéré au bord du Wouri, avec le souffle des vagues de l’eau qui berce les rives de la ville de Douala, au complexe Joël Ekindi. Le nouveau soutien de Paul Biya s’appelle Jean Jacques Ekindi. C’est lui qui est connu dans le landernau politique sous le nom de «chasseur de lion». Un pseudonyme qu’il porte depuis 1992. Cette année-là, le président Paul Biya est candidat à sa propre succession à la magistrature suprême, et son slogan de campagne est « l’homme lion ». Jean Jacques Ekindi, qui vient de démissionner du Rdpc et créer le Mouvement progressiste à la faveur de la libération des partis politiques, se positionne comme celui qui va faire partir Paul Biya et s’auto-proclame «chasseur de lion. » Dans la réalité, l’on peut dire que cette prise de position n’est qu’un retour à la maison, sa deuxième maison politique pour être précis. Son parcours politique est en effet ponctué par des retournements permanents, pour suivre le vent de l’histoire sans doute, de l’Upc au Mouvement progressiste, en passant par le Rdpc où il s’est bâti le gros de sa personnalité politique. Lire aussi :Présidentielle 2018 : Jean-Jacques Ekindi bat campagne pour Paul Biya
De l’Upc au Rdpc…
Après ses études à Paris couronné par deux diplômes d’ingénieur et un certificat de maîtrise d’ouvrage en urbanisme, il rentre au Cameroun dans les années 60. Encore influencé par les idées nationalistes acquises à Paris auprès des hommes comme Jean Paul Sartre, il est enrôlé dans l’Union des populations du Cameroun encore, parti interdit depuis 1955. Ses prises de positions contestataires lui valent une arrestation puis une incarcération à la fameuse brigade mobile mixte, la Bmm. Inculpé par le tribunal militaire de Yaoundé pour subversion et atteinte à la sûreté de l’Etat, il est condamné à cinq ans d’emprisonnement avec un sursis de trois ans et une amende. Il effectuera seize mois de prison ferme à Yaoundé et à Batouri, sous le régime de « l’assignation à résidence dans la prison ». Le vent d’espoir que provoque l’arrivée de Paul Biya au pouvoir en 1982 lui profite aussi. Dès 1986 il est séduit par le slogan de «Rigueur et moralisation» du nouvel homme fort, et quand l’Unc est reformé en Rdpc en 1985, il opte pour la politique du renouveau un an plus tard en 1986. Premier retournement de veste.
Il connait une ascension rapide au sein du parti, où il devient le président de la puissante section Rdpc du grand Wouri à l’époque. Mais les habitudes des caciques, réfractaires aux idées neuves, se mettent en travers de son chemin. Il l’expérimente en 1987 quand il conduit une liste aux élections municipales et les remporte, mais le parti refuse de lui accorder cette victoire. Il reste cependant dévoué, et conduit même dans les rues de Douala une marche contre le multipartisme, au plus fort des contestations des années 90. Mais cet engagement semble ne pas changer son sort au sein du parti.
Première désillusion
Il commence à se rendre compte qu’il est dans une mare à crabes. Malgré sa cooptation au comité central depuis 1988, il crée le courant progressiste au sein du parti en 1991, soucieux de la modernisation du parti et dans l’intention de créer un climat de discussions et de débat dans un parti où la parole du chef est plus que l’évangile. Mais les pratiques de l’obéissance servile sont plus fortes que lui, et il finit par tourner le dos complètement à ses camarades d’hier, pour créer le 21 mai 1991 le Mouvement progressiste (MP). Deuxième retournement de veste. En 1992, celui qui marchait quelques mois plus tôt contre le multipartisme est désormais l’un des opposants les plus farouches, aux avants postes de toutes les stratégies pour combattre le Rdcp qu’il connait bien. Eloquent et instruit, ses sorties médiatiques sont très suivies, il devient sans conteste le secrétaire général du Directoire qui organise une marche à Douala pour revendiquer la conférence nationale souveraine, mais reçoit plutôt la fessée nationale souveraine. Le «chasseur du Lion» reste tenace, du moins on pouvait le croire. Il a participé à toutes les élections présidentielles depuis 1992, et pour l’échéance de 2004 il s’était retiré pour soutenir le candidat du Sdf Ni John Fru Ndi, après l’éclatement de la Cn2r.
Le revirement final
Très discret en cette année 2018, il est devenu subitement actif dès la convocation du corps électoral le 9 juillet. Alors que les candidats s’activaient pour déposer leurs dossiers, il a plutôt convoqué à la surprise de tous, la presse le 12 juillet à Yaoundé pour annoncer qu’il sera candidat. Sauf qu’à la clôture de la réception des dossiers, on n’a pas vu son ombre ni au siège d’Elecam à Yaoundé ni à la délégation à Douala.
Il refait surface le 12 août dernier à Douala devant la presse convoqué à son domicile, pour appeler en substance les candidats de l’opposition à se regrouper autour d’un programme commun de gouvernance. On a cru voir en cette initiative le soutien à l’opposition, surtout qu’il a le mérite d’avoir dans son programme de campagne en 2011 anticipé sur la crise anglophone. Que non. Avec l’éloquence et le verbe qu’on lui connait, il a procédé jeudi 19 septembre à une analyse plus que scientifique de la situation au Cameroun, pour en conclure que le seul à y apporter la solution est le lion qu’il chasse depuis 26 ans. Décidément Jean de Dieu Momo n’est pas le seul à s’être trompé. Mais ceux qui suivent le parcours de Jean Jacques Ekindi le voyaient venir depuis 2007.
Dès son entrée à l’Assemblée nationale, il était devenu plus doux, discret et moins médiatique. On a vu le gouvernement qu’il combattait lui donner l’onction pour sa foire internationale de Douala qu’il organise fréquemment dans sa cours. On l’a entendu le 1er juin 2018 sur les antennes de Rfi dire qu’il «est beaucoup moins tranchant, beaucoup moins radical, et qu’il considère qu’il faut laisser la part de l’alternative, qu’il il faut également transiger avec le réel.» Il faut dire que Jean Jacques Ekindi fait partie de cette génération d’opposants qualifiées de pas sincères, étant des anciens militants du parti unique, ceux qui ont juste traversé la route pour se mettre de l’autre côté pour marquer leur mécontentement, et qui reviennent rapidement à la maison quand papa leur donne le bonbon.
Ainsi se porte l’opposition camerounaise.
Roland TSAPI