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S.M Toutou Ebénézer : « L’Etat doit savoir qu’il est en train de nous faire subir une grosse injustice»

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Fervent défenseur de la forêt d’Ebo, le chef du village Ndikbinde, par ailleurs secrétaire général de l’Association des chefs traditionnels des villages riverains de la forêt d’Ebo, met à nu la duperie du gouvernement en vue d’exproprier le peuple Banen de ses terres.

LVDK : Sa Majesté, quelle lecture faite vous de ce deuxième décret portant classement au domaine privé de l’Etat de vos terres ?

Quand je lis ce décret, je relève beaucoup d’incongruités qui me permettent de répondre aux gens qui continuent à distraire ceux qui ne comprennent pas très bien la gravité de la situation des populations autochtones des cantons Lognanga, Ndokbiakat et Logkat ; ces populations qui ont été jadis chassées de leurs terres pendant les moments de troubles par l’Etat. Lequel État avait promis qu’il les ramènera une fois que le pays sera pacifié. Voilà plus de 60 ans que l’Etat a été fait.  Mais ces populations dont je fais partie (parce que je suis chef du village Ndikbinde), sommes encore des déplacées internes en errance hors de nos terres. Nous sommes les plus anciens déplacées internes dans notre propre pays. Et l’Etat ne semble même plus s’occuper de nous. Comme solution qu’il nous apporte, c’est qu’il a choisi de classer nos terres et nos villages dans la propriété privée de l’Etat.

LVDK : De quelles incongruités parlez-vous?

Quand je lis les articles de ce décret qui classent nos villages dans la propriété privée de l’État, je relève quelques incongruités pour répondre à ceux qui veulent distraire les gens, notamment le chef de canton qui est pourtant un juriste, mais ne comprend rien. Il ne comprend pas que ce n’est pas le ministre des Forêts qui gère le domaine foncier. En lisant le décret N°95/531/Pm du 23 août 1995 fixant les modalités d’application du régime des forêts, son article 21 dispose que les forêts domaniales ou communales doivent être identifiées et délimitées selon les conditions fixées conjointement par les ministres chargés des Domaines et des Forêts et bornées conformément à la législation foncière en vigueur en vue de leur enregistrement et de leur immatriculation au livre foncier au frais du bénéficiaire. Le bénéficiaire ici, c’est le ministère des Forêts. Les deux ministères vont travailler conjointement conformément à la législation foncière en vigueur. Lorsqu’on lit le décret qui classe nos terres et nos villages, on se rend compte qu’ils ont déjà fait le plus gros des travaux de bornage. Tout est claire là-dessus sur le plan technique, les points sont déjà spécifiés. Il ne reste plus qu’à compléter la procédure d’immatriculation. Ça veut dire que le classement dont on parle signifie que nos villages et nos terres sont devenus la propriété privée de l’Etat. Privé veut dire que l’Etat va établir un titre un foncier.

Lire aussi :Forêt d’Ebo : comment l’Etat veut « effacer le peuple Banen de la carte du Cameroun » 

Autre incongruité dans ce décret qui participe à endormir les gens, c’est que les villages autochtones seront dans les enclaves selon l’article 4 dudit décret. Cet article dit que « les enclaves seront créées à l’intérieur du domaine forestier et délimitées autour des anciens villages identifiés lors de l’élaboration du plan d’aménagement ». Ici, on a mis la charrue avant les bœufs. Parce qu’en revenant sur le décret de 95, avant de faire tout classement, il faut procéder à l’élaboration du plan d’aménagement des terres.  Ce décret 95/531/Pm du 23 août 1995 fixant modalités d’application du régime des forêts dispose en son article 18 que dans les régions disposant d’un plan d’affectation des terres, le classement d’une forêt domaniale ou communale est précédé d’une période de 30 jours au cours de laquelle le ministre chargé des Forêts informe par avis les populations concernées du projet de classement. Alinéa 2, dans les régions ne disposant pas d’un plan d’affectation des terres, la période d’information prévu à alinéa 1 de l’alinéa 2 ci-dessus est de 90 jours, en vue de permettre aux populations concernées de faire des réserves ou des réclamations auprès des responsables administratifs compétents ; passé ce délai toute opposition éventuelle est irrecevable. L’avis prévu à l’alinéa 1 ci-dessus est rendu public par voie de presse, d’affichage dans les préfectures, sous-préfectures, mairies, services de l’administration chargée des Forêts de la région concernée ou par toute autre voie utile.

LVDK : En clair, ces dispositions n’ont pas été respectées ?

Aucune de ces dispositions n’a été respectée. En poursuivant dans le même décret, à l’article 20, il est prévu la création d’une commission visée à l’article 19. L’article 19 dit qu’« il est créé dans chaque département une commission désignée ‘‘la Commission’’ chargée d’examiner et d’émettre un avis sur d’éventuelles réserves ou réclamations émises par la population ou par toute personne intéressée à l’occasion des opérations de classement ou de déclassement des forêts. D’évaluer tout bien devant faire l’objet d’expropriation, de dresser un état à cet effet ». L’alinéa 2 de l’article 19 dispose que « la procédure d’exploitation se fait conformément à la réglementation en vigueur. » Cette fameuse commission qui est mentionnée à l’article 20 n’a jamais été créée. Puisqu’il n’y pas eu de consultation. Cette commission est composée ainsi qu’il suit : président, préfet du département ou son représentant, rapporteur membre, rapporteur, représentant local du ministère chargé des Forêts, membres, représentant local du ministère chargé du Tourisme, le représentant local du ministère chargé des Domaines, représentant local du ministère chargé de l’Environnement, le représentant local du ministère chargé de l’Elevage, le représentant local du ministère chargé des Mines, le représentant local du ministère chargé de l’Agriculture, le représentant local de l’organisme public chargé des aménagements, le ou les députés du département, les maires des communes intéressées ou leurs représentants , les autorités traditionnelles locales. Elle se réunit à l’initiative de son président au lieu choisi par ce dernier, 30 jours au plus tard après le délai d’affichage prévu par l’article 18 ci-dessus. Le président de la commission transmet l’ensemble du dossier au ministère chargé des Forêts assorti de l’avis motivé de ladite commission.

Lire aussi :Développement durable : biodiversité et population autochtone, le combat de l’équilibre 

Il y a trois ans, le préfet du département du Nkam nous avait invités pour donner une information tout simplement de ce projet de décret de classement. J’avais attiré son attention au regard de toutes ces dispositions des articles du décret de 1995. On découvrait le décret séance tenante le jour de la réunion. J’avais attiré son attention sur le fait que par rapport aux dispositions du décret de 1995, nous sommes en train de travailler en dehors des dispositions prévues par la loi. Je crois que ce sont entre autres incongruités qui ont poussé à retirer le premier décret qui n’avait pas respecté la procédure. Le deuxième décret, pire encore, n’a jamais connu de consultations. Le précédent décret ne parlait ni d’enclaves ni de villages identifiés. Celui-ci parle des villages identifiés. Pourtant dans le décret de 95, on parle du Plan local pour un développement durable des terres. C’est en fonction de ça qu’on voit comment affecter une partie à l’exploitation forestière, une partie à l’habitation, une partie aux activités rurales des communautés. On ne fait pas le classement avant de chercher par la suite à identifier les villages. En somme, ce décret se trahit lui-même, puisqu’il parle des enclaves qui seront créées à l’intérieur du domaine forestier et délimitées autour des anciens villages identifiés. Ces villages ont été habités, ils possèdent des tombes dans ce qu’ils appellent massif forestier. Comment vont-ils faire faire pour qu’elles ne soient pas détruites pendant l’exploitation.  Nous étions treize mille habitants lorsque nous considérons les deux cantons Ndokbiakat et Lognanga. Ce sont ces tombes qui deviennent la propriété privée de l’Etat. Apparemment les décideurs ne sont même pas au courant de cela, y compris le chef de canton qui prétend que le classement dans la propriété privée de l’Etat n’est pas synonyme de titre foncier. Pourtant c’est clair dans ce décret 95. La procédure prévoit que le ministère des Forêts travaille avec le ministère des Domaines conformément à la législation foncière. C’est pour aboutir à l’établissement d’un titre foncier. D’où notre désarroi. Et qui est la raison pour laquelle nous ne voulons pas laisser cette affaire passer comme cela. L’Etat doit savoir qu’il est en train de nous faire subir une grosse injustice.

 Entretien avec Blanchard BIHEL

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