«Election juste et transparente, qui s’est déroulée dans de bonnes conditions». C’est ainsi qu’est qualifié le scrutin du 7 octobre 2018 par les observateurs internationaux de Transparency International. Le point de vue de cette Ong a été donné lundi 8 octobre 2018 à Yaoundé au cours d’un point de presse. C’est en effet l’habitude, qu’au lendemain des élections en Afrique, des observateurs nationaux ou internationaux donnent leurs points de vue sur le déroulement des élections, à partir de ce qu’ils auraient observé sur le terrain.

Le péché de ces observateurs internationaux cependant, c’est qu’ils arrivent souvent dans le pays concerné quelques jours avant le scrutin, et restent confinés dans des hôtels, le temps d’attendre des accréditations du gouvernement, et ne se retrouvent sur le terrain que le jour j, avec des mouvements limités du fait soit de l’interdiction de la circulation, soit des consignes de sécurité reçues en fonction de l’atmosphère ambiant dans le pays. Le jour de l’élection finalement, les observateurs internationaux se limitent à faire le tour de quelques bureaux de vote dans les centres urbains, et complètent leurs rapports par quelques coups de fil à des journalistes ou contacts dans les régions, lesquels rapports une fois rendus publics sont souvent à mille lieux des réalités de terrain. Le scrutin du 7 octobre 2018 a en effet été une fois de plus l’occasion de la mise en application des techniques de fraude subtiles dont le Cameroun est maître depuis, et dont le terrain d’expérimentation se trouve dans les zones reculées. Dans le département de Wouri, l’arrondissement de Douala 6eme avec pour chef-lieu Manoka est un exemple de champ d’application par excellence de la fraude.
Manoka, le champ fertile d’application de la fraude
Tout commence ici par le corps électoral. Cette année, les listes affichées le jour de l’élection devant trois bureaux de vote de Manoka Centre indiquent 342 électeurs pour le bureau de l’Ecole maternelle, 383 pour l’école publique A et 379 pour l’école publique B. Des chiffres fortement contestés pas des observateurs natifs de l’île. Pour eux, ces chiffres ne reflètent pas la réalité, l’île étant plus habitée par des pêcheurs nigérians que par des Camerounais. Sans électricité ni eau courante, les natifs de nationalité camerounaise cherchent plutôt de meilleures conditions de vie à Douala, où résident d’ailleurs le maire et le chef d’antenne Elecam par exemple.
Ce qui se passe alors, c’est que les listes électorales sont gonflées par des noms de personnes résidant aussi à Douala, et qui devraient rentrer sur l’île voter. Ce qui n’est pas toujours possible, même avec l’organisation des charters, et malgré toutes les promesses faites pour obtenir la faveur des électeurs, car le voyage se passe sur l’eau, et l’offre en moyen de transport sécurité est faible. Le jour du vote ensuite, par allégeance aux maires et députés, tous du parti au pouvoir, la consigne de vote est presque obligatoire pour tout le monde, le candidat du parti au pouvoir. Sur l’île, là où la persuasion par les dons en espèce et en nature ou les promesses ne passe pas, l’intimidation entre en jeu, et ceux qui ne votent pas pour le parti au pouvoir sont ouvertement menacés même au sein de leurs familles.
D’après les procès-verbaux de ces trois bureaux de vote, il n’y a que quelques « têtes brûlées » qui ont osé donner leurs voix au parti Univers, Sdf et Mrc, tout en étant conscients du risque qu’ils prennent. Pendant le déroulement, le sous-préfet faisait le tour des bureaux de vote et stationnait aussi longtemps qu’il le souhaite où il veut, alors que sa présence, même silencieuse est non seulement illégale mais influence le vote. Même les éléments Bataillon d’intervention rapide stationnés ici se sont mêlés du vote, soit en interrogeant à plusieurs reprises les électeurs sur leurs votes, soit en rentrant dans les bureaux de votes fusils bien en vue à l’épaule pour voter, toutes des attitudes interdites par le code électoral. Bien plus, à la fin des votes, 138 bulletins ont été officiellement mis dans l’urne dans le bureau de l’Ecole publique A de Manoka pour 383 inscrits, 142 sur 379 dans le bureau de l’école publique B et 160 sur 342 dans le bureau de l’Ecole maternelle. D’après les observateurs de terrain, le nombre de bulletin dans l’urne ici ne correspond pas nécessairement aux nombre de votants, encore mois aux résultats qui seront rendu publiques à la fin.
100%, indice de fraude
En dehors de l’exemple de Manoka, des résultats des plusieurs bureaux de votes de certaines régions du territoire national sortent avec des scores de 100% en faveur d’un candidat. Mais loin d’être ce qui est souvent appelée « éclatante victoire », le score de 100% est le premier indicateur de la fraude, car le comportement social s’accommode mal de l’unanimité absolue. Surtout au cours d’une élection. C’est plutôt la preuve qu’il y a eu contrainte, une influence exercée sur l’électeur soit directement par l’offre des dons en nature ou en espèces, soit indirectement par personne interposée ou par la promesse de l’amélioration future des conditions de vie.
Même au sein d’une famille il est impossible d’avoir l’unanimité autour d’un sujet, à plus forte raison au cours d’une élection qui interpelle des familles diverses aux sensibilités différentes. Nul ne peut dire qu’un vote à 100% est un vote libre. «Il y a la violence dans un pays quand une élection est mal faite», comme le disait Ateba Eyene, de regretté mémoire.
Roland TSAPI