Président de l’Association camerounaise des droits maritimes (Acdm), Me Gaston Ngamkan est l’un des éminents experts convié à exposer au tout premier colloque sur le transport multimodal en Afrique Centrale. La rencontre qui se tient du 24 au 26 avril 2018 au Groupement Inter-patronal à Douala est l’initiative de Marineland Global Solutions. Dans cet entretien, Me Gaston Ngamkan revient en profondeur sur le transport multimodal, ses enjeux sur le transport au Cameroun…

C’est quoi un transport multimodal ?
Un transport multimodal est un transport qui associe au moins deux modes de locomotion différents, qui est exécuté sous la responsabilité d’un entrepreneur. Il prend la marchandise de bout en bout sous sa responsabilité, sous l’égide d’un document de transport unique. La caractéristique foncière c’est qu’il y ait au moins deux modes de locomotion, soumis à des régimes juridiques différents, et que le transport soit exécuté sous la responsabilité d’un opérateur appelé entrepreneur de transport multimodal. Le transport multimodal est une affaire de grosses structures. N’importe qui ne peut pas faire du multimodal. A l’heure actuelle ici au Cameroun, ce sont des sociétés comme Bollore Africa logistics, Maerks qui font du multimodal.
Quelle est la plus-value du transport multimodal ?
L’avantage c’est qu’en cas de dommage, l’ayant droit à la marchandise n’aura en face de lui qu’un seul interlocuteur, bien qu’il y ait eu succession des transporteurs qui soient intervenus dans l’opération. L’ayant droit peut également s’adresser au transporteur responsable, s’il a la preuve que celui-ci est à l’origine de son préjudice. Mais l’avantage c’est qu’il connaît l’organisateur avec qui il a conclu le contrat de transport, et qui est responsable de la chaine de bout en bout. Je prends l’exemple d’une marchandise expédiée de Rouen en France. Elle est chargée à bord d’un navire, transportée de Rouen jusqu’au Port autonome de Douala. Ensuite, poursuit par la voie routière pour Ngaoundéré ou jusqu’au Tchad. Vous voyez qu’il y a déjà deux modes de locomotion. En cas d’avarie de la marchandise, le propriétaire ne s’adressera qu’à l’entrepreneur multimodal qui est à Rouen, sans avoir à chercher à savoir sur quel segment du parcours le préjudice s’est réalisé. Les enjeux du transport multimodal bénéficient à tous les utilisateurs. En utilisant par exemple les conteneurs, c’est plus de sécurité par rapport à une marchandise transportée en vrac. En outre, il y a une réduction de coût au niveau du délai du passage portuaire. En fait, la marchandise étant containerisée ou en utilisant les techniques modernes de manutention comme la manutention horizontale, il y a un gain considérable de temps. Par conséquent, la marchandise n’est pas exposée aux risques d’avarie, de vol, de détérioration.
Qu’est-ce qui encadre le transport multimodal au Cameroun, voire dans la sous région, sur le plan juridique ?
Il faut distinguer au moins trois hypothèses. Il y a le cas du transport multimodal inter-état, c’est-à-dire entre deux Etats membres de la Cemac. Ce transport est justiciable de la convention multimodale inter-état signée le 5 juillet 1996. Il y a également le transport multimodal domestique. Il se déroule entièrement sur le territoire d’un Etat membre, qui est justiciable de l’article 94 du Code de commerce. Enfin il y a le transport superposé. Il s’applique aussi bien pour les transports domestiques que les transports internationaux ou les transports se déroulant en zone Ohada qui est régie par l’article 22 de l’Acte uniforme Ohada relatif au contrat de transport routier de marchandises. Il y au moins trois instruments qui s’appliquent.
Ces textes suffisent-ils pour rendre reluisant l’état de lieu du transport multimodal au Cameroun ?
Il faut savoir que de nos jours, le transport est presque toujours multimodal, avec le développement de la containerisation, des techniques de manutention des frets, le ferroutage…le transport multimodal devient un phénomène incontournable. Il est difficile aujourd’hui de commander une marchandise à l’étranger, de l’avoir dans l’arrière pays en recourant à un seul mode de locomotion. C’est impossible. La phase maritime est toujours précédée, ou suivie des post acheminements par d’autres modes de locomotion tels que la route, le chemin de fer, le transport aérien. La convention de Genève du 24 mai 1980 qui aurait pu régenter le transport multimodal sur le plan mondial avait été adoptée sous l’égide de la conférence des nations unies sur le commerce et le développement. Comme je l’ai expliqué, cette convention n’est pas en vigueur à ce jour parce que les pays en développement y avaient intégré des dispositions de droit public, qui normalement n’avaient pas leur place dans une convention de droit privé. Ces dispositions sont celles qui permettent aux Etats de contrôler les activités des entrepreneurs du transport multimodal qui exercent sur leur territoire. Il y a également des dispositions à caractère douanier qui ont été intégrées dans cette convention et qui, logiquement n’y avaient pas leur place.
Quel rôle joue le chargeur, notamment le Conseil national des chargeurs du Cameroun, dans le transport multimodal ?

Les chargeurs sont les utilisateurs des services de transport maritime. Toute personne qui confie une marchandise à un transporteur maritime est un chargeur, parce que je sais que dans l’imagerie populaire, on voit plutôt celui qui porte la marchandise. Non ! Le chargeur c’est le propriétaire de la marchandise. Le Conseil national des chargeurs est là pour protéger les intérêts des utilisateurs des services de transport maritime. Nos pays sont des pays de chargeurs, et pas de transporteurs. Il n’y a pas une seule compagnie de navigation au Cameroun. Le seul transporteur qu’on avait, c’était la Camship, qui a disparu corps et biens, depuis les années 1980. Elle avait quelques navires. Aujourd’hui on n’a rien. La société SLGG fait ce qu’on appelle les affrètements d’espace. Elle ne peut même pas affréter un navire entier. C’est-à-dire qu’elle vient dans un navire qui appartient à une compagnie, et loue des cellules ou des espaces pour charger les marchandises de ses clients. Pour être transporteur, il faut de très gros investissements que nous n’avons pas. Le manque d’infrastructure est un frein pour le développement du transport multimodal au Cameroun. Il faut un bon parc automobile, des navires, une bonne flotte. Mais le fait de n’avoir pas de flotte n’est pas vraiment un handicap. Le handicap à mon avis c’est au niveau des infrastructures internes. Il faut un bon réseau de chemin de fer, un bon réseau routier. Il faut créer des plateformes logistiques, qui sont des points névralgiques de jonction, par exemple à Ngaoundéré, Bafoussam. Un endroit où les marchandises transportées à bord de train ici à Douala peuvent être déchargées, gardées et ensuite, remises à un transporteur routier qui va l’acheminer jusqu’à sa destination. La construction du Port en eau profonde de Kribi est une très bonne chose, à condition que les infrastructures de transport terrestre qui permettent de faire l’approche du port soient opérationnelles, à la hauteur des ambitions ayant précédé à la mise en service du Port de Kribi.
Entretien avec Valgadine TONGA