Au cours d’un briefing tenu le 12 février au soir à Douala à la suite de la visite des chantiers de la ville, la ministre de l’Habitat et du développement urbain Célestine Ketcha Courtes a exprimé toute sa déception face à la façon dont les projets sont conduits. Elle était très remontée contre les entreprises qui ont gagné des marchés de construction des logements sociaux, qui ne sont pas livrés depuis 8 ans. Elle s’en est prise aux entreprises qui réalisent les chantiers de la Can, les routes de la ville et autres. La ministre ne comprenait pas comment les chantiers en début de réalisation sont arrêtés pour absence de financement. Elle ne comprenait pas comment une fois les chantiers à l’arrêt, les entreprises ne se gênent même pas pour atténuer la poussière, par l’arrosage des routes par exemple. Lire aussi :Infrastructures / Ralentissement des travaux à Douala : Célestine Ketcha Courtès remonte les bretelles aux entreprises
Un encadrement strict de la loi
Cette sortie a permis une fois de plus de mettre au grand jour les irrégularités qui ont fait leur nid dans les marchés publics au Cameroun. D’après le décret 2018/366 du 20 juin 2018 portant Code des marchés publics au Cameroun, un marché public est un contrat écrit, par lequel un entrepreneur, un fournisseur ou un prestataire de service s’engage envers l’Etat, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix.
En résumé, le marché public est financé par le budget de l’Etat, et fait appel à trois acteurs principalement. D’abord le maître d’ouvrage, qui peut être le ministre, le maire, le directeur général d’une entreprise publique, tous représentants l’administration bénéficiaire des prestations. C’est le maitre d’ouvrage qui passe le marché en somme. Ensuite il y a le maître d’œuvre, qui est une personne physique ou morale chargée par le maître d’ouvrage d’assurer ses intérêts aux stades de la définition, de l’élaboration, de l’exécution et de la réception des prestations objets du marché. Simplement dit, le maitre d’œuvre est l’entreprise qui construit la route, où l’opérateur économique qui livre des fournitures de bureaux dans un ministère par exemple. Enfin, l’observateur indépendant, une personne physique ou morale recrutée par voie d’appel d’offre par l’organisme chargé de la régulation des marchés publics, afin de veiller au respect de la règlementation, aux règles de transparence et aux principes d’équité dans le processus des passation des marchés. Lire aussi :Littoral : Célestine Ketcha Courtès galvanise ses collaborateurs
Entre les trois il y a d’autres intervenants comme le chef de service des marchés et l’ingénieur du marché, dont les rôles sont en gros le suivi de l’exécution des marchés publics. Le rôle de chef de service du marché est généralement assuré par les délégués régionaux et départementaux des administrations qui commandent le marché.L’ingénieur du marché est quant à lui une personne physique ou morale accrédité par le maître d’ouvrage pour le suivi et le contrôle technique et financier de l’exécution du marché. Il assure surtout le contrôle de la qualité des prestations et supervise les opérations préalables à la réception entre autres.
Garanties
Selon l’article 137 de ce Code, tout titulaire d’un marché est tenu de fournir un cautionnement garantissant l’exécution intégrale des prestations, encore appelé cautionnement définitif, et un cautionnement garantissant le cas échéant, la bonne exécution du marché et le recouvrement des sommes dont il serait reconnu débiteur au tire du marché, en remplacement de la retenue de garantie. Le cautionnement définitif doit être compris, d’après l’article 138, entre 2% et 5% du montant initial du marché. Il est également précisé ici que la retenue de garantie est prélevée ou le cautionnement de bonne exécution constituée si le marché est assorti d’une période de garantie ou d’entretien, et ne peut être supérieure à 10% du montant initial. En d’autres termes, si l’entreprise X gagne le marché de construction d’une route à Douala pour un montant de 10 milliards par exemple, avant de lui faire signer le marché, il doit présenter des preuves qu’elle a dans son compte bancaire au moins 2% de cette somme, c’est-à-dire 200 millions de francs. Sinon un établissement bancaire agréé par le ministre des Finances doit se porter garant pour cette somme.
A qui mieux-mieux
En s’appuyant sur cette disposition, on comprend que la ministre de l’Habitat et du développement urbain s’étonne qu’une entreprise arrête un chantier dès le début, et dit attendre le financement, alors qu’elle devrait avoir en principe suffisamment d’argent pour réaliser 30% du marché, avant que le marché ne lui soit attribué. Et si cette situation est récurrente, cela voudrait dire que soit le signataire du marché a fermé les yeux sur cette exigence au moment de passer le marché, dans ce cas qu’est ce qui peut lui avoir fermé les yeux ? Soit l’entreprise a présenté des faux documents disant que cet argent était disponible alors qu’il n’en était rien. De même, quand cette entreprise X aura fini le marché, en payant le reliquat des 10 milliards à la réception, 10% doit être retenu, c’est-à-dire 1 milliard qui ne sera payé qu’à expiration de la période de garantie, qui, elle varie en fonction de l’importance du marché. Si toutes ces clauses étaient respectées, il est évident qu’une route livrée ne pourrait pas présenter des trous, des fissures et des affaissements moins d’un mois après, comme l’on observe au quotidien dans nos villes.
Mais dans le domaine des marchés publics au Cameroun, tout se fait comme dans une véritable forêt tropicale où un gibier est abattu et doit faire l’objet d’un partage. Le propriétaire de la hache qui doit servir à dépecer réclame sa part, celui qui va dépecer réclament sa part, une autre personne surgit et rappelle que c’est dans son champ que le gibier a été abattu, même celui qui a entendu le coup de feu vient réclamer. Dans le processus, on observe les coups bas, les tacles par derrière, tout ce qui peut être fait pour tirer la plus grosse part du gibier et au final que reste-il pour la population qui doit être nourrit ? Rien, ou plutôt la torture psychologique d’avoir été trompée que les conditions de vie changeraient. Le projet n’est dans certains cas jamais réalisé au final, mais l’argent a été décaissé. Et au-delà des insuffisances des entreprises contractantes, peut-on vraiment dire que l’Etat, véritable chef d’orchestre qui attribue ces marchés est exempt de tout reproche, notamment en ce qui concerne la disponibilité des financements et la gestion ?
A suivre…
Roland TSAPI