Rien n’est encore officiel, mais depuis le 13 juin 2018, si l’on s’en tient au document qui circule sur les réseaux sociaux, le président de la République envisage de proroger le mandat des députés qui s’achèvent le 29 octobre 2018. « Conformément à l’article 15 (4) de la Constitution, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir réunir le bureau du Sénat, afin de le consulter au sujet de la prorogation du mandat des députés pour une période d’un an à compter du 29 octobre 2018», lit-on dans la correspondance adressée au président du Senat par le président Paul Biya.
Le président justifie sa démarche par la disposition légale contenue dans la Constitution, en son article 15 alinéa 4. On y lit en effet, s’agissant du mandat des députés à l’Assemblée nationale, qu’ «En cas de crise grave, le Président de la République peut, après consultation du président du Conseil constitutionnel et des bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat, demander à l’Assemblée Nationale de décider par une loi de proroger ou d’abréger son mandat. Dans ce cas, l’élection d’une nouvelle Assemblée a lieu quarante (40) jours au moins et soixante (60) jours au plus après l’expiration du délai de prorogation ou d’abrègement de mandat. »
S’appuyant sur cet article donc, le président explique dans sa correspondance au président du Sénat, que «la tenue en cours de l’année 2018, dans notre pays, des élections présidentielle, législatives et municipales sensiblement aux mêmes périodes, rend difficile leur organisation matérielle, à cause du chevauchement des opérations électorales relatives à ces scrutins.» Comme on le constate, le Président Biya parle de chevauchement des opérations électorales, qui selon lui justifie la prorogation du mandat, alors que la Constitution parle de «crise grave». Il convient de noter que ce n’est pas aujourd’hui que la président Biya et ses conseillers juridiques sont au courant qu’il devait y avoir chevauchement des élections en cette année 2018, cela est su depuis 2013 quand les députés de l’actuel mandature sont entrés en fonction.

D’après la Constitution et toutes les lois qui régissent les élections au Cameroun, notamment la loi du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012, l’on s’attendait à ce que le corps électoral pour le renouvellement des députés soit convoqué le 21 juin au plus tard. Que 8 jours avant cette date le président Biya cherche plutôt les moyens d’esquiver les élections est indicateurs qu’il y a péril en la demeure, il y a une crise grave comme le prévoit la Constitution. Et cette crise, c’est la crise anglophone qui secoue le pays depuis octobre 2016, et qui à ce jours a causé plus d’une centaine de morts côté civils et militaires, et a provoqué le déplacement de plus de 4000 Camerounais à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les effets continuent en effet de se faire ressentir, avec les incendies des édifices publics dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’enlèvement des fonctionnaires, les attaques répétées des unités de gendarmerie et de commissariat. La situation est suffisamment grave pour justifier un report des élections. Sauf que le président Biya ne veut pas le dire comme cela.
Mais quels que soient les subterfuges qu’il trouve pour éviter de prononcer le mot crise, il saute aux yeux de tous que ça ne va pas au pays, et le président vient de l’avouer à demi-mots, en demandant la prorogation du mandat des députés. Et cette prorogation va toucher aussi automatiquement les conseillers municipaux, car depuis 2002 les élections législatives sont couplées aux municipales, cela a été le cas en 2007 et 2013, cela devrait être le cas en 2018, étant donné que les deux mandats durent 5 ans. Pour le cas de ces derniers, le Code électoral dispose en son article 170 alinéa 2 qu’ «en cas de nécessité, le Président de la République peut, par décret, proroger ou abréger le mandat des conseillers municipaux pour une durée n’excédant pas dix-huit (18) mois, après consultation du Gouvernement et du Bureau du Sénat. »
Si pour les députés la prorogation nécessite une loi, le cas des conseillers municipaux peut se faire par simple décret. Il est dès lors aisé de comprendre qu’une fois la loi passée pour les députés, le président Biya va simplement signer un décret pour la prorogation du mandat des conseillers, si ce n’est pas encore fait. Dans tous les cas les Camerounais ont bien compris que le pays est devenu difficile à gérer pour le président Biya, et ce qui semble le préoccuper pour le moment est davantage sa réélection à la présidence de la république que le rétablissement de la sécurité dans le pays.
Roland TSAPI