28 ans déjà que le pluralisme politique a été réinstauré au Cameroun, mais les Camerounais n’arrivent toujours pas à se faire une idée exacte d’une personnalité politique qui fédère toutes les opinions et se positionne comme une véritable alternative. Les nouvelles figures montantes vont-elles tirer les leçons du passé et proposer une meilleure offre ?
Les supputations sur le prochain président de la République vont bon train désormais. A la vérité, en dehors du président sortant, il est difficile de dire que tel candidat est en ballottage favorable dans l’opinion, comme c’est souvent le cas dans d’autres pays. La raison est que depuis l’avènement du multipartisme au Cameroun en 1990, aucun leader politique ne s’est positionné de manière constante dans l’opposition en restant fidèle à ses positions. Lesquelles pouvaient avec le temps devenir sa marque de fabrique, ce qui lui aurait permis de recruter dans la durée de plus en plus de militants, et être 28 ans après, une référence facilement identifiable. Mais au lieu de cela, le peuple camerounais n’a eu droit qu’à des hommes politiques aux positions instables, qui changent de direction aussi facilement qu’une girouette à la merci du vent. Quelques exemples.

Le Social democratic front de John Fru Ndi est l’un des partis qui était aux avant-postes au début. Le désir de changement avait alors drainé les foules derrière ce parti qui incarnait pour elles l’alternance. Mais en quelques années l’inconstance de ce parti dans ses prises de positions est devenue déconcertante. D’abord en mars 1992, le parti de John Fru Ndi boycotte les élections législatives et municipales, au prétexte que les lois régissant les élections au Cameroun ne sont pas bonnes. On s’attend à ce que le parti se positionne comme le défenseur acharné des textes et milite pour le toilettage. Mais contre toute attente, Fru Ndi se présente à l’élection présidentielle qui a lieu 7 mois plus tard, le 11 octobre de la même année, avec les mêmes textes. Ensuite, 5 ans plus tard, en 1997, le Sdf participe aux élections municipales et législatives organisées avec les mêmes lois. Sans que ceux qui avaient placé leur confiance en ce parti ne sachent pourquoi ce revirement. Plus grave encore, Fru Ndi boycotte cette année-là l’élection présidentielle, évoquant toujours la médiocrité des textes, pourtant les mêmes textes avaient régi les présidentielles 5 ans plutôt et il était candidat.
Cette danse Bafia du Chairman commence à semer le doute dans l’opinion, qui voit désormais en lui un homme politique hésitant et inconstant. Depuis lors, sans que rien ne change dans la loi dans le sens de l’amélioration, le Sdf a été présent à toutes les élections municipales, législatives, sénatoriales et présidentielles. Plus grave encore, avant l’élection présidentielle de 2011, Fru Ndi avait d’abord lancé un mot d’ordre appelant les militants et autres à ne pas s’inscrire sur les listes électorales, pour revenir sur cette décision deux mois avant la clôture de ces listes. Cette année-là, Fru Ndi n’avait cessé de dire qu’il n’y aura pas d’élections au Cameroun avec Elecam. Il expliquera ce revirement aux médias en disant qu’il a finalement tenu compte de « l’intérêt supérieur de la nation ». L’évolution de l’organe en charge de l’organisation des élections, de l’Onel à Elecam, ne pouvait non plus justifier ce refus-acceptation des élections au fil des années, puisque cet organe reste contesté aujourd’hui.
Une bombe à fragmentation

Un autre parti qui a inspiré espoir dès 1991, est l’Union national pour la démocratie et le progrès (Undp). Lancé par feu Samuel Eboua, il draina surtout les foules de la partie septentrionale du pays, présenté comme le parti des ahidjoistes, avec Bello Bouba Maïgari tirant les ficelles dans l’ombre, alors qu’il était encore au Nigéria où il s’était exilé après le coup d’état de 1984. La mainmise de ce dernier sur le parti se confirmera d’ailleurs dès son retour au pays, quand il organisera un congrès à Garoua pour éjecter Samuel Eboua du parti et reprendre les rênes. Il ne tardera pas non plus à diluer les idéologies du parti dans une alliance avec le parti au pouvoir, avec en prime un poste permanent de ministre d’Etat. Plus de possibilité pour les militants de savoir exactement ce qu’il défend, quelle est son idéologie, à quoi renvoie l’Undp comme on peut dire avec exactitude en France que le Front National renvoie à la défense farouche de la nationalité. Comme Fru Ndi, Bello Bouba ne peut être cité comme référence politique.
Quant au parti historique l’Union des Populations du Cameroun, on dirait que ce parti a simplement été frappé par une bombe à fragmentation. Le parti a tellement de factions que l’on se perd, et il est déjà entré au gouvernement sous plusieurs couleurs, représenté soit par Henri Hogbe Nlend, soit par feu Frédéric Augustin Kodock. Qui avait justifié son alliance par cette formule devenue célèbre «quand on se noie on s’accroche à tout, même à un serpent. » Aujourd’hui, la faction représentée à l’Assemblée nationale, vient par la voie de son secrétaire général, le député Robert Bapooh Lipot, d’accorder tout son soutien au candidat du Rdpc. Une autre faction radicale, dite l’Upc des fidèles, présidée aujourd’hui par Albert Moutoudou, continue de lutter contre le néocolonialisme, mais sa voix tarde à porter devant la confusion créée par les luttes intestines qui ont fini par mettre le parti en lambeaux. Aucun modèle à regarder ici non plus. Ekane Anicet avec le Manidem n’a pas convaincu non plus, ni Garga Haman Adji avec l’Add
Intelligence avec le pouvoir

On peut parler de l’Union démocratique du Cameroun, l’Udc de Ndam Njoya principalement confiné dans le département du Noun, avec un leader aux théories incomprises, trop intellectuel pour le Camerounais moyen. On peut parler du Mdr de Dakolé Daïsala aujourd’hui absorbé par le Rdpc, ou du Fnsc de Issa Tchiroma noyé dans le pouvoir, pour ne citer que quelques-uns. Ainsi, toutes les figures politiques révélées depuis 1992 se sont toutes compromises. Elles n’ont pas été à la hauteur de construire une idéologie fédératrice comme on a vu pour Nelson Mandela en Afrique du Sud par exemple.
La paysage politique camerounais est devenu à la fin une mare à crabes, sans un modèle de leader charismatique en mesure de drainer les foules, incarner une idéologie et la défendre. Un leader fidèle à ses positions, qui ne change pas d’idées et d’arguments au fil des années et au gré de propositions alléchantes du pouvoir. Un pouvoir qui est dans son rôle, et qui a réussi à réduire l’opposition au silence, laissant le peuple presque orphelin. Les nouvelles figures politiques montantes pourront-elles tirer les leçons du passé et faire meilleure offre ? Voilà qui reste la grande inconnue.
Roland TSAPI