Le président de la Fondation AfricAvenir International, pionnier de la lutte pour le retour de la mémoire collective africaine, a réalisé de nombreux ouvrages aujourd’hui enseignés dans plusieurs universités du monde, sauf dans son pays le Cameroun. Cette tribune résume les 50 ans de publications internationales du Prince Kum’a Ndumbe III.
“Le Monstre – Lettre a un jeune africain” tel est le titre qui a eu le mérite de paraître sur quatre pages dans la revue parisienne ‘’Jeune Afrique’’ le 6 juillet 1971, révélant ainsi aux yeux du monde un écrivain prolifique, le Prince Kum’a Ndumbe III.
Cet article marque le début d’une longue carrière riche en expérience dans la publication au-delà des frontières. C’est ainsi que le panafricaniste va publier au fil des années d’innombrables ouvrages en duala, français, anglais, allemand et ewondo, etc. Le Prince Kum’a Ndumbe III s’exprime à travers le théâtre, la nouvelle, la lettre, l’essai historique, l’analyse politique et économique, le roman, la poésie et le conte.
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Ayant à son actif 71 ouvrages, l’héritier du trône Bele Bele se fait entendre à l’international à travers des écrits sans concession. L’internationalisme des écrits sur l’Afrique, l’Amérique du Nord et la Chine apparaît ici en 1971 à côté des textes sur le racisme, le colonialisme, les guerres néocoloniales, les élites africaines à la solde de puissances étrangères, l’amour comme une chance et une fête, etc.
Il importe ici de faire une différence entre 50 ans d’écriture et 50 ans de publications internationales car l’auteur avant d’être connu à l’international écrivait déjà depuis quelques années. Il se souvient qu’il n’avait que 14 ans quand Monseigneur Albert Ndogmo, alors Evêque de Nkongsamba corrigeait ses poèmes à Bonambongue, Bakoko-Dibombari. Alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant, sa vision du monde était bien plus grande que son âge, c’est ainsi qu’il écrit alors en 1968 ‘’Aujourd’hui j’ai 24 ans – Testament d’un jeune africain’’. C’est l’engagement pris à ce moment-là qui guidera ses œuvres au fil des années.
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Comme on peut le lire dans son autobiographie ‘’Moi, Kum’a Ndumbe III’’ parue en 2018 à l’occasion de la célébration de ses 50 ans d’écriture, le Prince Kum’a Ndumbe III en vacances à Londres après sa première année de faculté rédige ‘’Lumumba II’’ en allemand pour dévoiler les mécanismes ayant conduit à l’assassinat de Patrice Emery Lumumba. En 1970, il rédige ‘’Ach Kamerun ! Unsere Alte deutsche Kolonie (Ah le Cameroun notre ancienne colonie allemande…)’’ pour dévoiler la nature escroc et criminelle du colonialisme. Ensuite viendra ‘’Das Deutsche Kaiserreich in Kamerun (L’Empire Allemand au Cameroun),’’ mémoire de maîtrise qu’il fait publier plus de trente ans après comme livre.
Inspiré par les situations de la vie, la guerre du Biafra imposée au peuple du Nigeria par l’impérialisme occidental suscite une réponse que l’auteur présente dans la pièce de théâtre ‘’Kafra-Biatanga – Tragödie Afrikas (Kafra-Biatanga – Tragédie de l’Afrique)’’. Tombé amoureux d’une Française, le Prince Kum’a Ndumbe III se demande comment un Africain peut s’unir à une femme blanche sans se trahir et se mentir à lui-même, cela lui inspire le titre ‘’Das Fest der Liebe – Die Chance der Jugend (La fête de l’amour – la chance pour les jeunes)’’. Ces cinq livres en langue allemande rédigés étant à Lyon constituent le socle du travail de la Fondation AfricAvenir International du Prince Kum’a Ndumbe III.
Mais compte tenu du manque d’intérêt des éditeurs allemands pour les textes de l’écrivain camerounais et lui, résidant en France, il se met à formuler sa pensée en langue française. C’est ainsi qu’en 1973, ses premières pièces de théâtre paraissent dans la collection Théâtre africain de Jean Pierre Oswald : ‘’Cannibalisme’’ pour dénoncer la collusion de l’élite africaine avec les exploiteurs blancs de l’Afrique et ‘’Kafra-Biatanga – Tragödie Afrikas’’ pour permettre au public francophone d’accéder à cette pièce majeure rédigée en langue allemande. Plusieurs ouvrages tels que Hitler voulait l’Afrique – Les plans secrets pour une Afrique fasciste 1933-1945, Le Soleil de l’aurore, Amilcar Cabral ou la tempête en Guinée Bissao, Lisa la putain de, Nouvelles Interdites, Africa is Calling, Dialogue en noir et blanc, etc. verront également le jour en France.
Le Prince Kum’a Ndumbe a toujours été particulièrement sensible aux questions racistes. C’est dans cet ordre qu’il écrira en 1971 une lettre ouverte à la mère de Jonathan et Georges Jackson, tués pour des raisons purement racistes aux USA.
Toutefois, une contradiction s’impose, l’œuvre de l’homme n’est ni reconnue ni connue dans son pays, le Cameroun. 71 ouvrages sur l’histoire du Cameroun, de l’Afrique et des Africains et aucun au programme scolaire ni universitaire. Pourtant à l’étranger, les travaux du Prince Kum’a Ndumbe III sont utilisés dans les écoles et les universités. Par exemple sept étudiants de l’Université de Stuttgart en Allemagne ont fait leur mémoire de Master sur les ouvrages de cet écrivain camerounais dont l’engagement n’est plus à démontrer. L’Américaine Sarah Lenox, professeur d’Etudes germaniques à l’Université de Massachussetts aux USA qui a publié plusieurs travaux sur le théâtre en langue allemande du Prince Kum’a Ndumbe III l’aura bien compris.
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En mai et novembre 1978, ‘’Nouvelles Interdites’’ fait l’objet d’une lecture-spectacle organisée par le service culturel municipal et la bibliothèque municipale de Lyon.
Un an plus tard ‘’Au Nom d’une Race’’, conte-théâtral, est mis en scène par la troupe les Soleils Fusillés dans la même ville. Alors qu’il est chef du département d’Etudes Germaniques de l’Université de Yaoundé, le Cameroun commence à réaliser qui est réellement l’homme. C’est ainsi qu’avec l’assistance de l’Institut Goethe, sa pièce de théâtre Cannibalisme est mise en scène par le théâtre universitaire à Yaoundé en 1990.
Lumumba II. est mise en scène à Münster en Allemagne en janvier 2010. Das Fest der Liebe – Die Chance der Jugend, pièce de théâtre sera retenue par l’Unesco – Autriche en mai 2011 et jouée au Lycée Marchettigasse de Vienne par des élèves de classe de Terminale, puis en ville à Vienne et à Bad Ischl.
En mars 2012, alors qu’il s’y attend le moins, le Prince Kum’a Ndumbe III est invité à Salzbourg en Autriche pour un atelier de trois jours pour l’implémentation de son anthologie constituée de 11 volumes en langue allemande, au programme de formation des enseignants de lycées autrichiens. Ce programme est alors financé par le Ministère de l’Enseignement des Arts et de la Culture d’Autriche. Et puisqu’on parlait de contradiction, le même programme a été adapté pour le Cameroun avec pour proposition d’utiliser cette anthologie pour le programme d’enseignement dans les départements d’Etudes germaniques de nos universités, mais a essuyé une réponse défavorable de la part du Ministère des Enseignements Supérieurs qui a évoqué des difficultés financières.
Depuis 50 ans, il ne s’est pas passé une seule année sans que le désormais Professeur Emérites des universités ne fasse une publication. Des publications qui ont toutes en commun la revendication de la restitution de la mémoire collective africaine à travers la réécriture de l’histoire falsifiée et la réhabilitation de la dignité de l’Africain. De retour au Cameroun en 1979, l’écrivain décide de ne plus envoyer de manuscrits en Occident. Devenu Président de l’APEC entendue Association des Poètes et Ecrivains Camerounais, il prend sur lui d’écrire au président Ahmadou Ahidjo pour lui demander de lever la censure sur les livres et met en place sa propre maison d’éditions en 1985 dénommée les Editions AfricAvenir dont le siège est à Bonabéri-Douala et son livre ‘’L’Afrique relève le défi’’ voit le jour la même année. De nombreux ouvrages vont suivre et le plus connu et aimé de tous sera ‘’L’Afrique s’annonce au rendez-vous la tête haute !’’ vendus à plus de 5000 exemplaires. C’est d’ailleurs aux Editions AfricAvenir que verront le jour en 2016 les premiers volumes du projet Africa’s Collective Memory – Témoignages de 176 patriarches et matriarches sur la période coloniale allemande au Cameroun, chacun en sa langue, recueillis entre 1981 et 1986. En 2021, le Prince Kum’a Ndumbe III à travers les Editions AfricAvenir a publié 18 volumes en français, 12 en anglais et 3 en allemand.
50 ans d’engagement et le Prince Kum’a Ndumbe n’est pas prêt de s’arrêter en si bon chemin, lui qui annonce pour les tous prochains mois la sortie de son nouvel essai ‘’Tu ne diras plus que tu ne savais pas !’’ Voici présenté de façon très sommaire le Prince Bele Bele dans l’immensité de son parcours d’écrivain. Toute cette richesse littéraire et scientifique est disponible à la Fondation AfricAvenir. Ainsi, à partir d’aujourd’hui tu ne diras plus que tu ne savais pas.
Jessica Nkenne, Assistante aux Editions AfricAvenir