- Advertisement -spot_img
AccueilA La UneDr. Sylvain Nkom : «Les gens qui aiment le Cameroun ne peuvent...

Dr. Sylvain Nkom : «Les gens qui aiment le Cameroun ne peuvent pas pondre une chose pareille»

- Advertisement -spot_img

Arrivé dans le monde du spectacle par curiosité et sursaut patriotique, ce médecin de profession et ancien joueur de football fait partie des premiers organisateurs de spectacles au Cameroun. Petit Pays par exemple lui doit son premier spectacle au stade Mbappè Leppé, Yannick Noah, Alpha Blondy, Richard Bona, Miriam Makeba et bien d’autres artistes se sont produits au Cameroun par ses bons offices, avec sa maison de production Universal Prod. Dans cet entretien, Sylvain Nkom, présenté comme le doyen des entrepreneurs de spectacles au Cameroun, jette un regard froid dans ce secteur d’activité en mal d’organisation. Aussi, dénonce-t-il la concurrence déloyale que leur mènent les entreprises de téléphonie mobile et brassicole, le ministère des Arts et de la Culture et celui des sports à travers l’acquisition de matériel de sonorisation.

 

Dites-nous succinctement qui est Sylvain Nkom ?

Je n’aime pas beaucoup cet exercice, mais comme vous me le demandez, je vais le faire. Je suis né à Douala, j’y ai grandi. J’ai été au Lycée technique, ensuite je suis parti au Lycée Joss. Après le Lycée Joss, je suis allé en Europe poursuivre mes études de médecine que j’ai parachevées à Dakar au Sénégal. Au-delà de l’école que mon père nous forçait à faire, parce qu’il était un presbytérien pur et dur qui pensait que sans travail, sans beaucoup de travail, un Homme ne parvient à rien. Mais un homme ne s’accomplit pas seulement par ce qu’il a appris, parce que ce sont d’autres gens qui te l’ont montré. Alors, quand nous grandissons au quartier Nkongmondo où j’ai passé les plus beaux moments de ma vie entouré d’autres jeunes, très vite, j’ai été piqué par le virus du football qui était beaucoup pratiqué dans le quartier. Lorsque je suis allé au Lycée Joss, je pratiquais aussi d’autres sports. Je jouais au volley-ball, au handball, au basketball mais beaucoup plus au football. A cette époque, beaucoup de gens n’avaient pas la chance de fréquenter le Lycée Joss. Et moi, ce qui m’intéressait, c’est ce qui se passait dans mon quartier. C’était mon environnement ambiant. Lorsque je jouais au football, j’ai retenu l’attention de beaucoup de personnes, si bien que j’ai joué dans la Dynamo dès l’âge de 14 ans. J’ai été appelé à l’équipe nationale plusieurs fois. Un jour, pendant un match, deux personnes -parmi lesquelles un très grand footballeur, Ndoumbe Mondo- ont proposé de m’emmener. Malgré les réticences de mon père, je suis allé. J’avoue que ça a été très difficile, concilier le football et les études de médecine. Il fallait que je fasse un choix. Dans un premier temps, j’avais choisi de faire mes études parce que mon père y tenait beaucoup. Après, lorsque je suis allé à Dakar parachever mes études comme je vous l’ai dit tantôt, le virus du football m’a à nouveau piqué. En même temps que je faisais mes études, je jouais au football là-bas. Vous savez qu’en médecine, plus tu évolues, moins il y a du travail. J’ai été dans l’un des plus grands clubs là-bas ; nous avons été cinq fois champion du Sénégal, nous avons gagné trois coupes du Sénégal, on a fait un ¼ de finale de la Coupe d’Afrique des clubs. Il faut dire que le football pour moi, n’était pas seulement un passe-temps, mais une activité qui venait m’oxygéner et qui m’a mis à l’abri de certains dérapages. Et je lui en suis reconnaissant.

Vous êtes Chirurgien-dentiste de profession, qu’est-ce-qui vous a amené dans l’industrie du spectacle ?

Lorsque je rentre au Cameroun, j’ai toutes les difficultés du monde pour exercer mon métier, à cause d’une lenteur bureaucratique. Pour avoir l’autorisation d’exercer, j’ai déposé pas moins de trente-cinq dossiers. Puis un beau jour, je suis dans mon cabinet, je vois des gens qui viennent et me disent voilà votre autorisation. J’ai donc commencé à exercer mon métier. Pendant ce temps, les soirs après le travail, j’allais jouer dans les cabarets. A l’époque il y avait de vrais et de bons cabarets. Je rencontrais des musiciens, je jouais avec eux, puis je rentrais me coucher pour affronter la journée du lendemain. Un jour, je lis dans un journal qu’il y a eu du grabuge au stade de Bépanda. Il s’est passé qu’un certain monsieur dont je tais le nom, avait organisé un concert et réuni trente mille personnes. Mais, le concert a tourné au vinaigre du fait d’un son inaudible. Dans la colère, ils ont tout cassé et pratiquement brûlé le stade. Mais j’ai trouvé qu’il est un génie. Il a pêché par une seule chose : du côté de la technique. Mais dans le marketing et la communication, il a réussi un exploit. Ceci a réveillé mon attention et m’a suggéré de trouver des solutions pour y remédier. Je me suis donc mis, avec mes propres ressources, à acheter du matériel. À cette époque, seul le Centre culturel Français (aujourd’hui Institut français du Cameroun, Ifc, ndlr), organisait des concerts et il était cité en référence, parce que leurs concerts commençaient à l’heure et étaient bien organisés. J’ai essayé de comprendre pourquoi leurs concerts respectaient les horaires annoncés, et j’ai compris que c’était toute une machine bien huilée avec un budget disponible. Par contre, les producteurs de spectacles camerounais malgré toute la sincérité et l’envie de bien faire, sont toujours heurtés par l’insuffisance de moyens car il n’y a pas de cadre leur permettant de trouver les financements, soit par les banques soit par les sponsors. Lorsque le producteur promet par exemple de donner 20.000 Fcfa à un artiste, il le lui dit avec toute la sincérité du monde, car il tient à la prestation. Cependant, le cachet de l’artiste n’étant  qu’une partie du budget, il se retrouve dans l’obligation de faire des arbitrages budgétaires. Rien ne sert de donner 20.000 Fcfa à l’artiste et ne pas payer la salle, la sonorisation et toutes les taxes afférentes. Fin des comptes, on essaye de colmater par ci par là, de négocier avec l’artiste. Finalement le concert commence tard. C’est un des facteurs, entre autres, qui retardent souvent les débuts des concerts. J’ai décidé de rectifier le tir à ma manière. Voilà en quelque sorte ce qui m’amène dans l’industrie du spectacle. L’idée était de se dire, si certaines personnes peuvent le faire, pourquoi pas les Camerounais. Et nous avons travaillé dur pour cela.

Et si on revenait sur vos faits d’armes…

La liste est longue. Je citerai quelques têtes de proue ; sur le plan national, je citerai Eboa Lottin. On avait refait le spectacle vivant d’Eboa Lottin, Petit Pays. J’étais le premier à organiser son spectacle au stade de Mbappè Leppé où il y avait un monde fou. J’en oublie certainement d’autres. Maintenant à l’international, il y a Meiway, Koffi Olomidé, Fally Ipupa, Alpha Blondy, Yannick Noah, Saly Nyollo, Henry Dikonguè, Etienne Mbappè, Miriam Makeba, Richard Bona, Elvis Kemayo, Don Moen, Lokua Kanza, Youssou N’Dour, Ismaël Lo, Emmanuel Pi Djob, Monique Seka et j’en passe. On a été faire des concerts à Sao Tomé, au Tchad, en Centrafrique, au Gabon.

Arrivé dans le monde du spectacle par curiosité et sursaut patriotique, ce médecin de profession et ancien joueur de football fait partie des premiers organisateurs de spectacles au Cameroun. Petit Pays par exemple lui doit son premier spectacle au stade Mbappè Leppé, Yannick Noah, Alpha Blondy, Richard Bona, Miriam Makeba
Alain Oyono sur scène.

Lire aussi :Politique culturelle : vers la fin des spectacles vivants au Cameroun

Cette activité nourrit-elle son homme. Quelles sont les difficultés qu’on y rencontre ?

Dans mon cas, pendant longtemps, je ne me suis pas posé cette question parce que mon travail me permettait de subvenir à mes besoins. Au lieu de dépenser mon argent dans la construction d’immeubles, des billets d’avion pour aller vivre à Paris, l’argent que je gagnais, je le mettais à la disposition de ma passion : le spectacle. Toutefois, je peux dire que si le secteur était bien organisé, ça pourrait faire vivre son homme. Qu’est-ce que cela signifie? Faire le marketing autour de cette activité, créer des conditions des pôles d’expression culturelle que nous n’avons pas. Un artiste est un créateur des œuvres de l’esprit. Ceci pourrait devenir une industrie. Créer une œuvre n’est pas la chose la plus difficile pour un artiste inspiré. Le plus difficile c’est de vendre le produit qui s’en suit. En effet quand il est livré au public, il y a ceux qui ne peuvent pas l’acheter du fait de ses contre-indications. Il y a ceux qui peuvent l’acheter mais le « goût » ne leur plait pas. Il y a ceux qui ne l’achètent pas à cause peut-être de l’emballage. Bref, il y a plein de paramètres objectifs et subjectifs. Il faut donc concilier tout cela et vendre. Nos artistes, généralement, sont des générations spontanées. La musique n’est qu’intuitive chez nous. Mais l’intuition ne fait pas tout. Lorsque par intuition, tu as réalisé une œuvre, il faut la faire connaître. Pour cela, il y a d’autres corps de métiers qui entrent en jeu pour mettre cette intuition en valeur en respectant le rôle de chacun.  Chez nous, nous avons des gens qui sont à la fois auteur, compositeur, interprète, arrangeur et même organisateur des spectacles. Pourtant très peu ont ces qualités. L’humilité doit être de mise. Nous sommes dans un pays semble-t-il organisé et démocratique ayant pour corollaire le respect des institutions, nous avons à ce titre confié la gestion de nos destins à la République. Nous sommes parfois surpris de l’attitude et le comportement de nos tutélaires qui, au lieu de proposer des lois qui protègent l’exercice de nos activités, se retrouvent en face de nous comme des concurrents.  Il faut qu’ils nous facilitent le travail et pas de nous le compliquer. En mettant des outils qui permettent à toute cette chaîne que je viens de vous citer, de travailler normalement. L’expression de tout ce que nous venons de dire lorsqu’on fait un disque ou un concert, ce sont des salles de spectacle, l’acoustique, la fiscalité qu’on met en place, toutes ces choses doivent être étudiées toujours dans l’intérêt de cette chaîne.  Les fonctionnaires, de leurs bureaux, pondent les textes sans consulter les intéressés et de surcroit, font tout pour que ces textes deviennent des lois, donc applicables à tous.

Lire aussi : Limbe : la belle aux charmes envoûtants

Quelle lecture faites-vous de la trajectoire de cette activité depuis que vous vous y êtes intéressés à ce jour ?

Lorsque nous commencions cette affaire, il n’y avait pas de concurrence. Le Cameroun est le seul pays où la concurrence, au lieu d’améliorer les choses pour le public, vient la défaire et ramener le public au niveau le plus bas. Ce qui veut dire qu’actuellement, les choses se dégradent. La médiocrité s’est installée. Il y a des aventuriers qui font des choses d’une manière scélérate, inconstante, indigne. Les concerts n’obéissent plus aux impératifs d’organisation d’un concert. Vous avez des gens qui organisent des concerts avec un son catastrophique, un problème de fluidité d’entrée dans les salles parce qu’elles sont pleines…bref le respect des normes pour la réalisation d’un bon concert.

Les entrepreneurs de spectacle n’ont pas toujours bonne presse au Cameroun. Il se dit qu’ils ne payent pas les cachets des artistes. Les concerts ne commencent jamais à l’heure. Qu’est-ce qui explique cela?

Je crois l’avoir dit plus haut lorsque je parlais du Centre culturel français qui lui, a des budgets et tous les moyens du monde pour réussir. Comme c’est un métier qui n’est pas organisé au Cameroun, il y a des conséquences. Est-ce-que le ministère de la culture est déjà allé auprès des banques pour faire un plaidoyer pour financer la culture? Non. Tout le monde entre dans cette activité par passion. L’entrepreneur culturel est un homme d’affaires. À partir de là, il faut se méfier de lui. Où fera-t-il des profits? Est-ce sur le dos de l’artiste, de la salle? S’il faut par exemple louer le palais des sports de Yaoundé qui est onéreux, s’il constate qu’il ne pourra pas faire de bénéfice, il va aller prendre une salle moins chère que celle-là, qui ne répond à aucun critère, question de faire des économies. Il n’y a aucun projet économique autour de ce secteur d’activités.

Lire aussi :Arts et Culture : les artistes camerounais ont-ils des couilles ?

Parlons à présent de cette décision du 21 janvier 2021 portant modification de la décision n° 0194 du 26 octobre 2019 fixant les montants dus au titre de délivrance des licences d’entrepreneurs de spectacles vivants ?

Le ministre Bidoung Kpwatt exigent des entrepreneurs de spectacles deux à quatre millions Fcfa pour l’obtention des licences d’entrepreneurs de spectacles.
Le ministre Bidoung Mpkatt

Vraiment, excusez-moi, je ne veux même pas la commenter. Comment voulez-vous que je commente quelque chose qui, pour moi, est une aberration. Je n’ai même pas l’impression que ce sont des gens qui aiment le Cameroun, qui peuvent s’asseoir et pondre une chose pareille, sur une activité qui ne marche déjà pas. Est-ce qu’ils ont cherché à savoir quoi faire pour l’améliorer? Quand on parle de licence, une licence est-elle seulement sujette à verser une somme d’argent? Que fait-on de la qualité morale de la personne? Par le passé, on faisait des enquêtes de moralité. Est-ce-à dire que si quelqu’un est sorti de prison pour malversation financière, il a tué, et il dispose de l’argent, il peut avoir une licence? Pour moi, le versant le plus important c’est l’enquête de moralité. Ensuite les faits d’armes : qu’as-tu déjà fait? C’est à la fin, quand tous ces critères sont réunis qu’on peut t’octroyer une licence. J’en arrive au budget.   En tant qu’entrepreneur, comme je le disais tantôt, il faut que l’Etat nous balise le terrain. Mais l’Etat nous met au même piédestal que les Brasseries du Cameroun, Orange, Mtn qui, dans leur raison sociale n’ont pas le droit d’organiser quoi que ce soit. Le ministère de la culture qui est notre rempart devrait élaguer tous ces problèmes et nous dire,  »nous avons enlevé toutes les mauvaises herbes, le gazon est bon, vous pouvez maintenant vous asseoir pour travailler ». Mais pour entretenir ce bon gazon, il faudrait que chacun paye x montant convenu. Y’a-t-il des salles de spectacles avec assez de places pour nous permettre de faire des bénéfices et de mieux rémunérer tous les intervenants dans cette chaîne? Non. Maintenant, nous en arrivons au pouvoir d’achat. Ne pas avoir de salle à forte contenance impacte sur le prix du billet, selon que c’est une salle de 2000 ou 5000 places. A titre d’exemple : vous avez dépensé 40 millions qui concernent l’achat des billets d’avion, le cachet de l’artiste, la communication, les transports, l’hébergement…, et vous ne disposez que de 1000 places. Lorsque vous additionnez tous ces intrants, le prix de revient du billet avoisinerait les 40.000 Fcfa, et ceci ne peut se réaliser que si les sponsors interviennent pour réduire le prix de ce billet. Vous les journalistes avez un rôle à jouer, celui de bien comprendre les problèmes des artistes afin de mieux les dénoncer. En guise d’exemple, où jouent les musiciens et les artistes? Dans les cabarets où ils sont maltraités par les propriétaires, peut-être parce qu’ils ne sont pas contractualisés. Un beau matin le propriétaire peut te virer suite à une mauvaise humeur. Les artistes également n’ont pas toujours un comportement digne. Il vient aujourd’hui, demain il est absent, ainsi de suite. Il faut qu’on examine tout cela pour comprendre, débattre avec le ministère, en incluant tous les acteurs, pas seulement ceux acquis à leur cause. Au terme de ce débat, on verra si les apports des uns et des autres auront contribué à améliorer la situation.

Comment entrevoyez-vous l’avenir de ce secteur ?

Dites-moi, est-ce que le ministère de l’industrie a le droit de créer une société brassicole ou une industrie de chaussures par exemple? Est-ce sa vocation? Pourquoi quand il s’agit de la musique et des spectacles, on laisse le ministère de la culture, le ministère des sports acheter du matériel de sonorisation pour concurrencer ceux qui y ont investi? Ils prennent l’argent du contribuable pour venir concurrencer les opérateurs du secteur. Quand je suis entré dans cette affaire, c’était pour créer une émulation pour que les gens y investissent. On se croirait en Birmanie ou dans les régimes communistes où tout revient à l’Etat. Pourtant au Cameroun, le président de la République a tout libéralisé.

Entretien avec Blanchard BIHEL

- Advertisement -spot_img
- Advertisement -spot_img
Restez Connectés
16,985FansJ'aime
2,458SuiveursSuivre
61,453AbonnésS'abonner
Coup De Cœur
- Advertisement -spot_img

LAISSEZ UNE REPONSE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Articles Similaires
- Advertisement -spot_img