11 ans après l’entrée en vigueur du Nouveau Code de procédure pénal au Cameroun, la commission prévue dans cette loi pour lutter contre les gardes à vue et les détentions abusives vient d’être installée. Mais que peut-on attendre d’elle ?

Le 8 août 2018, le premier président de la Cour Suprême du Cameroun, Daniel Mekobe Sone, a installé au sein de l’institution qu’il préside, une commission de 18 membres, chargés de l’indemnisation des personnes victimes de garde-à-vue et détention provisoire abusives. Cette commission sera désormais chargée de l’application de l’article 236 du Nouveau Code de procédure pénale, qui stipule que «toute personne ayant fait l’objet d’une garde à vue ou d’une détention provisoire abusive peut, lorsque la procédure aboutit à une décision de non-lieu ou d’acquittement devenue irrévocable, obtenir une indemnité si elle établit qu’elle a subi du fait de sa détention un préjudice actuel d’une gravité particulière. »
Plus simplement exprimé, puisque ce sont les simples citoyens qui sont le plus souvent victimes, cette loi est en train de dire que si un citoyen est arrêté comme on le voit souvent, juste parce qu’un adversaire, un patron ou une élite veut lui montrer qu’il a des relations et du pouvoir, et qu’il est libéré après deux jours au commissariat ou à la gendarmerie, il peut désormais saisir cette commission pour réclamer une indemnité. Il en est de même pour ceux qui passent des mois voire des années en prison sans jugement, et s’entendent un jour dire qu’ils peuvent rentrer chez eux, sans savoir pourquoi ils étaient là ni pourquoi ils ne doivent plus être là. L’annonce de l’installation de cette commission a été bien accueillie, et les médias ont tôt fait d’annoncer la fin de l’impunité des hommes en tenue ou des juges habitués à ces pratiques. Mais là c’était crier victoire trop tôt, puisque cette affaire au fond s’avère plus compliqué que cela.
Une loi viciée
D’abord la loi qui institue cette indemnité est viciée, car la victime ne peut réclamer quoi que ce soit que « si elle établit qu’elle a subi du fait de sa détention un préjudice actuel d’une gravité particulière». Et dans le Quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 9 août 2018, Me Pierre Robert Fojou, avocat au barreau du Cameroun, donnait des détails. Il explique : « L’indemnité sollicitée doit être justifiée. Il faut notamment établir que la garde à vue ou la détention abusive a causé un préjudice actuel c’est-à-dire concomitant et contemporain avec la détention ou la garde à vue et qui est d’une gravité particulière : perte d’un emploi, non-assistance à ses ayants droits ou conjoint lorsqu’on était détenu, perte de revenus d’une activité économique ou agropastorale lorsque la victime en était la ressource première etc… »

D’après cette explication, un Camerounais qui est arrêté et gardé en cellule pendant deux jours le weekend par abus a peu de chance de réclamer et obtenir une indemnité, parce qu’il n’a rien perdu ou qu’il n’a pas donné à manger chez lui pendant un jour. La loi dit d’ailleurs que le préjudice doit être d’une gravité particulière, et ce n’est sûrement pas la victime qui détermine la gravité du préjudice. Pareil pour un chercheur d’emploi, qui peut abusivement être mis en prison pour un mois et ne pouvoir rien demander, puisqu’il ne peut prouver que cette détention lui a fait perdre son travail. Même s’il devait aller à un entretien d’embauche on pourra lui dire que rien ne garantit qu’il allait le passer avec succès, il ne peut non plus se plaindre de ne s’être pas occupé de ses proches parce qu’il ne le faisait pas avant. Le « Si » introduit dans cette loi est donc une limite qui rend les choses plus difficile. Et quand la loi parle de prouver qu’il y a préjudice grave, que fait-elle du traumatisme psychologique subit par la victime, dans un contexte ou la simple interpellation d’un citoyen jette l’opprobre sur lui ? S’il passe une nuit au commissariat il est définitivement étiqueté, combien de fois s’il a fait des semaines dans une cellule pour le cas de la garde à vue, ou des années dans une prison pour la détention abusive ?
Victime de la centralisation
Ensuite, la Commission est logée à la Cour Suprême à Yaoundé. C’est dire que les victimes doivent s’y rendre pour faire entendre leurs causes. Au Cameroun, c’est une lapalissade que de dire que les abus connaissent un terrain prospère en zone rurale. Les policiers ou les gendarmes y règnent encore en maître, ils dictent la loi, enfin leur loi à volonté. Quelle victime quittera l’Extrême Nord Cameroun, le fin-fond de l’Est, les forêts enclavées du Sud ou les montagnes de l’Ouest pour venir à Yaoundé dire qu’un policier l’a gardé pendant 5 jours pour rien ? Et même si dans l’opérationnalité les requêtes pourraient être déposées dans les juridictions inférieures en régions, elles finiront par être acheminées à Yaoundé où est basée la commission, qui ne pourra sûrement jamais se déporter en région pour connaître des cas. Cela éloigne de facto une bonne partie des victimes des abus.
Enfin, quel poids donner à une Commission créée 11 ans après l’entrée en vigueur du Nouveau Code de procédure pénale qui l’institut ? Il n’est même pas certain que le ministre de la justice aie honoré cette installation de sa présence, encore moins le Délégué Général à la Sûreté nationale ou le Secrétaire d’Etat à la défense en charge de la gendarmerie, dont les personnels sont visés.
Cameroon Tribune parle plutôt de la présence de quelques membres du gouvernement, dont le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary et son collègue de la Fonction publique et de la Réforme administrative, Joseph LE. Comme l’a rappelé Luc Ndjodo, procureur général près la Cour suprême, le rôle de cette commission est de «réparer les conséquences dommageables des inconduites des fonctionnaires auxquels la loi donne le pouvoir d’ordonner la garde à vue et la détention provisoire». Encore faudrait-il qu’elle ait les moyens de sa politique.
Roland TSAPI