Le Gouverneur de la BEAC, répulsif à la cryptomonnaie, et gardien du temple FCFA dans la sous-région, a créé un groupe de travail pour réfléchir une fois de plus sur une monnaie numérique de la structure. Le patron de l’institution d’émission a d’ailleurs appelé le Fonds Monétaire International à la rescousse, ignorant ainsi l’expertise africaine pourtant convoitée à l’international.
Par décision du Gouverneur n°144/GR/2023, il « est créé un groupe de travail chargé d’effectuer, en étroite collaboration avec le Fonds Monétaire International, le suivi et la mise en œuvre des travaux relatifs à la réflexion sur une monnaie numérique de la BEAC », lit-on dans la décision du 13 septembre 2023 du Gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale –BEAC-. Le Tchadien Abbas Mahamat Tolli nomme comme superviseur dudit groupe de travail de dix membres, Ivan Bacale Ebe Molina. « Indécision, mauvaise foi, rétropédalage…», chaque observateur se fait son opinion quant à la position réelle du Gouverneur de la BEAC. Si on reste factuel, le moins sera de reconnaître qu’il n’a jamais démontré sa bonne foi pour une souveraineté financière de l’Afrique centrale, tout comme le FMI qu’il associe à la table des réflexions pour la mise sur pied d’une cryptomonnaie.
Affaire Simb
Depuis 2020, Global Investment Trading (GIT S.A) a négocié en vain des rendez-vous avec la Cosumaf (Commission de surveillance des marchés financiers en Afrique Centrale) pour lui expliquer les contours et les méandres de la monnaie décentralisée. Face au refus du gendarme financier de la sous-région, pourtant ignorante de cette nouvelle politique financière, Emile Parfait Simb s’est replié sur le ministère des Finances du Cameroun. Il y a eu des audiences, avec notamment à l’ordre du jour, la présentation générale de GIT, sa vision stratégique, son plan d’activités, la nature de ses activités, les plateformes utilisées dans les différentes transactions, les mécanismes de conversion des cryptos actifs en actifs conventionnels…
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Le souci de l’homme d’affaires camerounais était d’abord la mise sur pied d’un cadre juridique et réglementaire autour des cryptos actifs, mais aussi être accompagné par son pays en tant que promoteur et précurseur des activités de la monnaie numérique en Afrique francophone. « Sauf que plus il manifestait le désir de clairvoyance et d’encadrement de ce secteur, plus il creusait sa tombe. C’est ainsi qu’en 2021 et 2022, la BEAC a manigancé pour que les banques partenaires à Liyeplimal bloquent tous les comptes de GIT S.A, unilatéralement, sans explication ni préavis. Pourtant c’est dans ces banques que les clients présents dans plus de 100 pays, échangeaient leurs cryptos Limo contre du cash. Plus de 300.000 personnes ont été victimes de ces abus de la BEAC. Fort heureusement, Monsieur Simb a eu le génie de coter l’entreprise en bourse et la placer dans les marchés financiers internationaux. Ainsi, les clients peu importe leur pays, fassent des opérations sans plus avoir besoin d’une carte de retrait ou d’un mobile money. Vous croyez que cette BEAC qui a voulu tuer économiquement un investisseur, tuer la monnaie décentralisée, va produire quoi de sérieux aujourd’hui avec son fameux groupe de travail ? » S’interroge sous cape, un ancien proche collaborateur de Emile Parfait Simb. Il ne croit pas du tout à un résultat probant du groupe de travail de la BEAC.
A côté de cette réalité, le pessimisme qui entoure le projet de la BEAC se justifie par le fait qu’Abbas Mahamat Tolli n’a jamais manifesté un amour, soit-il singulier, pour les cryptos actifs en Afrique centrale, du moins, quand les initiatives sont portées par des Africains. Pendant que Limocoin est combattu, Binance pénètre ouvertement les pays de la sous-région et ses affiches publicitaires occupent des panneaux dans plusieurs coins stratégiques de nos grandes métropoles. Dans le même temps, l’initiative Sango en République centrafricaine peine à voir le jour. Après son adoption par l’Assemblée nationale et sa promulgation par le Président Faustin Archange Touadéra en mai 2022, Sango coin qui vise la souveraineté monétaire de la RCA, flotte toujours dans les bureaux feutrés de la BEAC.
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Réuni en session extraordinaire autour de la monnaie numérique dans la zone Cemac, le 20 juillet 2022 à Douala, le Conseil d’administration avait «accueilli favorable l’expression par la République centrafricaine de son attachement à la monnaie unique et au respect des statuts de la Banque des Etats de l’Afrique centrale, des textes régissant l’Union monétaire et de ses engagements communautaires », indiquait le communiqué de presse du Conseil signé de son président, Hervé Ndoba. La BEAC avait alors reçu instruction de «poursuivre les actions en faveur de l’inclusion financière et de la modernisation de ses infrastructures ainsi que la réflexion visant à créer une monnaie numérique de banque centrale.»
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Adepte du rétropédalage, la BEAC n’avait pas tardé à tuer l’espoir des fervents défenseurs de la finance décentralisée. D’ailleurs, le Gouverneur Abbas Mahamat Tolli, avait accordé une interview à Jeune Afrique dans laquelle il rassurait que la monnaie coloniale battue en France demeure la seule en Afrique centrale : «Il n’y a qu’une seule monnaie dans la zone, le franc CFA, et il n’a pas encore de forme virtuelle. Pour nous, les cryptomonnaies n’ont pas de vocation transactionnelle. D’ailleurs, la Cobac [Commission bancaire de l’Afrique centrale] a interdit aux établissements de crédit et aux sociétés de paiement ainsi qu’à leurs partenaires et aux bureaux de change de souscrire ou de détenir, pour leur propre compte ou pour le compte de tiers, de la cryptomonnaie».
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Au regard de ces déclarations, quel autre espoir peut naître de ce groupe de travail ? De plus c’est le deuxième du genre. Le premier avait été officieusement créé depuis 2021. Au lieu de requérir l’expérience de l’érudit Emile Parfait Simb que la Russie et l’Asie nous envient, la BEAC a envoyé le groupe de travail à Dubaï. En dehors des frais de mission consommés, ses réflexions ont visiblement accouché d’une souris.
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La preuve, son résultat affiche feuille blanche. Aujourd’hui, la BEAC tend la main au Fonds Monétaire International pour l’aider à réfléchir sur la monnaie numérique de la BEAC. Certainement parce que le FMI, longtemps réfractaire aux cryptos, travaille depuis 2023 sur l’opérabilité des Monnaies numériques de banques centrales (MNBC). Emile Parfait Simb en parlait depuis, mais il prêchait dans le désert. Peut-être parce qu’il est Africain et Camerounais de surcroit. Puisque le FMI a parlé, peut-être que la BEAC va bouger.
Valgadine TONGA