Ce n’est pas un décret, mais c’est un acte gouvernemental à la mesure de ce qui était attendu au lendemain de la prestation de serment du président Paul Biya. Il s’agit de ce communiqué signé le 13 décembre par le secrétaire général de la présidence de la République Ferdinand Ngo Ngoh. 289 Camerounais poursuivis dans les tribunaux militaires vont en effet recouvrer la liberté sur l’ensemble du territoire, et seront désormais libres de toute accusation des faits commis dans le cadre de la crise anglophone. Mieux vaut tard que jamais dit le proverbe. Et un tien vaut mieux que rien tu l’auras. Paul Biya vient de donner là un peu de ce qui lui est demandé depuis près de deux ans, à savoir libérer toutes les personnes incarcérées dans le cadre de cette crise pour décrisper l’atmosphère. En dehors des organisations non gouvernementales internationales et nationales, la demande a également été faite par deux instances au niveau local, qui présentaient quelques particularités.
Le temps présidentiel

D’abord par la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme, encore appelée la Commission Musongue, du nom de l’ancien premier ministre Peter Mafany Musongue qui en est le président. A l’issue d’une mission d’écoute menée à Bamenda en juin 2018, elle avait rendu publique un communiqué faisant état de ses conclusions. D’après le communiqué, les personnes rencontrées dans le cadre de la mission, et qui se sont exprimées librement, ont largement souhaité que pour qu’un dialogue franc ait lieu, toutes les personnes arrêtées et gardées dans les prisons devaient être libérées. La demande n’a pas eu de suite, et certains Camerounais ont même trouvé le moyen de s’en moquer. Lire aussi :Crise anglophone : les premières propositions de la Commission Musongue
Ensuite, c’est la communauté religieuse, par la voix du Cardinal Christian Tumi connu comme la plus haute autorité dans le milieu catholique camerounais, qui a formulé la demande. Avec les leaders des autres congrégations religieuses, il a initié une conférence générale anglophone qui devait se tenir Buea la capitale régionale du Sud-Ouest. Lire aussi :Cardinal Christian Tumi : «L’Etat n’a pas annulé la conférence. Il a dit pas maintenant»
L’un des préalables souhaité par eux et sollicité chez le gouvernement, était la libération inconditionnelle des personnes arrêtées dans le cadre de cette crise. Dans les ébauches de solutions, il était impossible d’envisager le dialogue que tout le monde appelle avec les principaux acteurs en prison.
Paul Biya a pris le temps présidentiel pour accéder à cette demande, et sa réponse bien que tardive, élargie davantage la voie du dialogue et devrait être rangée dans le série de mesures qui restent attendues pour l’amorce définitive de la sortie de cette crise anglophone dont les conséquences depuis deux ans sont lourdes pour le Cameroun.
Démarche inachevée
Comme exemple venu d’outre-mer, la France aussi est en ce moment traversée par une crise socio-économique. Et l’on a vu comment le président Emmanuel Macron a au départ minimisé l’ampleur de la situation, mais s’est rapidement rendu compte que le mal était plus profond qu’il ne le pensait. Une mesure de suppression de la taxe sur le pétrole à l’origine de la grogne, de multiples rencontres faites par son premier ministre, n’ont pas suffi à désamorcer la crise, il a compris qu’il fallait s’adresser au peuple. Au cours d’une sortie télévisée le 10 décembre, il a fait mieux que de s’adresser au peuple, il a conversé avec lui. Il a reconnu avoir sous-estimé la situation et a profondément marqué son regret qu’on en soit arrivé là. 13 minutes lui ont suffi pour cela. Le chef de l’État a commencé par dire qu’il comprenait la colère des gilets jaunes, a condamné les violences de ces derniers jours dans le pays. Il a surtout reconnu qu’il avait pu blesser ses compatriotes à travers ses propos depuis qu’il a été élu, avant de terminer par une série d’annonces. Parmi lesquelles la rencontre avec les maires des communes, région par région, pour bâtir, dit-il, le socle d’un nouveau contrat pour la nation. La crise ne s’est pour autant pas estompée comme des nuages, mais elle a été sérieusement atténuée, la vague de violence a diminué et l’air est devenu plus respirable. Grace à 13 minutes de discours et une promesse de rencontrer les maires.
Au Cameroun, le constat aujourd’hui est que la crise a atteint un tel niveau d’enlisement que les mesures prises sur du papier ne suffisent plus. La création le 30 novembre et la nomination à sa tête d’un comité de démobilisation, de désarmement et de réinsertion, n’a pas empêché que le lendemain les violences et les enlèvements continuent. Le prochain geste du Président Paul Biya pourrait aussi être, comme ailleurs, non pas une décision rendue publique à travers un communiqué signé par un tiers fusse –t-il son secrétaire général, mais une adresse au peuple, mieux une communion avec le peuple. 13 minutes pourront aussi suffire, et même un peu moins.
Roland TSAPI