Le candidat du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) a souhaité entre autres que le contentieux post-électoral soit examiné par une autre juridiction.
Dans la salle d’audience du Conseil constitutionnel au rez-de-chaussée du Palais des congrès de Yaoundé hier mardi 16 octobre 2018, le Conseil constitutionnel vivait son baptême de feu pour trancher un contentieux lié à une élection présidentielle. D’entrée de jeu, les débat portant même sur l’impartialité de certains membres du Conseil a jeté une panique certaine dans les rangs. Les hostilités se sont ouvertes avec la requête du candidat Maurice Kamto qui, avec un conseil bien constitué, sollicitait de la haute instance juridictionnelle une récusation de certains conseillers pour cause d’impartialité et de ce fait, sollicitait en même temps du Conseil de déclarer son incompétence pour connaître des différentes affaires présentées devant elle. En ce qui concerne l’impartialité, le conseil du candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun a invoqué une batterie d’instruments juridiques, internationaux et nationaux qui toutes établissent l’impartialité du juge électoral.

Les fondements de l’impartialité
Les textes juridiques qui motivent à la demande de l’exigence de l’impartialité des sages du Conseil constitutionnel siégeant en matière électorale ont été déclinés par le conseil de Maurice Kamto. Il s’agir essentiellement du Pacte des droits civils et politique de 1966 qui en son article 14 parle d’une juridiction impartiale et compétente. Ensuite, la Charte africaine du droit des peuples qui en son article 7 insiste sur la nécessité pour tout justiciable d’être jugé devant une juridiction impartiale. En plus, l’article 5 de la loi de 2004 qui fixe le statut des membres du Conseil constitutionnel. En la matière, le législateur a exigé du Conseiller constitutionnel de ne pas prendre position publiquement. Cet article veut éviter de laisser croire que l’indépendance et l’impartialité de la haute juridiction pourraient être compromises. Certains de ses membres ont encore de ce fait des liens évidents avec le parti au pouvoir ou sont en effet encore des membres influents. Ainsi, Jean-Baptiste Baskouda est membre du Bureau politique et Comité central du Rdpc. Il en va de même pour Emmanuel Bonde, qui est un membre influent du même parti. Foumane Akame, n’est pas en reste car son nom figure même au nombre de ceux qui ont adressé des appels à la candidature de Paul Biya.
Quant au président du Conseil constitutionnel, Clément Atangana, son épouse est député Rdpc. Le juge va trancher rejeter les demandes en indiquant que Kamto n’a pas qualité pour récuser un membre du Conseil constitutionnel.
La question préjudicielle
Le Conseil constitutionnel a par ailleurs dit au candidat Maurice Kamto, que la récusation de quelques membres du Conseil constitutionnel était une question préjudicielle. De ce fait, il fallait la trancher avant de connaître du fond. Si le conseiller était récusé qui devait donc dire le droit ? Telle est la question posée par le président du Conseil constitutionnel. Clément Atangana a relevé l’impossibilité de cette démarche. Ainsi, le Conseil constitutionnel, même si des doutes d’impartialité pèsent sur certains d’entre eux, doit connaître du contentieux postélectoral en attendant que la question préjudicielle soit réglée en tant que de besoin.
Irrecevabilité pour forclusion
La longue plaidoirie de l’avocat de Cabral Libii Ngue Ngue n’a pu rien produire. Les avocats d’Elecam, du Rdpc et le Conseil sont tombés unanimes sur l’irrecevabilité de cette requête du candidat du parti Univers. L’article 133 alinéa 3 précise à ce sujet: «Toute contestation formulée en application des dispositions de l’article 132 ci-dessus doit parvenir au Conseil constitutionnel dans un délai maximum de soixante-douze (72) heures à compter de la date de clôture du scrutin.» Or la requête du candidat du parti Univers a été déposée le 10 octobre à 19 heures, soit 73 heures après, débordant d’une heure les délais admise pour la saisine du Conseil. Le conseil du Rdpc s’en est offusqué de ce que le Conseil ait même permis à l’avocat du plus jeune candidat à l’élection du 7 octobre de parler. Etant irrecevable pour forclusion, il ne devrait pas être admis s’exprimer au prétoire. Le conseil d’Elecam quant à lui dira qu’il s’agit là de l’esprit d’ouverture démocratique qui anime la haute juridiction. A la fin, les parties sont arrivées à la conclusion que la loi est dure mais elle est la loi et il faut l’appliquer dans toute sa totalité.
Il était environ 20h25 quand le président du Conseil a mis fin à la séance. Rendez-vous mercredi 17 octobre 2018 à 9h.
Daniel NDING
Maurice Kamto «Contribuer à la stabilité et la paix dans notre pays»
Discours du candidat Maurice Kamto, devant le Conseil constitutionnel

«Je connais et j’ai le privilège de connaitre certains d’entre vous. Ce qui est en cause ce matin, ce n’est pas vos compétences en tant que juristes ou magistrats, ce n’est pas votre intégrité personnelle. C’est le sentiment qu’un justiciable peut avoir face à une juridiction dont les membres, de part leurs fonctions, ne présentent pas du tout les garanties d’impartialité exigée par les instruments juridiques internationaux et la législation nationale. Je peux comprendre la gêne parce que cette question peut induire le sentiment qu’il y aurait d’emblée disqualification de quelques-uns d’entre vous à connaitre le contentieux qui vous a été soumis sur le fond. Là n’est pas la question. La question c’est de savoir si à la fin de ce contentieux électoral, les justiciables que nous sommes à commencer par moi-même, mais également l’opinion nationale et éventuellement internationale, auront le sentiment que de hauts magistrats, d’honorables conseil à la Cour suprême qui, pour diverses raisons, se sont retrouvés membres d’un parti politique dont un des candidats à l’élection est une ’émanation, peuvent dans des conditions de sérénité, dans des conditions d’impartialité, rendre une décision qui ne souffre pas de suspicion légitime. Et à cette question, il n’y a que vous pour y répondre. Mes avocats ont suffisamment exposé les raisons pour lesquelles qu’il y a une base juridique suffisante à ma saisine, pourquoi j’ai qualité à être partie à cette procédure.
Il vous revient cette tâche cruciale de poser les jalons de la démocratie camerounaise dont vous êtes l’ultime régulateur car après tout, une élection peut se dérouler mais celui qui dit ultimement qui a été élu, c’est bien vous-mêmes. Je n’ai pas ici l’occasion de revenir sur le sens et la portée de ma déclaration du 8 octobre. Il me suffit de dire, honorables membres du Conseil constitutionnel, je n’ai nullement eu le sentiment d’avoir enfreint une seule fois la loi. Ne serait-ce que parce que l’article 113 du Code électoral dit que les résultats des élections, sont proclamés immédiatement à l’issue du décompte dans les bureaux de vote. Chacun peut faire la sommation et indiquer les tendances. Mais tout le monde sait, à commencer par moi-même, que vous seuls pouvez proclamer le vainqueur d’une élection. Si je ferme cette parenthèse, je voudrais revenir substantiellement au sens de notre démarche. Ce n’est pas une défiance vis-à-vis du Conseil. Ce n’est même pas une défiance vis à vis des personnes interpellées. C’est simplement la soumission à votre auguste instance des faits et rien que des faits et c’est à vous-même d’examiner ces faits et savoir ce que vous voulez en faire. Comme on l’a dit tout à l’heure, nous aurions pu ne pas passer par cette phase de la procédure si ceux qui d’entre vous sont concernés par cette procédure de récusation avaient senti et trouvé la nécessité d’un déport. « Qui donc va recomposer le Conseil constitutionnel si d’aventure, notre requête devant vous prospérait ? » La même eau sent venant. Mais il se trouve d’ailleurs que la même personne qui vous nomme était candidate à l’élection qui vient d’avoir lieu et on voit bien le caractère inextricable de notre système.
Et si vous ne faites pas l’effort qui vous hisse, ô pas à la hauteur des dieux, on l’aurait voulu, mais quand même un tout petit peu en dessous d’eux, pour dire ici et maintenant ce qui va être la fondation de la démocratie camerounaise dans ses bases juridiques essentielles en disant dans ce cas si, bien que le président de la République qui nomme soit candidat à cette élection présidentielle, nous avons le devoir de contribuer à la stabilité et la paix dans notre pays en rendant la bonne décision dans cette affaire. Ce n’est pas seulement une question de compétence. Quand on dit que vous avez la compétence de la compétence, vous avez la compétence de votre propre compétence, non seulement pour connaitre des affaires mais également pour vous prononcer sur toutes les questions qui sont soumises devant vous parce que vous êtes la seule juridiction camerounaise qui statue une fois pour toutes. Vos décisions sont sans recours. La Cour suprême est une instance ultime après une longue procédure qui va des tribunaux d’instance en passant par la Cour d’appel. Vous, vous jugez une fois pour toutes. C’est donc à vous, c’est à votre conscience que je m’en remets, c’est à votre conscience que je fais appel pour que vous donniez aussi un message puissant aux populations camerounaises qui nous regardent et qui espèrent que ce que nous, hommes politiques, n’arrivons pas à faire dans le terrain de la politique, vous allez y mettre bon ordre en disant le droit. »