Pendant près de 6 jours, plusieurs quartiers de la ville de Douala étaient sans électricité. Les fêtes de Noël sont passées dans des conditions difficiles pour de nombreux ménages et commerces. Le problème étant d’autant plus sensible que Bonanjo, le quartier administratif de la ville a été touché. D’après le communiqué officiel de l’entreprise en charge de la distribution de l’électricité, cette coupure était due à un incident causé sur un câble souterrain au lieu-dit kilomètre 5 par un enfant qui creusait un trou pour implanter un poteau des goals. Depuis lors des solutions étaient recherchées en urgence, et le 27 décembre Eneo annonçait le rétablissement de 80% des clients impactés par l’incident. Le plus dur n’est pas cette coupure, qui était due comme l’expliquait la société, à un incident. Ce qu’il faut remarquer c’est que pendant les 6 jours de coupure accidentelle, les autres quartiers ont bénéficié d’une fourniture en continue de l’électricité, mais dès le rétablissement des 80% de client, le rationnement a repris et les quartiers qui avaient bénéficié de la fourniture permanente ont été délestés.
Coupures sous fond de pénurie
Dans le fond, cet incident était juste un problème qui venait s’ajouter à un autre déjà existant, celui de la disponibilité de l’énergie électrique en quantité suffisante. Pour parler simplement, le Cameroun a besoin de plus d’électricité qu’il n’en produit, et ce malgré d’énormes investissements fait dans ce sens jusqu’alors. Quand on parle d’électricité au Cameroun, le consommateur final voit Eneo, et si cette entreprise prend tous les coups à cause des coupures du courant électrique c’est parce que c’est elle qui est en surface. Mais ce secteur implique au Cameroun beaucoup d’autres acteurs, qui interviennent, ou devraient intervenir dans la production et le transport de l’énergie, avant la distribution par Eneo.
Des acteurs sans actions
Parmi les acteurs majeurs, il y a d’abord Electricity development Corporation, EDC une société à capital public créée par décret le 29 novembre 2006, avec l’Etat comme actionnaire unique. Sur le plan statutaire, ses missions sont la gestion pour le compte de l’Etat du patrimoine public, l’étude, la préparation ou la réalisation de tout projet d’infrastructure qui lui est confié par l’Etat, ainsi que la participation à la promotion et au développement des investissements publics et privés dans le secteur de l’électricité. Ensuite, il y a la Société nationale de transport d’électricité (Sonatrel). Créée par décret présidentiel le 8 octobre 2015, elle est placée sous la tutelle du ministère de l’Eau et de l’Energie. De manière détaillée, elle est responsable de l’exploitation, de la maintenance, du développement des réseaux publics de transport de l’électricité sur l’ensemble du territoire camerounais, ainsi que de la gestion des flux d’énergie qui y transitent. Sous l’égide de son directeur général Victor Mbemi Nyaknga, nommé en février 2016, la Sonatrel a déjà signé un protocole d’accord avec Eneo pour le recrutement du personnel technique, délimité le périmètre de transport de l’électricité et voté un budget de 109 milliards de francs CFA pour l’année 2018. Enfin il y a Eneo, ou Energy of Cameroon, filiale du groupe britannique Actis. Le 13 juin dernier, le président de la République a pris une décision portant prorogation de son contrat de concession sur une période de dix ans, à compter du 18 juillet 2021 dans les segments de la production et de la distribution de l’énergie électrique au Cameroun. La même décision retirait de son portefeuille le transport de cet énergie produite, et ce à partir du 31 décembre 2018, au profit de la Sonatrel.
Infrastructures
En résumé et de manière schématisée, Edc doit concevoir et réaliser les infrastructures de production, Eneo doit les exploiter pour produire, la Sonatrel doit transporter et Eneo récupère une fois au bout de la chaine pour distribuer aux ménages et aux industries. A ce jour, toutes les études montrent que le Cameroun dispose d’énormes potentialités, qui bien exploitées pouvaient permettre au pays d’avoir suffisamment l‘électricité au point d’en revendre aux pays voisins. Mais les structures étatiques mises sur pied peinent encore à se mettre au travail, et les surfacturations quotidiennes plombent les projets de construction des barrages qui devraient permettre de résorber le déficit. Lire aussi :Energies renouvelables : une alternative incontournable pour améliorer le déficit d’énergie au Cameroun
Le distributeur sans produit
L’offre actuelle est assurée par les centrales thermiques de Dibamba et Limbé, la centrale à gaz de Kribi, les barrages de Songloulou et Lom Pangar pour le Réseau interconnecté Sud, et le barrage de Lagdo sur le fleuve Bénoué pour le Réseau interconnecté Nord. Mais cette offre reste encore insuffisante, et l’espoir repose sur l’hypothétique réalisation des barrages de Nachtigal, Makay, Mekim et l’achèvement de celui de Memvelé. Au-delà des défaillances de fonctionnement, Eneo est en réalité victime de l’indisponibilité du produit à distribuer sur le marché. Dans la configuration de la chaine, elle se retrouve au bout, et ne peut malheureusement distribuer que la quantité d’énergie qu’elle a à sa disposition. Lire aussi :Barrage de Memve’ele : Les 211 Mégawatts seront disponibles en juin
De manière imagée, Eneo est aujourd’hui le grossiste qui livre un produit sur le marché, et pour satisfaire tout le monde, il faut que l’usine en amont produise, et en quantité. A défaut, il essaie de dispatcher le produit disponible dans tous les coins de la ville, en s’assurant que dans tous les cas le chef de quartier est toujours approvisionné. C’est ce qui est appelé rationnement, ou délestage. Et ce calvaire va continuer tant qu’une véritable politique de production énergétique ne sera pas définie et mise en œuvre par le gouvernement, même s’il subsiste une préoccupation, celle de savoir si Eneo dans son fonctionnement actuel est préparée à assurer un service de qualité une fois cette énergie mise à disposition.
Roland TSAPI