Dans cette interview exclusive accordée à La Voix Du Koat, le fondateur et directeur du grand festival Visa For Music, évalue l’état d’avancement des industries créatives et culturelles sur le continent. Brahim El Mazned jette également un regard dans son passé, non sans interroger l’avenir.
LVDK : Bienvenue à Yaoundé. C’est votre première fois en terre camerounaise ?
Merci beaucoup Val ! Ce n’est pas ma première fois au Cameroun, je suis venu plusieurs fois à Douala. Ceci-dit, ce sera ma première fois à Yaoundé, et je m’en réjouis.
LVDK : Vous répondez par votre présence, à l’invitation du Salon international Escale Bantoo qui a cours à Douala et à Yaoundé. Personnellement, vous avez un autre calendrier, dénicher de nouveaux talents par exemple ?
Être présent au Salon Escale Bantou est un vrai plaisir pour moi. Je suis très admiratif de l’opportunité qu’il représente pour les artistes féminines du Cameroun. C’est un rendez-vous précieux pour les mettre en valeur et leur donner la lumière qu’elles méritent. Ici, j’ai eu le plaisir de rencontrer beaucoup d’artistes talentueux et de professionnels du secteur culturel, et je suis d’ailleurs convaincu que certains parmi eux vont être découverts prochainement à Visa For Music au Maroc. D’autres se sont déjà produit à VFM.
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LVDK : Quelle est votre impression générale sur cette édition du Salon ?
C’est une édition originale puisqu’elle a lieu dans deux villes et en deux temps, à Douala et Yaoundé. C’est très original et j’aime l’opportunité que cela représente pour les artistes, en leur permettant de se produire deux fois dans le même pays et de toucher un large public dans les deux villes. Aujourd’hui, ce salon se positionne comme un rendez-vous essentiel d’avenir en Afrique centrale. Je suis convaincu que c’est un projet qui va grandir, et qui va contribuer à la structuration et à la diffusion des artistes du Cameroun et de la sous-région.
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LVDK : Ça vous a fait quoi de recevoir le Prix Visionnaire au Moca 2023 ?
Ce prix honore Visa For Music, mon équipe et mon parcours. J’en suis très heureux, car par la même occasion Visa For Music s’est vu décerné le prix Copyright Friendly Label par la CISAC, le BMDA et le MOCA, qui représente une vraie valorisation de notre travail, de notre mission et le respect des Droits d’auteurs. Ce genre de prix nous pousse à continuer à donner le meilleur de nous-même pour la culture en Afrique. Nous croyons dur comme fer à notre projet de rayonnement et de mise en valeur des artistes de notre continent, et ces prix représentent un moteur de plus pour notre travail.
LVDK : C’était quoi votre rêve à vos 10-13 ans ? Être un acteur du monde de la musique ?
J’ai grandi dans une société, comme ici, où on écoute beaucoup de musique. Je suis issu d’une famille amazighe ou le rapport à la musique est très intime. Je n’ai pas appris la musique mais j’ai été très actif dans le milieu de la culture principalement à l’Université.
LVDK : Aujourd’hui Visa For Music, qui est l’un de vos bébés, est-il à la dimension de la vision que vous vous étiez fait au début ? Ou bien les réalisations sont au-delà de vos espérances ?
Depuis sa première édition en 2014, l’objectif de Visa For Music était de créer un marché qui fédère les artistes d’Afrique du nord, d’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient mais également des Caraïbes que je considère comme une extension de la géographie africaine : concept inédit au Maroc, et rare en Afrique. Nous sommes fiers de l’intérêt que le festival a réussi à susciter chez les acteurs culturels africains, qu’ils résident sur le continent ou ailleurs.
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Également, au cours de mon dévouement depuis plus de 25 ans pour le développement de l’activité artistique au Maroc, j’avais été très surpris de constater que sur les marchés occidentaux, les artistes africains les plus mis en avant sont souvent associés à des références stéréotypées liés à une certaine image du continent africain (Conflits, guerre, misère etc). Mon objectif et ma vision avec Visa For Music étaient donc de simplement chercher et mettre en valeur des artistes d’aujourd’hui, qui renouvellent la scène africaine. Des artistes de la diaspora, mais aussi des artistes qui ont choisi de vivre sur le continent. Tous ces artistes ont un grand rôle à jouer et nous nous battons pour leur offrir de nouvelles opportunités.
Et en ce qui concerne cette mission, je suis extrêmement heureux de pouvoir dire que nos résultats ont été peut-être encore au-delà de nos espérances. Avec toujours sa quarantaine de concerts au programme, Visa For Music a permis à beaucoup d’artistes d’obtenir des tournées très intéressantes, en particulier des tournées en Afrique du nord pour des artistes subsahariens et vice versa. Surtout, un fort tournant représentatif de notre réalisation quant au nombre de candidatures inédit que nous avons reçu pour cette 10ème édition de Visa For Music : 1505 !
LVDK : Racontez-nous les péripéties financières et humaines que vous a coûtées l’implantation de VFM, et les grands soutiens qui ont répondu…
Effectivement, il faut dire qu’un projet innovant comme visa est difficile à monter car c’est à la fois un événement fait de shows musicaux destinés à faire rêver le public, et à la fois un forum d’acteurs de l’industrie pensé pour les professionnels de la musique et leur évolution. Cette ambition nous a évidemment fait traverser des étapes difficiles. Cependant, grâce à ses succès, Visa For Music a réussi à fidéliser des partenaires et à faire grandir ce projet, au profit du développement des industries musicales et culturelles à l’échelle du continent africain, mais aussi du monde.
LVDK : Quelle analyse comparative pouvez-vous dresser des industries culturelles et créatives (Icc) en Afrique, selon qu’on soit en Afrique de l’Ouest, Centrale, Australe… ?
Il est difficile de poser un comparatif par régions ou par territoires. Toutefois, ce qui me semble juste de constater est que même si quelques pays d’Afrique de l’Ouest ou Australe par exemple, sont particulièrement plus sensibles à la question des Industries Culturelles et Créatives en Afrique, il y a aujourd’hui une tendance à la prise de conscience à l’échelle continentale de l’importance de ces industries. Je suis optimiste pour leur futur, je pense que nous aurons dans les mois à venir des locomotives venant des pays déjà sensibilisés qui seront source d’inspiration pour d’autres pays du continent. Toutefois, il est évident qu’au regard de la situation globale, il est essentiel que les pouvoirs publics s’impliquent plus, que cela soit en Afrique centrale, australe, de l’est, ou encore du nord.
LVDK : Avec les barrières frontalières, les retards des vols, les coûts très élevés des billets d’avion, les questions de visa entre pays…est-ce qu’un de ces quatre, les artistes pourront faire de véritables tournées sur le continent ?
La question de la mobilité est un sujet crucial. Elle pose un énorme problème pour le développement des secteurs créatifs, entre les problématiques liées aux visas, le coût des billets d’avion, mais aussi avec les obstacles en rapport avec les autorisations de travail et administrations qui freinent réellement l’internationalisation des artistes. Cet énorme problème doit encore une fois être entendu par les pouvoirs publics de nos pays en Afrique. L’UA, peut jouer un rôle majeur, elle devrait être sensible à ce sujet à l’avenir, pour agir au profit du rayonnement des cultures africaines à l’échelle du continent, mais aussi à l’échelle mondiale.
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Entretien avec Valgadine TONGA