L’une des particularités de l’élection présidentielle de cette année est la violence observée aussi bien pendant la campagne, qu’au lendemain des élections. Par violence il ne faut pas entendre seulement les atteintes à l’intégrité physique des personnes ou des biens. Il faut davantage la percevoir sur le plan de la pensée et dans les actes posées, qui à première vue semblent complètement inoffensives, mais qui comportent les gènes d’une violence extrême.

Sur les racines de la violence et de l’agressivité, diverses interprétations psychologiques révèlent que c’est d’une part un caractère inné, partie intégrante de la nature humaine, que l’éducation sociale tente d’atténuer et de maîtriser, et d’autre part un caractère acquis par l’individu qui naît innocent et docile, mais qu’il acquiert au travers de l’éducation sociale qu’il subit.Ce qui se passe au Cameroun en ce moment est ce qui est qualifié de violence politique. Selon Qadri Hifni, de l’Université de ‘Ain Shams en Egypte, «la violence politique est une forme de violence intérieure dans un Etat». Elle se caractérise par le fait qu’il existe une interférence entre les parties, c’est-à-dire qu’il existe entre elles des liens communs. Ce lien commun est constitué par le fait que toutes les parties se trouvent sous un même pouvoir politique. Or, ce pouvoir politique est contesté par les uns, alors que d’autres le reconnaissent ; il est rejeté par les uns, qui remettent en cause sa légitimité, alors que d’autres défendent cette légitimité au point de la sanctifier.
Dans cette logique de défense et de protection du pouvoir, les partisans du candidat encore en poste ont ouvert la campagne électorale dès le 22 septembre 2018 par une violence inouïe, manifestée par la pose des affiches d’une manière essentiellement agressive. La violence ayant la particularité de s’exercer en dehors de la loi, cet affichage n’obéissait justement à aucune règle. La violence était telle que même Elections’ Cameroon chargée de réguler les affiches de campagne s’est simplement résigné, battu sur son propre terrain et gardant le silence complice. Les auteurs de ces actes étaient sans doute conscients que la virulence avec laquelle cela avait était faite mettait KO l’organe en charge de l’organisation des élections, qui même s’il avait l’intention de les faire enlever comme le demande la loi, il n’en aurait eu ni le temps ni les moyens, l’organisation des élections étant suffisamment lourde et gourmande dans ce sens.
Intimidation
Le même parti a également usé d’une violence subtile dans la distribution des gadgets de campagne. Un kit composé d’un pagne, T Shirt, chapeau, écharpe et autre ne laissait vraiment pas le choix à ceux qui étaient appelés à prendre, qui étaient d’ailleurs convoqués dans les chefferies et cantons à Douala par exemple pour les prendre. L’introduction des billets de 10 000 Fcfa dans les enveloppes pour les militants, telle que le montre une vidéo, participait également de cette manière forte d’amener les électeurs à choisir un candidat. L’arrivée sur le territoire national des faux observateurs fait également partie de cette violence politique exercée au cours de cette période. Cela a été fait sans état d’âme, sans se soucier de l’image de la nation, des hommes et femmes à qui le pouvoir a facilité l’arrivé au pays, qui ont usurpés le titres d’envoyés de Transparency International, qui ont été escortés dans un bureau de vote à Buea, qui sont revenus dans la capitale politique pour lire leur rapport et réciter ce qu’il leur avait été dicté, pour ensuite être escortés aux frontière une fois démasqués, tout cela était particulièrement violent, psychologiquement parlant.

Au lendemain du scrutin, cette violence conçue qui s’est d’abord exprimé dans les actes, est davantage manifesté dans le langage. Le registre langagier des membres du gouvernement est désormais extrêmement violent, le fin mot de l’histoire étant de traumatiser les consciences populaires. Voici un extrait des propos du ministre de l’Administration territorial Paul Atanga Nji sur les antennes d’une télévision locale, réagissant au discours de Maurice Kamto le 8 octobre je cite : «Je dis qu’il faut respecter les lois de la République. Il prétend qu’il défendra cette prétendue victoire par tous les moyens. Il n’aura même pas les moyens d’aller jusqu’au bout, parce que nous ne lui donnerons même pas les moyens de commencer, parce que pour aller jusqu’au bout il faut commencer quelque part…je dis que s’il fallait régler le problème de Maurice Kamto, c’est le sous-préfet de son arrondissement qui va d’abord gérer sa situation, je crois que c’est une activité dangereuse qu’il a tenté de mener, et à chaque fois que quelqu’un a tenté de se mettre en marge de la loi, il est isolé par le peuple, il devient marginal et il vivra son sort tristement dans un coin isolé.»
Les menaces verbales fusent ainsi de tout côté. Le gouvernement fait savoir que tout acte de revendication après la proclamation des résultats de l’élection, rencontrera de la violence en face, même si la revendication elle-même est pacifique. On parle même des gens qui iront à la boucherie, sans clairement dire qui est le boucher. A qui profite finalement cette psychose que le gouvernement est entrain de distiller ? Est-ce pour maintenir le peuple dans la peur ou le rassurer qu’il est protégé ? A ce moment crucial de la vie du Cameroun, le peuple a plus que besoin de se sentir protégée et en sécurité, que d’être martelé tous les jours avec le langage de la violence qui leur est en ce moment servi. En tout état de cause, comme le disait le philosophe français Jean Paul Sartre, «La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec» alors, qui au Cameroun aujourd’hui veut prouver au monde entier qu’il a échoué ?
Roland TSAPI