Poursuivi dans une affaire de mœurs, la détention depuis plus d’un mois déjà du journaliste n’aurait pas de fondement légal. Les explications de Me Stéphan Djeegip, avocat au Barreau du Cameroun.
Après deux nuits à la Police judiciaire de Bonanjo et deux auditions chez le juge, le journaliste de sport Martin Camus Mimb a été déféré à la prison centrale de New-Bell, le 16 juillet 2021, du fait d’un mandat de détention provisoire du Procureur de la République. Un mandat qui court sur six mois. Le 22 juillet 2021, son coaccusé, Wilfried Eteki et lui, ont comparu devant la collégialité des juges pour proxénétisme, publications obscènes, propagation de fausses nouvelles, diffamation et cybercriminalité. Des accusations portées par le conseil de Malicka Bayemi, 24 ans, dont les images d’elle en pleine jouissance sexuelle dans le bureau de Martin Fleur Mimb Hiol, alias Martin Camus Mimb, ont fait le tour du monde.
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Le renvoi de l’affaire et la détention de Martin Camus Mimb depuis plus de trente jours font jaser dans le milieu judiciaire. Dans le Code de Procédure Pénale, il est indiqué à l’article Article 301 alinéa 1 : «Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le Tribunal la renvoie à la plus prochaine audience. Dans ce cas, il peut mettre le prévenu en liberté avec ou sans caution, assortie ou non d’une mesure de surveillance judiciaire.» Avocat au Barreau du Cameroun, et non partie prenante dans l’affaire, Me Stéphan Djeegip que La Voix Du Koat a rencontré revient sur les raisons de l’évidence de la mise en liberté du prévenu.
Sauvegarde des preuves
Cet article 301 «n’indique pas que l’autre partie ait besoin de solliciter la demande de mise en liberté de son client. C’est le juge qui considère que comme le dossier n’est pas en état d’être jugé, il met le détenu en liberté, parce qu’en matière de flagrant délit, toutes les preuves sont déjà réunies. C’est la raison pour laquelle il est dit en amont que s’il pèse contre le prévenu des indices graves et concordants ou s’il est accusé de flagrant délit. Ça veut concrètement dire qu’au niveau de l’enquête préliminaire, on avait déjà ressassé tous ces éléments, et le procureur les a. Quand on va au tribunal, les éléments sont dans le dossier», explique Me Stéphan Djeegip qui n’est pas partie prenante dans l’affaire.
Les éléments empêchant la mise en liberté sont de trois ordres : la sauvegarde des preuves, c’est-à-dire qu’on a peur qu’une fois libéré, le prévenu détruise les preuves ; de deux, l’atteinte à l’ordre public ; et enfin la représentation en justice. «Concernant la sauvegarde des preuves, elle ne peut pas justifier l’emprisonnement parce que toutes les preuves avaient déjà été réunies et sont entre les mains du juge ou tout au moins du procureur qui poursuit. Donc la liberté de ce monsieur ne peut pas, en l’état, être un prétexte pour dissiper les preuves. Cet élément disparaît. Le deuxième élément c’est la peur qu’il ne puisse pas se présenter au tribunal. Evidemment, en assortissant cette disposition des garanties que le prévenu doit présenter (cautionnement), ça veut dire qu’on s’assure des mesures de représentations. Enfin, il n’y a pas de risque de trouble à l’ordre public. En ce moment, si le juge veut épouser l’esprit du Code de Procédure Pénale, il devrait, même sans que les parties le lui demandent, (encore que la loi ne dit pas que les parties doivent le faire), mettre en liberté le prévenu.»
«Absence de diligence»
De l’analyse de notre interlocuteur, précise que «le renvoi de l’affaire ne procède pas du fait du prévenu, mais de la partie poursuivante. C’est le ministère public qui n’est pas prêt, et c’est lui qui poursuit. En matière de flagrant délit, le ministère public est au cœur du dispositif d’enquêtes depuis l’entame de la procédure, puis l’enquête préliminaire, jusqu’à ce que l’affaire soit devant le juge puisqu’en matière de flagrant délit, l’officier de police judiciaire informe le procureur de la République. Donc ce dernier a tous les éléments. Lorsqu’il se retrouve devant le juge et qu’il dit ne pas être prêt, c’est de son droit mais d’où vienne-t-il que c’est le prévenu qui doit en pâtir devant cette absence de diligence du procureur ? Sauf à dire que le prévenu était déjà coupable. En ce moment, pourquoi le procès suit son cours ? On aurait fait l’économie des renvois, et on l’aurait condamné sur place et la messe aurait été dite de fort belle manière.»
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Tout au long de cette procédure, «Martin aurait pu être mis en liberté, dès l’enquête préliminaire », sauf si le procureur avait estimé qu’il s’agit d’un délit flagrant. «Revenons sur la flagrance. Est-ce qu’il s’agissait encore d’un délit flagrant ? L’enquête du ministère public a été mise en œuvre des jours après le déroulement des faits. La flagrance demande que l’enquête du ministère public soit déclenchée à l’immédiat après la commission des faits, c’est-à-dire que l’on vous attrape la main dans le sac. Ce qui n’a pas été le cas. De deux, dans le temps voisin de la commission de l’infraction, il faut qu’on ait retrouvé le prévenu avec un élément prouvant qu’il a participé à l’infraction. Ce n’est pas le cas. On parle également de flagrance lorsque le prévenu a été poursuivi par la clameur avec des ‘‘ô voleur !’’. La foule n’est pas une rumeur dit-on. La loi dit que le procureur ne peut mettre un prévenu en détention provisoire qu’en cas de flagrant délit. Là il n’y a pas eu flagrant délit. Est-ce que le procureur était encore dans son rôle ? Non».
La liberté, la règle
Les infractions invoquées supra, sont, selon l’expert, des infractions pour lesquelles les peines sont moins de deux ans. Or l’article 350 du Code de Procédure Pénale dispose : «Le prévenu cité pour une infraction punie d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans peut, par lettre, demander à être jugé en son absence; cette lettre est versée au dossier de procédure. S’il a un conseil, celui-ci est entendu et, dans les deux cas, le jugement est contradictoire.» Bien avant, l’article 228 disposait déjà : «(1) Le garant est responsable de la comparution de la personne libérée. (2) Lorsque cette dernière ne comparaît pas, l’autorité compétente ordonne son arrestation et met le garant en demeure de la représenter. (3) A défaut de représentation, le garant est astreint à payer la caution fixée dans l’acte d’engagement sous peine d’y être contraint par corps conformément aux dispositions des articles 563 et suivants. Toutefois, le garant est exonéré de sa responsabilité s’il prouve que la non-comparution est due à un cas de force majeure.»
Il est clair, martèle Me Stéphan Djeegip que l’esprit du législateur avait toujours été de faire de la liberté la règle et non l’exception, «parce que la liberté c’est également légalité des armes dans un procès. Lorsque vous êtes arrêté à l’enquête préliminaire, vous n’avez pas eu le temps de fournir vos armes pour vous défendre. On vous garde-à-vue, puis on vous défère au parquet. Au parquet vous n’avez pas les armes pour vous défendre. Dès fois on vous convoque sans vous donner la raison, ni la personne qui vous poursuit. Et quand vous vous présentez à l’enquête préliminaire, on vous garde à vue, après on vous défère. Quand on vous garde en détention, on vous empêche de pouvoir vous défendre. La détention est une atteinte à la légalité des armes dans un procès pénal. Ce n’est pas normal.»
Valgadine TONGA