Las de lutter contre, l’Etat s’est résolu à faire avec, en lui donnant un cadre réglementaire…pour plus de désordre.
Un conducteur de taxi dans la ville de Douala raconte l’histoire d’un touriste qu’il a récemment ramené à l’aéroport internationale pour son voyage retour dans son pays. En cours de route il lui confie qu’il était venu pour un séjour plus long, mais qu’il est obligé de repartir. Quand le conducteur lui a demandé ce qui expliquait ce retour précipité, le touriste lui répond qu’il a vu trois personnes sur une moto. Il n’en fallait pas plus pour effrayer le touriste, dont le cerveau n’a pas intégré que trois personnes soient sur une moto. Et comme cela ne suffisait, l’engin frayait son chemin dans une sorte de jungle urbaine, où il était pratiquement impossible de distinguer la chaussée, le trottoir, le terre-plein, encore moins déterminer quel usager a quelle priorité sur tel code routier.
Absorbé dans l’anormal
L’attitude du touriste a ouvert les yeux du conducteur, qui comme beaucoup d’habitants de la ville, ne se rend même plus compte de l’ampleur de la situation. L’étonnement du touriste a surpris le conducteur. Pour lui, trois personnes sur une moto qui effraient le touriste c’est bien peu, puisque dans la ville les motos portent plus que cela, 7 personnes parfois. Seul le regard extérieur peut encore percevoir le comportement des motos taxi dans la ville de Douala et s’en étonner. Les habitants de la ville eux-mêmes ont déjà fait corps avec cela. Ils ne voient plus rien d’anormal, c’est devenu banal au point où un conducteur qui a un comportement proche de la normale est regardé avec un œil suspect. C’est comme un enfant dans la maison avec ses parents, qui grandit sans que personne ne s’en rende compte, un visiteur de passage s’exclame sur l’évolution rapide de la morphologie, et les parents se rendent compte qu’effectivement l’enfant a pris du volume ou de la taille. Lire aussi :Terrorisme : Atanga Nji interdit les mototaxis dans les régions anglophones
Vaine bataille
Pour ce qui est des motos taxi, le client, le policier, l’agent de la mairie, la communauté urbaine, tous ont baissé les bras face au phénomène, et nous sommes là au niveau local. Au niveau national, le ministère de l’administration territoriale s’est déjà fendu en ultimatum, proféré des menaces, qui se sont envolés aussi vite que les paroles. De passage à Douala le 10 avril 2018, Paul Atanga Nji a donné trois mois aux acteurs du secteur pour se conformer à la réglementation. Avec pour souci d’extirper les délinquants du secteur, dans un contexte où l’insécurité allait grandissant. Mais ces derniers ont hoché la tête et ont continué comme si de rien n’était. Et quelques mois plus tard, le même ministre était à Douala, et embrassait les mêmes conducteurs de moto taxi dans une communion parfaite pour la consolidation de la « force de l’expérience » au pouvoir suprême. Les menaces avaient laissé place aux chocolats, le temps de la campagne électorale. Lire aussi :Indiscipline : les Camerounais à l’épreuve du respect de la loi
Avant le ministre Atanga Nji, deux chefs du gouvernement s’était déjà penchés sur le problème. Après avoir vainement tenté de maîtriser cette activité qui se développait de manière exponentielle au même moment où l’offre en transport urbain devenait insuffisante, le premier ministre Inoni Ephraïm se résolu à la légaliser en fixant un cadre réglementaire. C’est le sens du décret n°2008/3447/pm/du 31 décembre 2008 fixant les conditions et les modalités d’exploitation des motocycles à titre onéreux. 22 articles au total déterminaient les pièces à fournir, les autorisations et des exigences concernant la moto elle-même pour qu’elle soit mise en circulation et exploitée à titre onéreux. L’article précisait que « tout exploitant de mototaxi est tenu, dans un délai de six mois à compter de la date de publication du présent décret, de se conformer à ses dispositions. Passé et faute pour l’exploitant concerné de se conformer auxdites dispositions, l’exploitation de la mototaxi mise en cause est réputée suspendue et traitée comme telle par les services compétents de la police routière. »
Cinq ans après, le gouvernement se rendra compte que ce décret était comme un coup d’épée dans l’eau. Rien n’avait changé, si ce n’est dans le sens du pire. Philémon Yang, qui avait succédé entre temps à Inoni Ephraïm comme chef du gouvernement, signa le 30 juillet 2013 un décret modifiant et complétant celui de son prédécesseur. L’accès à la profession d’exploitant de moto taxi d’après ce nouveau décret est subordonné à l’obtention de neuf pièces. Entre autres, la licence spéciale de transport de catégorie S2, la carte de transport public routier par motocycle exploité, la carte de contribuable, la police d’assurance en cours de validité. Bien plus, toute mototaxi, au sens du nouveau texte, devra, avant sa mise en circulation, être immatriculée par les services territorialement compétents du ministère en charge des Transports et posséder un numéro d’identification attribué par la commune du ressort du lieu d’exploitation.
Au-dessus de la loi
En outre, le conducteur devra disposer de 11 équipements et accessoires : un réservoir de carburant peint en jaune, un casque de protection pour le conducteur, un casque pour le passager, un trousseau de dépannage, un pare choc avant et arrière, etc. Le nouveau texte oblige aussi les conducteurs de ces engins à deux roues à porter le gilet dont la couleur sera déterminée par la commune du ressort d’exploitation.On peut citer d’avantages de mesures prises pour juguler le secteur, le rendre productif et moins nocif en même temps, mais l’on constate aujourd’hui que l’équation moto taxi est résolument la plus difficile à résoudre au Cameroun dans la gestion de la mobilité urbaine. L‘autorité a simplement abdiqué devant une profession qui impose désormais son désordre à tous, se moquant allègrement de la loi. Triste constat. Lire aussi :Transport /Mototaxis : Le jeu trouble des autorités
Roland TSAPI