La dérive des continents. C’est une théorie proposée en 1915 par le physicien-météorologue allemand Alfred Wegener, pour tenter d’expliquer, entre autres, la similitude dans le tracé des côtes de part et d’autre de l’Atlantique. Comme on apprend aux élèves aujourd’hui à l’école, on observe en effet un certain parallélisme des lignes côtières entre d’une part les Amériques et d’autre part l’Europe – Afrique. Cela suggère que ces deux ensembles constituaient deux morceaux d’un même bloc. C’est ce qui a amené les physiciens à concevoir que dans un passé lointain toutes les masses continentales étaient réunies en un seul méga continent appelée la Pangée. Aujourd’hui, grâce la connaissance de la tectonique des plaques, on utilise une reconstitution plus juste de cette Pangée, celle de Bullard et Coll. Lire aussi :Construction de l’unité nationale : Un long fleuve pas du tout tranquille
La dérive des tribus
Le Cameroun est en train de se transformer lentement, mais sûrement en un conglomérat de mini tribu. Ou plutôt, comme pour la dérive des continents, les tribus qui constituent l’ensemble Cameroun sont en train de se fissurer progressivement, à l’image de l’éclatement du globe terrestre qui a abouti à la séparation des continents. Quelques faits. Blanche Oyono Belinga, une camerounaise éprise de paix et d’unité, en réponse à certains intellectuels au service de la division du pays, rappelle l’histoire d’un ancien gouverneur du nom Abakar Mahamat, affecté à Ebolowa en 1992. Ce dernier raconte dans une émission télévisée que déjà le jour de l’installation du préfet qu’il avait remplacé, le maire d’Ebolowa avait dit dans son discours qu’il ne sait pas ce qu’ils ont fait à Dieu pour qu’on leur envoie un préfet « étranger ».
Quand Abakar Mahamat arriva à son tour, ce maire ne lui fit pas l’honneur d’être à la cérémonie d’installation. Non pas parce qu’il était occupé, mais parce que c’était une fois de plus un autre « étranger » qui avait encore été affecté à Ebolowa. Pendant son installation, le gouverneur lui dit ouvertement dans son discours, qu’on ne dirige pas les bulu comme on dirige les Haoussa et les Bassa (où il avait travaillé dans le passé). En 1999, monseigneur André Wouking est affecté à Yaoundé au même moment que monseigneur Joseph Atanga est affecté à Bafoussam. Certaines personnes barricadent la route à l’entrée de la ville de Yaoundé le jour de l’arrivée de Wouking, parce qu’on ne voulait pas d’un archevêque étranger pour ne pas citer la tribu à Yaoundé. Là c’était les exemples de Blanche Oyono. Lire aussi :Construction de l’unité nationale : Un long fleuve pas du tout tranquille (Suite et fin)
Début septembre 2011, Wikileaks le site internet du Suédois Julian Assange révèle un câble diplomatique de l’ambassadeur américain au département d’Etat ; qui fait allusion à une confidence à lui faite par le ministre de la justice de l’époque Amadou Ali. Ce dernier avait confié à Janet E. Garvey, qui a séjourné au Cameroun de mai 2007 à août 2010, que les ressortissants du Septentrion du pays n’accepteront pas qu’un originaire du Sud ou de l’Ouest prenne le pouvoir. Il précisait que les ressortissants des trois régions du Nord continueront à apporter leur soutien au président Biya aussi longtemps qu’il souhaitera rester au pouvoir, mais après lui ce sera tout. Plus récemment, le 26 janvier 2019, le jeune Gaëtan Ngankam est poursuivi par les policiers devant l’hôpital général de Douala, où il est venu avec des centaines d’autres manifestants apporter leur soutien à Célestin Djamen, touché par une balle. Dans une ruelle du quartier Beedi où il tente de se réfugier, il est repoussé par des jeunes du quartier qui lui disent, d’après ses déclarations, d’aller à Bépanda ou à l’Ouest marcher. Lire aussi :Crise ethnique : Qui sommes-nous ? (1ère partie…)
Ministre et médias dans la danse
Et plus frais dans les mémoires encore, le 3 février 2019, au cours de l’émission actualité Hebdo diffusé en fin de soirée sur la chaine de télévision publique Crtv, Jean de Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice garde des sceaux, parlant en tant que président de son parti, a tenu des propos injurieux à l’égard d’une tribu camerounaise. Selon Joshua Osih, vice-président national du Social democratic front, le ministre Momo a « particulièrement développé une idée de haine obsessionnelle au point de dévoiler sans le vouloir l’épuration ethnique à bas bruit qui se prépare de part et d’autres et contres tous.» Lire aussi :Chronique /Le Cameroun à l’épreuve de l’Unité
Des exemples pullulent en effet, qui laissent voire que les fissurent s’élargissent chaque jour un peu plus au sein des ethnies camerounaises, pays où certains médias appellent désormais ouvertement à la haine, en mondo vision, sans que cela n’émeuve outre mesure. Selon l’article 5 alinéa 2 de la Constitution, le président de la République incarne l’unité nationale. Laquelle unité déjà sérieusement menacée par la crise dite anglophone, est plus que jamais attaquée. Mais l’on n’a toujours pas entendu le président faire une sortie pour condamner. Silence complice ou coupable ? Diviser pour mieux régner est une vielle méthode bien connue dans les stratégies politiques depuis l’antiquité, mais qui marche toujours aussi bien, cette technique qui consiste à semer la discorde et opposer les hommes entre eux pour les affaiblir et les influencer. Qui a intérêt à ce que le peuple camerounais soit divisé ? Qui a peur de l’unité nationale, une unité forte qui raffermit les peuples du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest ? Comment peut-on professer l’unité du bout des lèvres à longueur de discours, et laisser autant de dérives prospérer?
Roland TSAPI