Par un après-midi pluvieux, ce 16 juillet 2025 à Douala, le projet révolutionnaire baptisé ‘’Les Artistes se Mobilisent pour la Nation’’ a vu le jour, porté par la détermination de l’artiste Moni Bilé, et soutenu par l’expertise médicale.
Le concept est aussi simple que novateur : utiliser la création artistique comme levier pour financer des soins médicaux urgents. Au cœur de ce projet se trouve Moni Bilé, artiste de renom, dont le parcours personnel a servi de catalyseur. La perte tragique de son père en 2016, faute de soins médicaux accessibles, a transformé sa douleur en une formidable énergie créatrice. Son initiative repose sur trois piliers fondamentaux. D’abord, la mise en place de centres d’urgence répartis entre Douala et Yaoundé (pour un début, puis dans tout le pays, ndlr), offrant des soins gratuits pour les cas jugés urgents.
Les soins seront administrés par les médecins de la Société Camerounaise d’ Anesthésie Réanimation, Scar, qui a adhéré au projet de Moni Bilé, porté par l’Association pour la Culture (APC), qu’il préside. Ensuite, un système de financement original où chaque achat d’œuvre artistique (CD, clé USB ou streaming) contribue directement au fonds de solidarité médicale. Enfin, la création d’une assurance santé spécifique pour les artistes et leurs familles, alimentée par les droits d’auteur.
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Lorsque Moni Bilé prend la parole en conférence de presse ce mercredi 16 juillet à l’hôtel Sawa à Douala, un silence religieux s’installe. Sa voix, empreinte d’une émotion contenue, raconte l’injustice qui a tout déclenché. « Quand mon père avait été conduit en urgence à l’hôpital ce jour là, il n’avait pas de pièce d’identité ni d’argent. Nous n’avions pas l’information. Il avait été conduit la nuit, et est mort le matin, sans aucun soin, parce qu’i n’avait pas d’argent sur lui», raconte l’artiste. Les mots résonnent comme un électrochoc dans l’assistance. Pourtant, au lieu de sombrer dans le ressentiment, l’artiste a choisi l’action. Son projet : Les Artistes se Mobilisent pour la Nation.
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Leurs mobilisation, à travers la production et la vente de L’hymne de la Solidarité, va permettre la création des centres d’urgence gratuits pour tout Camerounais en situation d’urgence médicale. « J’ai donné mes propres œuvres. Si chaque artiste fait de même, nous sauverons des vies », avance-t-il comme pour convier ses confrères à adhérer au projet, et à inviter les pouvoirs publics, les chefs d’entreprises et autres bénévoles à faire des dons via l’APC, pour « sauver des vies. En France, Les Restos du cœur luttent contre la faim. Nous luttons ici, pour sauver des vies. Nous avons besoin du soutien de tous parce que c’est la nation qui va en bénéficier. Nous avons adressé des correspondances dans les entreprises, les ministères, et même à la Présidence de la République. Nous attendons leur retour ».
L’art pour panser les blessures
L’aspect médical du projet bénéficie du soutien technique rigoureux de la Scar, représentée par la trésorière de l’association , le Dr Kouenkam Nana Manuela. L’organisation apporte son expertise cruciale dans plusieurs domaines. « Elle supervise la conception des centres de d’urgence pour garantir leur conformité aux standards internationaux. Elle établit les protocoles médicaux précis, distinguant notamment les urgences vitales (nécessitant une intervention immédiate) des urgences différables (comme les fractures ouvertes qui doivent être traitées dans les 24 heures). Enfin, elle assure la formation du personnel soignant, élément clé pour la qualité des prestations.»
Les artistes, habitués aux scènes, écoutent avec une attention inhabituelle. Ambroise Messi, star de la musique camerounaise, brise ensuite la gravité par une anecdote. « Une chanson peut calmer une colère, apaiser une douleur. Imaginez ce qu’elle peut faire pour un hôpital », avance l’artiste sur un style plein d’humour.
Sur le plan opérationnel et financier, le Dr Pierre David Ebosse, adjoint au médecin-chef de l’hôpital militaire de Douala et président de la Société camerounaise d’anesthésie réanimation, a présenté une feuille de route concrète. Le modèle économique combine plusieurs sources de financement : la commercialisation d’œuvres artistiques spécialement créées pour le projet, des dons en matériel médical et des partenariats avec des institutions financières pour gérer les mutuelles santé. Cette approche multidimensionnelle vise à créer un écosystème autonome où la culture devient un véritable filet de sécurité sociale.
Hymne de la solidarité
L’annonce de l’hymne de la nation, composé pour le projet, apporte davantage de crédibilité et de certitude dans la réalisation de ce projet. « La musique est prête, il ne manque que vos voix », lance Moni Bile. Pour le Dr Pierre David Ebosse, figure respectée de la médecine camerounaise, « ce projet n’est pas qu’artistique ou médical. Il est national ». Son appel aux autorités est accueilli par des cris d’approbation. « Il faut une console, du matériel, des lieux. C’est une action vitale pour vous-mêmes, vos familles, et même pour les autres citoyens. L’art, peut mobiliser des fonds, radicaliser l’action, changer le cours des choses », déclare-t-il.
Alors que la conférence se clôture, la pluie s’atténue. Dehors, les discussions se poursuivent sous les auvents, entre éclaboussures et rires. On parle de dons, de concerts-bénéfices, d’espoir. Car sous les gouttes de juillet, c’est une solidarité nouvelle qui est née – fragile encore, mais tenace.
Cheikh Malcolm Radykhal EPANDA