Depuis quelques jours, elle érige une barrière autour d’une concession privée, en dépit des textes. Aux commandes de l’opération, le député Dooh Collins.
«Moi huissier…dit et déclare au délégué susnommé que par les présentes, le requérant s’oppose formellement au bornage de sa parcelle de terrain d’une contenance superficielle de 3007 m2, sise à Youpwé, qui lui a été attribué par le chef supérieur du canton Bell depuis 2001… Face à cette voie de fait, tout ce qui sera fait au mépris de la présente opposition, sera nulle et de nul effet.» Ainsi s’adressait Me Owona née Suzanne Edimo, au délégué régional du Cadastre du Littoral. La correspondance qui date du 4 mai 2018 devait mettre fin au tourment de Jean Paul Dassie Sielenou, du moins pour quelque temps. Que non. Sa parcelle de terrain sur laquelle il s’est investi depuis 2000 continue d’être spoliée. Au banc des accusés, l’église catholique Saint Ignace d’Antioche de Youpwé à Douala. Le nom qui revient surtout au devant de cette affaire est celui du député Dooh Collins, chef des travaux à ladite paroisse.
L’affaire a connu une accélération le 13 juin 2018. Le Port autonome de Douala, propriétaire de toute la zone s’est senti le devoir d’intervenir. «Les agents du Port autonome ont décidé d’arrêter les travaux pour qu’il n’y ait pas mort d’homme, jusqu’à ce que le ministre du Cadastre et des affaires foncières trouve une solution au problème. Les fidèles de l’église dont le député Dooh Collins ont commencé à les couvrir d’insultes, de menaces», relate, toute colérique Jilette Flore Tchamessi, Epse Dassie. Qui poursuit, «ils disent avoir obtenu le terrain du ministre. Le ministre ne peut pas céder un terrain avec les maisons dessus, les investissements que nous avons faits depuis 1990.»
Au commencement…
Pour la petite histoire, le couple Dassie s’installe sur un lopin de terre à Youpwé en 1978. L’espace n’est encore un marécage. En 2001, le Prince Douala Manga Bell René confirme officiellement sa présence sur les lieux en lui attribuant une superficie de 2000m2. Ce document de «cession de terrain» signé de l’autorité traditionnelle, et dont nous avons eu copie date du 4 mai 2001. «Quand la mission catholique arrive en 2002, elle va voir le Prince Bell. Il lui donne un terrain à la Marina. Le jour où le Prince Bell leur donne cet espace à proximité du nôtre, il fait appel à mon époux pour le tenir informé. Le Prince leur remet un espace de 10milles mètres carré. Ce jour, étaient présents le Prince Bell, le sous-préfet, le cadastre», se souvient Jilette Flore Tchamessi, Epse Dassie. Cette même année, la Mission catholique commence à empiéter sur la parcelle de J.P. Dassie. Le 22 mai 2002, le Prince Douala Manga Bell René adresse une correspondance de mise au point à son Eminence le cardinal Christian Tumi. Il demande notamment à l’Eglise de respecter les limites de terrains cédés par ses soins, et de ne «pas empiéter sur l’espace de Monsieur Dassie.» En 2003, l’Abbé Clément Ndjewel, vicaire épiscopal de la Cathédrale Saints Pierre et Paul s’adresse au Sous-préfet de Douala 1er en ces termes : «J’ai donc demandé que les ouvriers respectent les indications figurant sur la lettre du Chef supérieur. Le terrain alloué à la Mission pour la chapelle et annexe nous convient. S’il faut négocier avec Dassie pour la portion qu’il occupe, il faudrait une entente. Je n’aimerai pas que ce soit objet de palabre.»
Tout roule alors pour le couple. Sur la parcelle, il effectue des remblaies, édifie un immeuble servant de garage, plante des palmeraies. Quand il apprend que le terrain est sur l’espace portuaire, donc propriété de l’Etat, J.P Dassie fait une demande d’attribution en concession. Une commission chargée d’examiner la nature juridique de la parcelle effectue une descente sur le site le 10 octobre 2009. La commission est constituée du chef du service département Patrimoine (Ngosso Damase Samuel), du délégué départemental du ministère du Développement urbain et de l’Habitat (Talla Pierre), du chef service du département des Cadastres (Mfabo), du chef service du département des domaines (Ibantsi Sategue Hervé) et du président de la commission, (Besinga Ely Itone). Conclusion du procès-verbal dont nous avons copie : «La commission propose l’attribution de cette parcelle à Monsieur Dassie Sielenou par voie de bail emphytéotique d’une durée de 99 ans renouvelables». Un matin de 2015, «Dooh Collins fait détruire mes palmiers à huile et une fondation construite en matériaux définitifs, tout ceci au nom de la Mission.» Une plainte est alors déposée chez le procureur de la République du Tribunal de Première Instance de Douala-Bonanjo. Le 24 mars 2015, le cabinet Tchuente, écrit au président du tribunal : «J’ai l’honneur, agissant au nom et pour le compte de l’Archidiocèse de Douala partie civile à cette instance, de vous annoncer son désistement.»
La loi du plus fort
Malgré tous ces actes, Dooh Collins reviendra à la charge. Il mène les constructions sur le terrain de Jean Paul Dassie Sielenou, situé à un vol d’oiseau de la chapelle. Toutes nos tentatives (appels, messages) pour rencontrer le député Dooh Collins sont restées lettre morte. Descendus le 20 juin 2018 sur le site, nous avons constaté l’effectivité des travaux. Les ouvriers sur le chantier érigent un mur en dur autour des propriétés de Dassie. Nous ne sommes hélas pas les bienvenus. Rabroués par certains ouvriers qui ne digèrent pas la présence de journalistes, nous tombons sur un homme qui se présente comme le frère de Dooh Collins. Nous déclinons notre identité et notre volonté d’écouter la version du député. «Il ne peut pas vous parler. On a toujours eu à le diffamer dans les médias et il ne répond jamais. Que voulez-vous qu’il vous qu’il vous dise ? C’est une affaire qui concerne la paroisse. Voilà le curé. Causez avec lui.» Le curé sera bien plus amer.
Dans sa soutane défraichie, l’air sérieux, il veille sur les travaux comme un malfrat face à son butin. Nous nous présentons, déclinons l’objet de notre présence et sollicitons un entretien. Réponse : «Est-ce que le plaignant Mr Dassie vous a présenté les documents authentifiés ? Les gens veulent mentir. Le ministre des domaines nous a attribué ce terrain il y a six mois. De toutes les façons passez au presbytère vendredi (22 juin).» «On aimerait avoir votre contact pour confirmer le rendez-vous», lui dit-on. «Vous n’aurez ni mon nom ni mon téléphone. D’ailleurs ne passez plus vendredi. Je ne vous reçois plus. Mon nom et mon téléphone font partie de ma vie privée. Je ne vous donne rien et si vous voulez, agitez-vous», dixit le représentant de Dieu sur les lieux. Nous sommes alors chassés à coup de menaces physiques, de propos frisant la sauvagerie, sous le sourire complice de l’Abbé donc nous aurions le nom plus tard dans nos investigations. Il s’appelle bien l’Abbé Jean Paul. Pour l’heure, les travaux se poursuivent au mépris de la loi. Exit la force à la loi. Le député et sa Mission font prévaloir désormais la loi du plus fort.
Valgadine TONGA
Post-scriptum
Quand l’Eglise s’allie au pouvoir contre le pauvre
L’une est supposée apporter le réconfort au peuple, c’est l’Eglise. L’autre, le pouvoir, est censé protéger ce même peuple, tout en lui assurant le bien être. A Youpwé, une petite localité située dans l’arrondissement de Douala Ier, bien connue pour être un embarcadère où l’on se ravitaille du poisson tôt le matin, et qui sert aussi de point d’embarquement pour l’île de Manoka, c’est tout le contraire.
A l’entrée de ce quartier en effet, une imposante barrière s’érige comme par vengeance. Le défi est perceptible dans l’attitude de tous ceux qui s’y trouvent, sous le regard d’un «homme de Dieu» bien en soutane, dont la présence est plus un masque qu’une protection, un bouclier pour les ouvriers qui s’activent sur le terrain. Leur engagement, qui va jusqu’à l’agression verbale des journalistes indique que ces derniers doivent être bien traités contrairement à l’habitude, comme ils aiment se plaindre. Juste derrière lui, comme une sentinelle, un homme assez élancé, qui selon ses dires représente un député de la circonscription du Wouri Centre qui englobe les arrondissements de Douala Ier et de Douala VIeme. Ce député n’est autre que Dooh Collins, décidé à faire œuvre de bienfaisance à la paroisse de l’église catholique Saint Ignace d’Antioche de Youpwé, et ce contre vents et marrées. Quels péchés est-il autant déterminé à expier ?
Le député a trouvé ici que le terrain sur lequel il veut aider l’église est litigieux, mais s’obstine à encourager les travaux. Au-delà des correspondances aussi bien de l’autorité traditionnelle, administrative et même de la hiérarchie de l’Eglise, lesquelles font état de ce que le bénéficiaire de la parcelle querellée, est bien un citoyen du nom de Dassie, le député, dont l’une des missions régaliennes est de s’assurer du bien-être des populations, semble avoir oublié que ce citoyen lui a peut être donné sa voix pour qu’il le représente à l’Assemblée nationale. Celui qui devait en temps normal être dans son cabinet parlementaire à aider les citoyens à taire les litiges, est au cœur du litige. Le protecteur est-il devenu plutôt l’oppresseur ?
«Fuyez le mal avec horreur»
Tout semble le faire croire. Et dans un contexte de pluralité d’expression, il refuse de répondre au téléphone et aux messages sollicitant sa version des faits. Selon celui qui se présente comme son frère, «il ne parlera pas, il ne parle pas souvent malgré les calomnies dont il est l’objet dans les médias». Le député, qui au moment de rechercher les suffrages est partout, se fait voir et demande à parler à tout le monde, est devenu mystérieux pour la circonstance, et personne n’a le droit de savoir où il est. Nous parlons bien de l’homme public, le député, le représentant du peuple. Faute de répondre au téléphone, son cabinet devrait répondre aux citoyens qui souhaitent le rencontrer, quel que soit le motif. Mais au Cameroun, la fonction de député a une autre signification, et sert à autre chose.
De même que l’église, de toute évidence. Le lieu de réconfort, le symbole de la paix et de la rédemption, semble être devenu le lieu de la rétention…de la chose d’autrui. L’Eglise qui dispute le terrain à un privé ! Déjà attributaire d’une parcelle de terrain de 10 000 mètres carré au même endroit, la paroisse Saint Ignace d’Antioche semble insatiable. Elle en veut plus, même en dépossédant les pauvres dont elle réclame pourtant les âmes pour amener à Dieu. Dans les multiples correspondances ayant trait à cette affaire, on retrouve même des écrits de l’Abbé Clément Njewel, vicaire épiscopal adressée au sous-préfet de Douala Ier le 26 février 2003. « S’il faut négocier avec Dassie pour la portion qu’il occupe, il faudrait une entente. Je n’aimerai pas que ce soit objet de palabre », écrit-il. Ces écrits sont pourtant explicites. Il faut « négocier », il faut une « entente » des paroles qu’on aimerait entendre de tout homme de Dieu. Mais d’où vient-il que cette voix n’ait pas d’effets sur le site. Les écrits datent de 2003, et en 2018 on en est encore aux palabres, 15 ans après. Pourtant, il est encore bien écrit noir et blanc dans la Bible : « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien » (Rm 12, 9).
Auprès d’un élu du peuple, détenteur du pouvoir, et de l’Eglise, l’homme devrait se sentir en sécurité. Dommage que sous nos cieux, les deux mis ensemble soient plutôt source d’insécurité !! Ne sommes-nous pas vraiment dans la fin des temps, comme indiqué dans 2 Timothée 3 : «Sache que, dans les derniers jours, il y aura des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, hautains, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, insensibles, déloyaux, calomniateurs, intempérants, cruels, ennemis des gens de bien…»
Roland TSAPI