Combien sommes-nous au Cameroun ? La réponse à cette question ne peut être donnée avec précision par aucune institution étatique du pays. L’Institut national des statistiques (Ins) travaille sur des estimations. Le ministère du Plan et de l’Aménagement du territoire est aussi hésitant sur les chiffres. Le Bureau central des recensements et des études des populations (Bucrep) n’est pas plus fixé. Le programme de politique générale du président Biya a été déployé dans son discours de fin d’année, avec beaucoup de promesses, mais pas un seul chiffre, or tous les économistes et hommes politiques savent qu’un programme est toujours adossé sur le nombre exact d’une population, et les projections sont également faites en tenant compte de son évolution. On ne peut en effet planifier le bien être d’une population sans en maitriser le nombre et la croissance. Selon le Bucrep, cette population est de 23 794 164 habitants en 2018, d’après les informations prises sur son site internet visité le 03 janvier 2019 à 11h30. Même cette institution qui est supposée donner l’information précise est dans les supputations. En effet, après le 3eme recensement général de la population et de l’habitat qui a eu lieu en 2005, les chiffres publiés 5 ans plus tard étaient de 17 463 836 habitants.

Un recensement inerte
Depuis lors, plus rien. Ou plutôt, en 2015 soit 10 ans après, le président Paul Biya a signé le décret N°2015/397 le 15 septembre 2015 instituant le 4ème recensement général de la population et de l’habitat (4eme Rgph). On amorce déjà la 4eme année depuis la signature de ce décret, mais l’habituelle inertie qui caractérise les institutions étatiques se porte plutôt bien ici. Pourtant, ce même Bucrep reconnait l’importance de l’opération en ces termes: «Le Recensement a pour finalité première de fournir aux pouvoirs publics et aux autres acteurs du développement, les données nécessaires à l’adoption de certaines décisions d’ordre économique, sociale, politique et administratif. Dans le contexte actuel, caractérisé par une intense activité de planification et de mise en œuvre de programmes et projets de développement, destinés à fonder les bases de l’émergence économique du Cameroun d’ici 2035, le 4ème Recensement institué par le Chef de l’Etat arrive à point nommé.Ainsi, il vise à rendre disponibles les données nécessaires à la planification du développement, et à la prise en compte du dividende démographique dans l’élaboration des politiques permettant l’évolution du Cameroun vers l’émergence.»
Bureaucratie
Le décret de 2015 précisait en son article 11 alinéa 5, qu’un arrêté du Premier ministre fixe la date de début et de la fin des opérations de dénombrement, et créait en même temps à l’article 17 quatre organes qui assurent l’orientation, la coordination et le contrôle des opérations du quatrième recensement. Il s’agit du Conseil national, du comité technique, de la coordination nationale, enfin des comités régionaux, départementaux et d’arrondissement. D’après ce décret toujours, les opérations de recensement se déclinent en 9 opérations, de l’élaboration des documents techniques à la publication, la diffusion et la dissémination des résultats du recensement, en passant notamment par la cartographie, la formation du personnel et la sensibilisation entre autres. S’agissant de la cartographie, le travail de terrain était achevé dans 176 arrondissements au 28 juillet 2017, représentant un taux de couverture global de 65,1%, d’après le dossier de presse de la deuxième session ordinaire du conseil national.
D’après le même document, 7 régions sur 10 étaient couvertes à plus 50%, avec la précision selon laquelle au cours des 03 dernières semaines avant ce 28 juillet, une dizaine de détachements étaient quasiment à l’arrêt pour diverses raisons comme les pannes de véhicules, l’épuisement de la dotation en carburant, l’attente des frais spéciaux pour des zones très inaccessibles, entre autres. Bref, l’organe en charge de donner l’information précise sur le nombre de la population prend son temps depuis 2015. Et à ce rythme il n’est pas évident que dans les 5 prochaines années, il ait rendu sa copie, même si le recensement était clos. On se rappelle qu’après la clôture du recensement de 2005, il a fallu attendre 5 ans pour que les résultats soient rendus public, c’était en 2010, à la veille de la présidentielle de 2011.
Planification aveugle
En attendant, toutes les planifications sont faites à l’aveuglette, avec les résultats tout aussi approximatifs, pour ne pas dire catastrophiques. Comment une gestion urbaine efficace de la ville de Douala peut-elle être faite si l’on ne connait pas quelle est la démographie exacte ? Comment, au-delà des difficultés logistiques, les ordures ménagères peuvent être durablement ramassées et traitées si l’on ne connait ni le nombre de ménages qui les produisent, ni le tonnage ? D’années en années on entend dans les discours officiels des formules du genre « beaucoup a été fait mais beaucoup reste à faire. » Simplement parce que ce qui est fait n’est généralement pas guidé par l’objectif de satisfaire une population d’un nombre précis à court terme, et d’un nombre maitrisable à long terme en fonction de la courbe d’évolution.
Comme le relève le Fonds des nations Unis pour la population, le problème de la population n’est pas uniquement une question de chiffres, c’est aussi une question de bien-être humain et de développement. L’on ne peut satisfaire un peuple, encore moins l’impliquer dans le développement si l’on ne maîtrise son nombre. Et la question du début revient. Pour quel nombre de la population les programmes du gouvernement ont été élaborés pour 2019 ?
Roland TSAPI