J’arpente le bitume défoncé de ce tronçon de la souffrance et de l’esclavage centenaire. Je regarde ces bayam sellam hagards, assises, les pieds tendus, entre tomates, fruits et légumes. Un silence qui crie de douleur évidée. Elles ont tellement pleuré quelles dansent maintenant, dans une posture inhabituelle ; les fesses trainant au sol, balançant les hanches. ‘Massasa’, la danse de la mort…
Je m’assoie sur une pierre de fortune devant une véranda lépreuse ou les gens se baignent de misère avec obstination. Derrière moi les cases sont alignées, lugubres. 30 ans, 40 ans ? Une mini cité d’une chambre, un salon. Ils ont été recrutés jeunes et robustes, ils ont pris femme et élève, une brigade d’enfants qui maintenant grand, ont été aussi recrutés dans les plantations de bananes. Combien sont-ils par foyer ? 5 ou 6 ? Les parents occupent l’unique chambre, avec 1 ou 2 petit dernier. Les ainés sont agglutinés au salon cuisine, comme des sardines frétillantes sur les feuilles de bananiers…
Lire aussi :Carnet noir : Paul Eric Kingue range son écharpe
Qui a aboli l’esclavage fasse un tour à Njombe Penja. Les travailleurs sont religieusement tondus. Avant c’étaient les colons, remplacés par la multinationale, ou sont actionnaire les pontes du régime…
Le fief de l’Upc, puis du Sdf que Paul Éric était venu arracher pour le Rdpc. Pour le remercier, le pouvoir le jeta en prison. Il parlait trop ! Le messie est revenu, ressuscité ! pour poursuivre le combat pour la justice sociale. Maintenant il est mort…
Deux fois orphelins, les populations sont foutues. Le temps de reconstruire ce pays dans 30 ans au moins, il ne leur restera que la peau sur les os. Mieux, ils rentrent s’abîmer dans la misère des bananes maudites ou un seul fruit mangé a l’ombre de la faim vaut un séjour en prison au contrevenant.
12ème enfant d’une famille de 12 enfants, son père était gardien de nuit et sa mère cultivatrice qui, pour améliorer le quotidien vendait les beignets de maïs à Penja. Son père est décédé alors qu’il a 7 ans. Les champs familiaux sont arrachés à sa mère parce que le gouvernement Ahidjo envisageait de créer une société de bananeraies qui s’appellera Organisation Camerounaise de la Banane (OCB). Sa mère s’est opposée à cette expropriation. Elle est jetée en prison.
Dès le bas âge, PEK est déjà révolté, car il ne supporte pas de voir sa mère dans une cellule. Il jurera à sa mère, entre les interstices des barreaux, qu’un jour, il demandera des comptes aux exploitants des bananeraies. Est-ce pour cela qu’il rêvait tout collégien de devenir ‘criminologue’ sans savoir ce que c’est ?
Le voici à l’université. Alors nait dans sa tête l’organisation d’un festival de musique universitaire. L’Unesco est mis dans la confidence et débloque 150 millions CFA. C’est suffisant pour que les ministres intéressés se bousculent au portillon. Choqué l’Unesco retire ses billes. De guerre lasse, l’étudiant, par un pur hasard propose le projet à l’université de Pretoria dont l’adresse est piquée dans jeune Afrique. Pretoria accepte de discuter du projet et lui envoie un billet d’avion. Le Fils de cultivatrice et de gardien de nuit embarque pour l’Afrique du Sud.
Trois jours à peine au pays arc en ciel et le président de l’ANC Nelson Mandela demande à le recevoir. En compagnie du Directeur des affaires culturelles de l’université de Pretoria, et de Winnie Mandela, le président Mandela le reçoit. « Nous vous avons fait venir parce que votre projet va nous permettre de fédérer dans un festival, les noirs, les blancs, les métis ». La première édition du Festival Interuniversitaire des arts et de la culture (Fuac) a eu lieu en juin 1995 sous la présidence de Nelson Mandela.
Retour au Cameroun
L’Afrique du Sud le nomme entre temps patron d’un bureau qui au Cameroun, va représenter les 12 chambres de commerce Sud-africaines. La South africa Trade organisation (Sato) créé en 1996 avec pour mission de sensibiliser les entreprises camerounaises sur les opportunités qu’offre l’Afrique du Sud. Pek officie 7 ans à la Sato avant de démissionner et devenir importateur de salons en cuir sud-africain. Une autre histoire…
Devenu prospère, il entre en politique, se fait élire maire de Njombe-Penja et fini en…prison…
EPILOGUE : ses batailles politiques sont justes. Mais il avait moins la finesse d’un judoka que la rudesse d’un champion du mixed martial arts (MMA). Le 8 février 2008, Paul-Eric Kingué, maire nouvellement élu de la municipalité de Njombé-Penja, est arrêté à son domicile et traduit en justice. La peine du tribunal sera lourde : la réclusion à perpétuité. Près de huit ans plus tard, après un long et pénible processus judiciaire derrière les barreaux, la Cour suprême a annulé le jugement. Libre ? Pas pour longtemps. Arrêté au début de l’année dans le cadre des marches blanches organisées par le MRC, après neuf mois de prison Paul Éric Kingué est de nouveau libre depuis le samedi 5 octobre 2019. Il reprend son fauteuil de maire et meurt lamentablement d’une maladie mystérieuse qui a été plus forte que lui.
Que va penser sa mère depuis le paradis ou elle s’est réfugiée ? Etrange destin…
Edouard Kingue, depuis Njombe Penja