Poussées par les fraudes électorales constantes, découragées par des textes taillées sur mesure, les populations camerounaises ont presque abandonné le champ politique. Mais elles ne sont pas conscientes de l’erreur qu’elles commettent en refusant de s’y intéresser.
Le désintérêt des Camerounais pour la politique est devenu presqu’incurable. Politique étant entendu comme tout ce qui a trait aux élections, locales ou nationales. A ce sujet, les taux d’abstention en pourcentage sont assez éloquents, si l’on se réfère aux différentes échéances électorales présidentielles depuis 1992. Par taux d’abstention, on désigne le nombre des personnes inscrites sur une liste électorale, mais qui ne sont pas allées mettre le bulletin dans l’urne le jour du vote. Et il ne faut pas perdre de vue que pour la fonction présidentielle par exemple, l’article 116 alinéa 1 du code électoral dit que le Président de la République est élu pour un mandat de sept (07) ans au suffrage universel direct, égal et secret.

Il est dès lors important de préciser que la loi n’indique pas un certain nombre de personnes qui doivent voter pour que l’élection soit valide. Si sur les 7 millions de Camerounais inscrits sur les listes électorales à ce jour, et donc autorisés à voter, 500 000 personnes seulement partent mettre le bulletin dans l’urne, le vote sera validé. On notera simplement que les 6 500 000 électeurs restants se sont abstenus de voter, et les raisons pour lesquelles ils n’auront pas voté ne modifieront pas les résultats. Celui qui aura eu le plus grand nombre de voix sur les 500 000 votants va être proclamé par la Cour Constitutionnelle, il va prêter serment face aux membres du Parlement, du Conseil Constitutionnel et de la Cour Suprême, et deviendra à partir de ce moment le président de tout le monde. On dira peut-être qu’il n’est pas légitime, mais il sera légal.
L’erreur de s’abstenir
C’est là où s’abstenir de voter n’est pas la meilleure des choses à faire dans un pays où chacun aspire à faire entendre sa voix. En définitive, moins élevé est le taux d’abstention, plus légitime et légal est l’élu. Mais si le taux d’abstention est très élevé comme dans l’exemple cité, l’élu sera moins légitime, mais il sera toujours légal. Pour les quatre élections présidentielles que le Cameroun a déjà connues depuis l’avènement du pluralisme, toutes remportée par Paul Biya, les taux d’abstention était de 26% en 1992, 18% en 1997, 17% en 2004 et 34% en 2011. Donc entre 2004 et 2011, le nombre de Camerounais inscrits sur les listes, mais qui n’ont pas voté a doublé. Et là il s’agit de ceux qui ont quand même pris la peine de s’inscrire sur une liste électorale.

Mais il y a une bonne partie des Camerounais qui sont en âge de voter, c’est-à-dire 20 ans et plus, et qui refusent même de s’inscrire sur une liste électorale, et ils sont aussi nombreux que ceux inscrits. Dans d’autres pays africains, et même en République centrafricaine près de nous, le pourcentage des inscrits est toujours au-delà de 50, c’est-à-dire près de la moitié de la population globale. L’Organisation non gouvernementale Un monde Avenir et ses partenaires associés, pensent d’ailleurs, après une étude menée entre avril et septembre 2017 dans 5 régions du pays, que dans des conditions normales, près de 12 millions de Camerounais seraient inscrits sur les listes électorales. L’opération 11 millions est également fondée sur cette possibilité.
L’imbécile heureux
Le prétexte avancé par ceux qui sont inscrits sur les listes électorales et ne veulent pas voter, est souvent qu’il ne sert à rien de voter parce que les résultats sont connus à l’avance selon eux. Pour ceux qui ne veulent même pas s’inscrire, ils disent qu’ils ne veulent rien avoir à faire avec la politique. Ceux-là se complaisent dans leur situation, et pensent fermement que s’intéresser à la politique est synonyme de s’attirer des problèmes. Mais ce sont ces derniers en réalité qui font le malheur de la société. C’est eux que le poète et dramaturge allemand Bertolt Brecht appelle «les imbéciles heureux, les analphabètes politiques».
Il les décrits en ces termes : « Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricot et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »
Nul doute qu’il y a beaucoup de Camerounais qui se reconnaissent dans cette description. Ce qui est déjà une avancée vers la sortie, car la prise de conscience de l’existence d’un problème, est le premier pas vers la résolution du problème. Et pour cette échéance électorale et celles à venir, chaque Camerounais devra choisir entre participer au choix des politiques, ou être l’imbécile heureux qui produit le politicien malhonnête.
Roland TSAPI
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