Les élections présidentielles camerounaises depuis les années 90 ont toutes été marquées par des tentatives de coalitions. Mais jusqu’ici ce remède n’a pas toujours produit les effets miracles. La coalition au Cameroun est-elle programmée pour échouer ?

L’opposition camerounaise a déjà tenté par deux fois, depuis l’avènement du multipartisme en 1990 de se réunir dans une coalition, sans que la stratégie ne produise le résultat attendu de la population jusqu’ici. En cette année où cette coalition semble être un élément déterminant pour l’élection à venir, qu’est ce qui garantit qu’une troisième sera la bonne ?
La première expérience d’un regroupement de l’opposition se fait en 1992. C’est la première élection présidentielle pluraliste au Cameroun, et le parti au pouvoir dispose entre ses mains la machine administrative pour la gestion du scrutin. Les partis politiques jugent alors nécessaire de se mettre ensemble pour maximiser les chances. Mais cette opposition naissante à l’époque, titubante et encore minée par une forte régionalisation, n’a «pas su ou pu capitaliser le mécontentement populaire, elle avait non seulement sous-estimé la capacité de résistance du régime en place, mais avait naïvement pensé qu’il suffisait d’envoyer le peuple dans la rue pour faire chuter le régime vomi », comme le remarquait Jean Bosco Talla.
Des atouts, mais…
Les partis les plus en vue à l’époque était le Sdf de Ni John Fru Ndi, l’Upc de Dicka Akwa Nya Bonabella, l’Udc de Adamou Ndam Njoya, l’Ufdc de Hameni Mbieleu, la Dic de Gustave Essaka, le Msnd de Yondo Madengue Black, l’Undp encore dirigée par Samuel Eboua, pour ne citer que ceux-là. Aux côté des partis politiques il y avait la société civile pilotée par Cap liberté de Djeukam Tchameni, le tout soutenu par trois journaux privés à savoir Le Messager de Pius Njawé, La Nouvelle Expression de Séverin Tchounkeu et Challenge Hebdo de Benjamin Zébazé, lesquels journaux avaient été baptisés «la sainte trinité». L’artiste Lambo Pierre Roger, alias Lapiro de Mbanga était aussi parmi les leaders d’opinion à l’époque, auteur des chansons engagées comme «Mimba we» qui appelait à la protection du métier des sauveteurs, le seul qui n’exigeait pas des diplômes et cinq ans d’expérience. D’après l’un des acteurs de 92, le rapport de force entre l’opposition, et le candidat du pouvoir soutenue par ce qu’on a appelé la majorité présidentielle était inéquitable. La fragilité des partis de l’opposition les mettait dans une situation où si chacun allait tout seul, il serait incapable de battre le candidat du pouvoir, et l’idée est venue d’organiser une coalition de l’opposition.

Le travail de sape du pouvoir
Tout commence par un Directoire convoqué par la société civile, qui réunissait les leaders des partis politiques et de la société civile, toute la faune de leaders d’opinion qu’on croyait être de l’opposition. Le Directoire était une sorte de coalition stratégique avec pour mission la coordination des actions de terrain sur le plan opérationnel et la désignation d’un candidat unique de l’opposition sur le plan technique. Du directoire on passera à la Coordination des partis politiques de l’opposition, qui devait continuer à travailler dans le sens de produire un candidat unique. Toujours d’après un témoin de premier plan, la Coordination volera en éclat grâce à la stratégie de déstabilisation conduite par le premier ministre de l’époque, Sadou Ayatou avec la complicité de Bello Bouba Maïgari.
Ce dernier est vice-président de l’Undp à l’époque, mais c’est lui qui est invité par Sadou Ayatou pour représenter le parti à la Tripartie, en lieu et place de Samuel Eboua. La Coordination au sein de laquelle siégeait Samuel Eboua représentant l’Undp devait aussi prendre part à la Tripartite, et ce parti se retrouva représenté à ce forum par deux personnes, Samuel Eboua et Bello Bouba. Evidement le pouvoir avait choisi son représentant de l’Undp, comme il le fait aujourd’hui pour l’Upc. Le système avait utilisé la même tactique de fractionnement des partis politiques comme l’on voit aujourd’hui. Petit à petit la Coordination vola en éclat, grâce à ce travail de sape du pouvoir qui avait continué de travailler en sourdine, noyautant plusieurs membres qui retournèrent la veste. Leaders des autres partis politiques pour des raisons diverses s’étant mis en marge, la société civile et les leaders indépendants d’opinion regroupèrent le peu de formations restées fidèles à l’idée de candidature unique autour de John Fru Ndi. Qui fut adoubé comme candidat de ce qui fut en définitive appelé Union pour le changement.
L’égo, encore l’égo
Comme le martèle les acteurs de l’époque, l’égo de certains leaders des partis a fait en sorte que pratiquement aucun président de parti n’acceptait une candidature unique si ce n’était pas la sienne. Le journaliste Jean Baptiste Sipa, qui œuvrait dans la cellule de communication de l’Union pour le changement, raconte qu’il avait personnellement menée une enquête auprès des présidents des partis à l’époque, pour savoir s’ils étaient prêts à se retirer de la course en faveur d’un candidat unique. Le seul qui répondit favorablement à cette question fut Hameni Mbieleu de L’Ufdc. Il est d’ailleurs allé jusqu’au bout de sa logique puisque quand Fru Ndi est choisi comme le candidat de l’Union pour le changement, il devint son directeur de campagne. Finalement l’opposition partit aux élections présidentielles de 92 en rang dispersés, minimisant ainsi ses chances de gagner.
A suivre …
Roland TSAPI