Forgée d’une réputation de quartier difficile, cette bourgade populaire située dans le 1er arrondissement de la ville de Douala, fière de sa renommée, connaît au fil des ans des transformations notoires qui impactent sa population.
« Je suis un enfant de Nkongmondo », clame régulièrement tout natif ou habitant de ce quartier populaire, comme pour signifier qu’il a un caractère bien trempé et qu’il ne se laisse pas marcher dessus. Kuntz Mabingo, quinquagénaire, habitant de la bourgade voisine de Bonapriso, déclare n’avoir pas eu la vie facile chaque fois qu’il se rendait à Nkongmondo pour ses rendez-vous galants. « Il fallait être fort pour qu’on ait peur de toi ou y avoir des amis pour sortir de là avec une nana. Si non tu étais pourchassé par ses frères du quartier».
Un cliché dans lequel certains habitants de ce quartier ne se reconnaissent pas. « Ce sont les images qui nous ont été collées injustement à la peau. Nkongmondo a toujours été un quartier hospitalier», nous déclare Louis Batamack, un de natif. Beaucoup, comme lui, attribuent plutôt cette mauvaise réputation du quartier à sa relation avec l’Union des Populations du Cameroun (Upc). Avec la lutte nationaliste pour l´indépendance du Cameroun dans les années 50, Nkongmondo lieu de résidence de Ruben Um Nyobe, Secrétaire général de l’Upc, est devenu aussitôt un des fiefs des combattants nationalistes et des militants de ce parti politique historique de l’opposition. Cette résistance à l’autorité coloniale et plus tard au pouvoir central local a formaté le mental de cette population demeurée longtemps dans l’adversité. « Les gens ont été beaucoup matés et ils sont, par conséquent, restés sur la défensive », soutient Luther Tonye, un autre habitant.

Origine
Nom d’origine bassa, Nkongmondo, vient de l’association de deux mots dont « Nkong» qui signifie terrain et « Mondo » qui veut dire « nouveau ». En clair, Nkongmondo signifie « nouveau terrain ». Ce quartier est créé en 1932 de la volonté d’un chef de subdivision de l’administration coloniale venu à la rescousse des allogènes Bassa qui vivaient à Bonadibong, quartier des autochtones Douala avec lesquels les rapports étaient devenus conflictuels. Pour apporter une solution à ce problème suite aux plaintes de ces derniers qui commencèrent à subir des représailles de la part des Douala -qui allaient jusqu’à les priver de messe dans l’église de Bonadibong-, on décida avec l’appui du clergé de l’époque, de leur attribuer un espace de New-Bell (Nouveau Bell). L’administration coloniale l’avait préalablement réservé aux Bonadouma, un clan Douala du Canton Bell, que ceux-ci refusèrent d’occuper.
Cette zone de recasement relevant du domaine publique de l’Etat, délimitée au Nord par le Marché Central, au Sud par le drain des Brasseries du Cameroun du côté Koumassi, à l’Est par les rails côté Bonapriso et à l’Ouest par l’avenue Manga Bell, est étendue sur 45 hectares. Avec son développement, elle compte aujourd’hui environ 25 000 âmes reparties en plusieurs communautés dont les Bassa et Bafia, les plus nombreux. On retrouve aussi les Yambassa, Banen, Bamiléké, Béti, Douala, Bamoun, quelques ressortissants du Grand Nord et étrangers.
En mode de survie
Comme dans la majorité des quartiers populaires, Nkongmondo est habité en majorité par une couche sociale de faibles revenus. « La population de Nkongmondo est pauvre », atteste Sa Majesté David Nguidjol, Chef de ce quartier. Le chômage des jeunes, du fait de la forte densité, est plus ressenti. Les populations vivent en grande partie des petits métiers et du petit commerce. Vigiles, ouvriers, braise de poissons, vente de bâtons de manioc et bayam-sellam dont les étagères de fortunes achalandées de produits de première nécessité sont visibles devant quelques maisons.
Dans cette situation de survie, les populations se targuent de rester solidaires. Selon Luther Tonye, les gens aident leurs prochains en cas de deuil ou d’un malheur. Mais face aux contraintes matérielles et financières, cet altruisme réciproque se limite dans les tontines. «On aide par reconnaissance ou celui dont on attend en retour quelque chose», précise notre interlocuteur.
Les habitants de Nkongmondo sont beaucoup plus visibles en soirée qu’en journée. On peut s’en rendre compte à partir de 17 heures. Certains prennent de l’air devant leurs domiciles, certains déambulent dans les rues, d’autres prennent d’assaut les débits de boisson. La mode dans cette agglomération c’est les cafétérias, tenus les ressortissants Ouest-africains (Nigérians, Sénégalais). Pour ceux qui n’apprécient guère ces bistrots, quelques restaurants comme « Chez Elysée » concoctent des spécialités locales propres.
Lire aussi :Les Hydrocarbures : chics, cools et prestigieux
Quartier transformé
Longtemps parmi les quartiers non cadastrés dont les bâtisses excentriques blessaient le regard, Nkongmondo connait aujourd’hui une transformation de son espace urbain. Les immeubles y sont dressés depuis quelques temps. D’autres y sont en cours de construction. Donnant ainsi un nouveau visage. C’est le fruit de la volonté de quelques des élites et enfants de Nkongmondo, résidant à l’étranger. « Il ne faut jamais abandonner l’héritage de tes parents, si non, on abandonnera aussi le tien », indique Moïse Malep, homme d’affaires et propriétaire d’un grand immeuble au lieu dit Doumbeland.
Sa position géographique fait en sorte qu’il subisse une spéculation immobilière sans précédent. Avec son lot de conséquences, de nombreuses querelles de succession dans les familles. On peut ainsi lire sur plusieurs façades des maisons : « Maison familiale n’est pas vendre». Aussi, ces constructions, bien qu’embellissant le quartier, posent un problème de règlementation. Des terrains sont vendus sans titre foncier exposant ainsi les potentiels acquéreurs à un risque futur d’expropriation. De plus, le non respect des alignements donne libre cours à l’empiétement sur les voies publiques, les égouts destinés au drainage des eaux ménagères et de pluies. « Ici chacun fait ce qu’il veut. L’autorité n’est pas respectée. Vous avez beau les ramener l’ordre ou les rappeler la conduite à tenir, on vous envoie balader», déplore Sa Majesté David Nguidjol. Aujourd’hui avec la pause des pavés et la reconstitution de quelques artères de cette bourgade, plusieurs adeptes de ce désordre sont en train de payer le prix. Ils sont les premiers à subir les casses.
Par ailleurs, les nouvelles réalisations immobilières ont emmené de nouveaux locataires avec de nouvelles habitudes qui ont impacté sur le comportement des habitants. Aujourd’hui, certaines personnes se vantent d’être plus en sécurité à Nkongmondo qu’à Bonapriso ou à Bonanjo, même à une heure avancée de la nuit. Quelques petits délinquants continuent hélas ternir l’image de ce quartier.
Hier bastion de l’Upc puis celui de l’opposition pendant les villes mortes au début des années 90, Nkongmondo est devenu ces jours un terrain fertile du parti au pouvoir le Rdpc. Les gens se bataillent pour installer soit une cellule ou un comité de base et avoir à leur compte le plus de militants possibles. Pendant les émeutes de 2008, les jeunes de ce quartier avaient dressé les barricades pour fermer la voie aux éventuels fauteurs de trouble et sécuriser leur quartier. Bourgade jadis réputée rebelle, Nkongmondo est né de nouveau.
Félix EPEE