Danseuse, professeur de fitness et d’expression tropicale, chorégraphe, mannequin, modèle, figurantes dans des clips. Liliana Marie-Laurence Anguissa est multitâche. L’art, elle le vit comme elle respire. Mais Liliana s’est refusée de se limiter à la passion ou à sa beauté, encore moins à son sourire angélique. En grande perfectionniste, elle s’est forgée à coup de formation en danse, chant gospel, couture. On comprend mieux pourquoi cette franco-camerounaise a été élue Reine-Mère du Carnaval tropical de Paris 2017. L’originalité de ses prestations, toujours inspirée des richesses du Cameroun, a subjugué le jury. Pour preuve, elle a devancé sa 1ère dauphine de près de 100 points. Liliana est de ces nombreux Camerounais qui brandissent le Vert-Rouge-Jaune bien haut à l’étranger. Son rêve est de déconstruire cette image toujours négative du Cameroun que présentent les médias. Selon elle, il n’y a pas mieux qu’un carnaval pour y arriver. C’est l’un des messages qu’elle est venue transmettre aux Camerounais. Liliana Marie-Laurence Anguissa a accordé une interview à Lavoixdukoat.com.
C’est quoi le Carnaval Tropical de Paris ?
Le Carnaval Tropical de Paris c’est une manifestation qui est mondiale, avec une influence caribéenne que les Antillais ont ramenée à Paris, mais de manière à réunir d’autres personnes que des Antillais. C’est-à-dire des Africains, des latinos…pour faire la fête et promouvoir la culture des différents pays des tropiques. Le carnaval est une manifestation qui se prépare pendant un an, où tout le monde participe à fabriquer des costumes, des chorégraphies, des chants, la musique puisque c’est souvent jouer en live. Il réunit trente différents groupes qui ont chacun des influences traditionnelles ou fantaisistes, ça dépend. Dans un carnaval il faut toujours ce qu’on appelle des ambassadeurs. Au Carnaval tropical de Paris, il y a ce qu’on appelle la «Famille royale». Elle est constituée de la mini Reine (l’âge varie entre 8 et 12 ans), la Reine (18-40 ans), le Roi même si on n’en a pas beaucoup, et la Reine-Mère (45 ans et plus).
Comment se fait le vote ?
Il y a une élection où il faut faire un passage traditionnel et on est jugé sur cette tenue traditionnelle. Donc il faut faire attention à tous les détails. Il ne faut pas dire qu’on est moderne on est jeune. Il faut choisir un thème, une danse traditionnelle, expliquer la danse, mettre en valeur cette danse avec la tenue adéquate. Il faut savoir danser en groupe et en solo. Il faut savoir défiler, porter des choses des fois lourdes, avoir une certaine prestance, une certaine tenue, savoir gérer les humeurs, aimer partager. Chaque fois que je vois un reportage sur le Cameroun, c’est la misère. On ne montre jamais le bon côté. Moi j’ai envie que cette année, quand les gens écoutent mon accent et que je leur dis que je suis Camerounaise, qu’ils aient envie de découvrir le Cameroun à travers mes prestations que j’essaie de pousser à l’excellence. Pour terminer, on a un passage carnaval avec un thème de carnaval. Il faut fabriquer une tenue. On peut se faire un petit peu aider mais il faut vraiment mettre du sien, fabriquer la tenue et savoir l’expliquer ainsi que la chanson de carnaval que ce soit la Rumba, la Samba, le Roka ou une danse africaine… et interpréter cette danse devant un jury.
Quelle est la différence entre une Reine-Mère et une Miss ?
C’est complètement différent. Les Miss doivent juste être belles et avoir les mensurations qu’il faut. Une Reine est jugée sur son talent. Je sais que sur l’élection traditionnelle je suis passée sur de la Biguine, que je ne connaissais pas, avec des tenues de madras. J’ai gagné beaucoup de points parce que j’ai chanté et dansé en leur langue. J’ai appris phonétiquement le créole, et le jury a été bleffé. Ils m’ont pris pour une antillaise et ce n’est qu’à la fin qu’ils ont su que j’étais franco-camerounaise. Les autres candidates avaient juste dansé. Moi j’avais chanté et dansé. J’ai aussi fait un bon choix des chansons qui avait des significations. Pour mon passage traditionnel j’ai choisi un hommage à Edith Lefel. Pour moi c’était un hommage de l’Afrique pour les Caraïbes. La chanson était pour danser, passer mon élection et une pensée aux parents qui élèvent leurs enfants seuls. Il y en a beaucoup. Chaque fois que je fais une prestation, c’est important pour moi de rajouter autre chose que tout ce qui est matériel, de penser à l’être humain, à lui donner de l’espoir, la joie de vivre. Au niveau de mon passage au Carnaval, j’ai choisi une chanson qui parlait de moi et qui disait que c’est Dieu qui décide de donner l’étoile, c’est lui qui décide du jour où cette étoile doit briller, je suis une artiste et je vais vous montrer de quel bois je me chauffe. Effectivement ça fait 25 ans que je fais le carnaval, particulièrement les danses brésiliennes. Et au carnaval Dieu a décidé de faire briller mon étoile. Il y a eu un écart presque de cent points entre la 1ère dauphine et moi.
En quoi consistent les missions de la Reine-Mère du carnaval ?
Le rôle du carnaval c’est de réunir les gens, partager ensemble une émotion et apprendre ensemble pour que les gens oublient leurs soucis. C’est aussi l’occasion de faire un peu de culture, de danse. La Reine est choisie parmi les meilleurs chanteurs, les meilleurs danseurs, les meilleurs artistes. On regarde surtout le comportement parce qu’il doit être irréprochable. Notre rôle c’est de promouvoir la fédération du Carnaval tropical mais surtout promouvoir la culture. Je suis du Cameroun. Quand on m’appelle pour participer à un évènement, je peux décider, avec la tenue africaine que j’ai fabriquée, de promouvoir le Cameroun. Je sais que les gens me poseront par exemple les questions sur le chapeau bamiliké que j’ai utilisé dans ma tenue de carnaval. Pour la tenue traditionnelle on a des créateurs. Ce sont les tenues de carnaval qu’on fabrique. On a le droit de prendre un couturier pour qu’il nous couse la robe mais tout ce qui est tenue travail sur les tenues, c’est nous qui le faisons. L’objectif en fait c’est de mieux redorer le blason de toutes ces cultures qui ont une influence africaine, que ce soit le Brésil, les Caraïbes, Cuba…
Vous avez plusieurs cordes à votre arc. Danseuse, chanteuse, professeur de fitness et d’expression tropicale, chorégraphe, mannequin… Liliana fait comment pour tenir ?
Je suis quelqu’un qui touche à tout. Danser, chanter et participer au carnaval, pour moi n’est pas un travail en fait. C’est de l’amour que je donne aux gens. C’est un partage. Je suis contente de le faire. C’est vrai que ça implique beaucoup de travail mais j’ai été habituée à danser et chanter dès petite. Je suis habituée à beaucoup travailler. Je fabrique mes tenues de mes mains. J’ai eu cette chance, quand j’étais dans la troupe Aquarelas –un très grand groupe brésilien de quarante intervenants avec qui on a fait le tour de l’Europe-, de travailler avec la costumière qui avait pris le temps de me montrer les techniques du pailletage, des plumes, comment travailler les accessoires. Mais il faut déjà être passionné. C’est vrai que j’aime pousser les choses parce que je me dis qu’en tant que Noire et Africaine, pour y arriver, il faut que je sois la meilleure ou parmi les meilleures pour être crédible. Toutes les reines ne travaillent pas aussi bien leurs costumes parce qu’on a des costumiers, mais je préfère faire les miennes toute seule et à la main. Je m’inspire toujours de quelque chose pour les faire. Le costume que j’ai utilisé à Londres et que j’ai amené au Cameroun est jaune et vert. Le vert c’est la nature du Cameroun et le jaune c’est le soleil. Je m’inspire beaucoup de la nature, des papillons, etc.
De tous ces métiers qu’est-ce qui relève de la passion, du génie, du don ?
Je ne classe pas. J’aime donner aux gens. Quand je décide de chanter, je me dis que devant le public je dois devoir chanter le mieux possible, pas pour être la meilleure, mais pour toucher les gens. Je veux que s’il y a quelqu’un qui ne se sent pas bien dans la salle, qu’il soit touché et réconforté. C’est la raison pour laquelle j’avais aussi intégré les chorales de gospel. Pour moi c’est l’espoir et en tant qu’artiste, je me dis que si en l’espace d’une minute on peut réconforter quelqu’un c’est gagné. Je ne classe pas. Je m’exprime de différentes manières. Je peux rendre quelqu’un heureux juste à cause de mon costume, parce que j’ai expliqué une chanson, parce que j’ai chanté ou parce que j’ai dansé. Même quand j’enseigne les cours de zumba, -voir mon site www.lilianaanguissa.fr, il y a des gens qui font les commentaires qui me surprennent (positivement). Je me demande s’ils sont payés pour le faire. C’est que quand je les enseigne, je ne me mets pas dans la posture de l’enseignante. Je sais quelle est l’humeur de chaque élève. Je m’intéresse à l’être humain. Je leur dis que j’aimerai partager avec eux et je veux que chacun avance à son rythme. On ne me paierait pour faire ça, je le ferai quand même. J’ai ça en moi.
Vous envisagez un jour partager tout ce savoir avec les Camerounais ?
Je suis venue pour interpeller les Camerounais. Qu’ils voient que rien n’est impossible mais on ne peut rien faire seul. Si je dois faire des choses au Cameroun il faut qu’il y ait des sponsors, des partenaires. Je suis ouverte à toutes les propositions, que ce soit des soirées caritatives, ce serait un plaisir pour moi de partager. Je pense que je vais apprendre encore beaucoup de choses parce que le Cameroun est tellement riche. L’apothéose pour moi serait qu’on crée un carnaval. Le carnaval réunit la population. On n’est plus là pour dire que l’autre est ‘‘bassa’’, l’autre ‘‘bamiléké’’. On est là pour mettre en valeur notre culture. Ça devient comme une tontine, une réunion sauf qu’on est en train de préparer un évènement sur un an. Préparer un carnaval, chacun donne ce qu’il sait faire. Après il y a un coordonnateur mais chacun a sa place, que ce soit pour la musique avec nos percussions, faire à manger, danser… Quand on va le montrer au monde, ça va attirer les étrangers. D’autres carnavals peuvent venir. Au Carnaval tropical par exemple, on invite d’autres carnavals. Par contre il ne faut pas faire de l’à peu près. C’est notre image qu’on met en avant. Au Carnaval des tropiques, on a eu 250.000 personnes qui sont venues. Si 100.000 personnes viennent au Cameroun juste pour un carnaval, si chacun doit louer la chambre juste un jour ou acheter le billet d’avion ou aller manger, ça rapporterait beaucoup au Cameroun. Il faut développer notre culture. Les gens ne connaissent pas assez nos pays. Ils sont formatés sur des choses. Au carnaval, j’ai montré qu’on peut faire quelque chose de beau avec du raphia, du rotin, des cauris et un chapeau que j’ai fait venir d’un village. Il y a des choses qui sont cachées dans nos villages et qui se perdent parce que les jeunes ne s’y intéressent pas. Pourquoi ne pas utiliser le carnaval pour montrer ce qu’on a de beau, pour redorer l’image du Cameroun ?
Liliana était prédisposée à une grande carrière de chanteuse puisque vous faisiez déjà partie d’une chorale gospel à 5 ans. Pourquoi avoir viré vers la danse ?
Je pense que c’est ma grand-mère qui a tout fait. Quand je suis arrivée au Cameroun, à 2 ans, j’étais constamment avec elle. C’était mon homonyme, une femme très sage. Elle me parlait en langue ewondo. Elle me racontait les ‘‘minkekané’’, les contes qu’on raconte à la tombée de la nuit. Il y avait des moments où elle s’arrêtait pour nous demander de chanter, applaudir, taper sur une bouteille. Dès 3 ans, je dansais, je chantais, je faisais déjà les photos pour mon père monsieur Anguissa, du carrefour Anguissa (à Yaoundé). J’étais déjà artiste sans savoir. Mais mon père n’a jamais voulu que je fasse une école de chant. On connait nos papas d’ici (rire). Ma mère m’avait quand même mise dans une école de danse. Pour le chant, c’était dans ma salle de bain. Mais après dès que j’ai pu, j’ai recommencé à chanter. Je chantais dans la chorale avec Emmanuel Pi Djob, je m’occupais aussi des mouvements d’ensemble de la chorale. Je m’occupais aussi de la chorale Kumbaya gospel où j’étais voix lead, soliste et mouvement d’ensemble. Je chante la bosanova aussi lors de mes spectacles, les chansons brésiliennes. Donc je continue à chanter. Sauf qu’à un moment donné, il a fallu que je me perfectionne dans la danse, et ses quatre dernières années, je suis venue me perfectionner au niveau du gospel. C’est pour cela que je suis retournée travailler avec le Maître qui est Emmanuel Pi Djob. C’est l’une des personnes qui m’a donné plus d’espoir à travailler. Quand je suis arrivée à Montpelier à 14-15 ans, je suis allée à un concert où j’ai vu Emmanuel Djob chanter. Quand on m’a dit que c’était un Camerounais, j’ai décidé d’être chanteuse. J’avais dit à Emmanuel qu’un jour on se retrouvera dans sa chorale et ça s’est fait. Il m’a appris beaucoup de choses. C’est un grand maître. J’ai continué d’apprendre. Je suis très perfectionniste.
Avec toutes ses activités, où trouvez-vous le temps pour vous-même, pour la famille ?
On est très famille, très collé. Il faut donner du temps à chaque chose et j’essaie de classifier les choses et de partager. Je peux être en train de répéter en faisant la vaisselle ou le ménage. Ça fait partir de ma vie mais je sais accorder du temps aux gens que j’aime. A des moments on doit faire des choix. Il y a un moment j’ai dû moins travailler pour accorder du temps à mon fils qui a 14 ans. Il est plus grand. J’ai pris le temps de lui expliquer les choses. Mais je n’accepte pas tous les spectacles. J’essaie d’accepter les spectacles qui ont un fond, une âme. Pour moi l’essence c’est de donner de l’amour, de partager avec les gens.
Quel est agenda de Liliana Anguissa ?
J’ai normalement un ou deux défilés avec des créateurs, j’attends de voir. J’ai une proposition pour faire un chanter Noël en antillais. Ils ont une manière de chanter leur gospel et je serai avec le meilleur dans ce domaine. Pour moi ce sera un honneur. Mais je suis surtout en train de me préparer pour le carnaval en Guadeloupe et un autre en Martinique. Dès mon départ du Cameroun je vais commencer la fabrication des costumes, à m’intéresser aux thèmes, à la culture, aux détails par rapport aux Reines Mères. Il faut que je fasse un sans faute et que je reflète l’image du Cameroun.
Entretien avec Valgadine TONGA