D’après les discours politique au Cameroun, la jeunesse est le fer de lance de la nation, et le président Biya n’a de cesse de le répéter à longueur de ses discours à la jeunesse le 10 février de chaque année, prononcé déjà 34 fois depuis son accession à l’indépendance.
De façon imagée, le fer d’une lance est la partie qui concentre toute les forces de la lance, qui est à l’énergie nécessaire pour affronter les problèmes les plus difficiles, et c’est cette vigueur en principe qu’on retrouve dans la jeunesse, entendue comme cette frange de la population comprise entre 22 et 40 ans maximum. C’est cette jeunesse là qui se trouve aux frontières pour défendre la nation. C’est elle qui est dans les chantiers pour soulever les lourdes charges. C’est elle qui est sous le soleil et la pluie pour affronter les revers nerveux de la vie. C’est elle qui est dans les stades pour nous divertir quelques fois lors des compétitions, jusque-là nous sommes tous d’accord.
C’est aussi cette jeunesse qui devrait (et c’est là où nous ne sommes plus d’accord) être dans les bureaux à traiter des tonnes de dossiers qui affluent chaque jour, signer des contrats, aller en mission rencontrer des partenaires étrangers, assister aux séminaires pas de remises à niveau mais de perfectionnement, relire les lois, planifier le développement, penser le Cameroun de demain, occuper des postes de haute responsabilité de ce pays. Mais nous ne sommes plus d’accord ici, parce que quand les politiques qui nous gouvernent disent que la jeunesse est le fer de lance de la nation, cela s’applique seulement à eux, et voici pourquoi. Un patriote a eu l’inspiration de remettre dans les réseaux sociaux il y a quelques jours une liste de personnalités et leurs âges.
Les sales boulots
On y remarque que Paul Biya était ministre chargé de mission à la présidence à 29 ans, Yang Philémon était vice-ministre de l’administration territoriale à 28 ans, Hamadou Moustapha était ministre chargé de mission à la présidence à 30 ans, Bello Bouba était ministre de l’économie et du Plan à 28 ans, Ayanc Luc était ministre de l’élevage, la pêche et des industries animales à 31 ans, Hélé Pierre était vice-ministre des Finances à 33 ans, Amadou Ali était secrétaire général au ministère de la fonction publique à 31 ans, Niat Njifenji Marcel était directeur général adjoint de EDC, entendez Electricité du Cameroun, devenue Sonel plus tard et Eneo maintenant, il avait 39 ans.
Tout ce beau monde est encore aux affaires. Et surtout ils n’entendent pas quitter demain. Pourtant l’ancien président de la République leur a fait confiance quand ils étaient jeunes. Et cette confiance placée en la jeunesse n’était pas seulement pour les sales boulots, comme ce que nous avons constaté à l’entame de notre propos. C’était aussi pour les postes de responsabilité. La jeunesse étaient appelée à prendre son destin en main à tous les niveaux de la société. Inutile de rappeler qu’en face de ceux-ci d’autres compatriotes qui luttaient pour l’indépendance véritable étaient tout aussi jeunes, et ont été assassinés dans la tranche de 25 à 33 ans.
Ceux qui sont là restent là
Qu’est ce qui n’a pas marché entre temps ? Pourquoi subitement ceux à qui toutes les responsabilités étaient confiées à 30 ans disent aujourd’hui aux jeunes de 40 ans qu’ils sont encore jeunes et immatures pour avoir certaines prétentions ? Qu’est ce qui fonde la maturité dont ces caciques du régime parlent aujourd’hui ? Allez voir lors des campagnes électorales comment des vieux retraités de la fonction publique se battent pour éliminer les jeunes de 40 ans de la course à la candidature pour une élection locale… Ces attitudes savamment mis en place et entretenues ont poussé la jeunesse à tout simplement douter d’elle, croire qu’elle ne vaut rien, ne peut rien faire de bon, que le bonheur c’est pour les autres, à abdiquer tout simplement, et se réduire à des lèches bottes ou des coursiers, là où ils devaient en principe être aux commandes. Et la technique a tellement bien marché que de nos jours, la jeunesse ne se bat même plus pour être là, elle se bat pour que ceux qui sont là restent là.
Et c’est là le tableau pathétique que nous présentent ces jeunes qui appellent les vieux aujourd’hui à rester là où ils sont. C’est l’exemple de ces jeunes qui descendent souvent dans la rue pour les marches de soutien et d’appel à candidatures de Paul Biya, le suppliant de se représenter. C’est à se demander si ceux-là ont encore une moindre ambition pour eux-mêmes. Mais à y regarder de plus près, on se rend compte que la jeunesse de ce pays n’a pas seulement été sacrifiée, elle a été lessivée et formatée pour danser plus qu’elle ne pense. Mais pour ne pas être pessimiste, j’appelle les dirigeants de ce pays qui prennent souvent les Lions Indomptables comme l’incarnation de la jeunesse, à replacer leur confiance en elle, à jeter un coup d’œil sur les panneaux publicitaires implantées partout dans le pays, et ils liront ceci, Eto’o peut.
Roland TSAPI, Journaliste