Après des scènes à l’international qui se sont achevées par le Zimbabwe, le Canada, et Centrafrique, Kareyce Fotso est venue se ressourcer dans son pays avant de reprendre la route pour une nouvelle tournée. Kareyce Fotso nous a accordé un entretien ce 28 juin 2017. Entretien dans lequel elle appelle notamment les artistes à garder être jaloux de leur culture. Elle fait un clin d’œil à certains jeunes, parmi lesquels, Reniss. Dans cet échange, celle que l’Organisation internationale de la Francophonie a désigné comme ambassadrice de la 8ème édition de ses jeux, prie pour un réveil des consciences des jeunes artistes Africains.
Il y a trois ans que Kareyce a présenté l’album «Mokte». C’est quoi le chemin parcouru depuis là?
«Mokte» a tellement fait des scènes à travers le monde. Il a fait son chemin et je pense qu’il y a encore des choses à découvrir. Maintenant je présente «Just Believe» parce que «Mokte» c’est douze titres et chaque fois je vais à l’intérieur de l’album sortir un titre pour présenter au public. C’est que je me suis rendue compte que les gens n’écoutent plus les Cd, donc c’est à nous d’aller puiser dans nos Cd pour dire au public qu’il y a aussi X ou Y chanson dans l’album. C’est à travers les vidéogrammes aujourd’hui qu’on vend l’album. Pour moi, l’album se porte très bien. «Massa» a été la chanson qui a porté l’album, pourtant c’est la huitième chanson. Ce n’est pas par là que j’espérai commencer mais le public a choisi.
Quelle est l’histoire de «Just Believe» ?
« Just Believe » c’est un peu le titre de l’album que je n’ai pas voulu dire en anglais. En fait, l’album s’appelle «Mokte», qui veut dire croire, en langue Yomalah. Il y a deux prétextes qui m’ont amené à appeler l’album ainsi. Tout est parti d’une petite histoire. Je suis aux Etats-Unis. On est avec Acoustique Afrique en train de donner un concert. Dans ce cadre, on donnait aussi des Master class dans des universités. Alors un jeune Américain me demande combien de langues on a au Cameroun. Je lui dis plus de deux cent et il me répond que c’est dommage qu’on ne puisse pas les exploiter et qu’on soit concentrer à chanter en une ou deux langues. Ça m’a interpellé et c’est à ce moment donné que je me suis dit qu’en fait, j’arrête d’être une tribu quand je suis hors du pays. Je deviens une patrie. Bamiléké, on s’en fout. Qu’est-ce que ça veut dire quand tu es aux Etats-Unis ? Pas grand-chose. C’est un petit grain de sel à l’intérieur du Cameroun. Oui je suis Bamiléké, mais j’appartiens à une nation qui est le Cameroun et si je veux mieux vendre le Cameroun, mieux présenter la diversité culturelle de mon pays, il est temps que je m’ouvre à d’autres cultures de chez moi. Le quartier où j’ai grandi, était vraiment favorable à ce que je puisse explorer d’autres langues. Mvog-Ada d’où je viens, c’était un peu un brassage de cultures où les gens venaient de partout. C’est la raison pour laquelle j’ai eu l’idée de faire l’album en huit langues. Je dis ‘‘believe’’ parce que je me suis dit que si je parviens à mettre huit langues du Cameroun dans un album et qu’il y ait une certaine cohérence, ça veut dire que c’est possible, ça veut dire que nos diversités sont une force et non une différence qui nous pousse à nous diviser. Les langues se côtoient bien. Aussi ‘‘believe’’ parce que c’était un moment où l’immigration clandestine quadruplait de vitesse. Il était temps que je dise à mes jeunes frères que c’est possible de croire en soi, de croire en ses rêves. On doit arrêter de penser que c’est l’ailleurs qui viendra développer notre continent, notre pays, mais croire que nous pouvons nous-mêmes être les architectes de notre développement, créer notre propre révolution. On doit surtout se dire que toute révolution est sanglante et que les pierres que nous posons aujourd’hui, ce n’est peut-être pas nous qui allons être les ayant-droits directs. Mais nous construisons pour l’avenir parce qu’aujourd’hui tout le monde admire la Tour Eiffel mais Eiffel n’est plus là pour profiter des bienfaits de cette tour. Nous sommes peut-être la génération sacrifiée. Il faut juste y croire, travailler bosser, et se dire que nous ne sommes pas de passage dans notre pays, nous faisons partie d’une chaine. La chaine des Um Nyobe, de tous ceux qui ont sacrifié leurs vies, leurs âmes, leurs énergies en disant que c’était possible. Nous parlons de décolonisation mais non. Mais non. Nous y sommes toujours, en plein fouet. On a peut-être été défait de nos chaînes physiques mais moralement, culturellement tous les jours nous sommes enchaînés. Il est temps que nous disions que c’est à nous de changer les choses. Quelqu’un pourrait me dire que ce n’est qu’un discours mais non. C’est possible. Chacun doit pouvoir déjà le faire dan son petit coin. Je pense que tous les jours j’essaie de transformer les choses, ne serait ce que par le combat de notre langue, de la culture que j’essaie de mener. Tout ça fait partie du combat qu’est celui de se défaire du joug de l’occident. On doit s’accepter, être fier de ce qu’on est, de sa culture, de ses origines. Cela passe par la langue, par tellement de choses. Le Cameroun a tellement de ressources, humaines, naturelles mais j’ai l’impression qu’on n’est pas conscient de cette richesse. Raison pour laquelle je dis «Just Believe».
Quand Kareyce dit qu’il faut se défaire des chaînes, à quoi fait-elle allusion sur le plan culturel, musical ?
Nos aînés ont vendu notre diversité à travers le monde, les gens à travers qui ceux de ma génération s’identifient. Que ce soit André Marie Talla, Eboa Lottin, Françis Bebey, Bebe Manga, Annie Anzouer, Etienne Mbappe, André Manga, Gino Sitson… Tous ces noms qui ont vendu le Cameroun à travers sa diversité culturelle, ses langues, son originalité. Aujourd’hui moi j’ai peur de ce qui est en train de se passer. C’est que tout le monde dit que la culture camerounaise est en pleine émulsion mais laquelle ? Est-ce que nous ne sommes pas en train de perdre quelque chose d’essentiel, ce qui faisait notre force, notre diversité, tout ceci parce qu’on veut s’uniformiser ? Si on s’uniformise on perd notre originalité parce que la force du Cameroun s’était cette diversité. Mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’il y a un seul beat dans lequel tous les jeunes se baladent. On n’oublie notre diversité. Je dis qu’il est temps qu’on prenne conscience, qu’on se dise qu’on doit se défaire des chaînes. Il ne faut pas que ce soit l’ailleurs qui décide de ce que doit être la musique africaine. Personne ne peut nous connaître mieux que nous. Il est hors de question qu’une chaîne de télévision comme Trace, en longueur de journée essaie d’aliéner nos enfants en leur proposant des musiques qui ne sont pas forcement ce qui nous ressemble, parce que la vraie musique africaine, c’est dans la diversité. L’Afrique n’est pas un pays. L’Afrique est un continent avec ses diversités. Alors on ne peut pas nous imposer un style musical. C’est à nous de prendre conscience de ce fait et de refuser. On dit non. C’est la suite de la colonisation. C’est le néocolonialisme. Ils sont en train de nous prendre d’une autre façon et moi j’ai peur que d’ici dix ans nous n’existons plus.
Les artistes du Sud-ouest ont le vent en poupe maintenant. Ils ont quand même le mérite de ne pas verser sous les dessous de ceinture…
Mais c’est magnifique. Ils ont de belles voix. Au Cameroun on a une bénédiction. Il y a des talents mais j’ai peur que nous soyons en train de perdre notre diversité. Il ne faut pas qu’on n’oublie nos langues, notre culture pour s’uniformiser. Même quand on parle de mondialisation c’est que chacun vient avec ce qu’il est, que personne ne soit en train de calquer l’autre. Et justement à ce carrefour du donner et du recevoir, que chacun ait à apporter quelque chose. Si nous venons tous avec la même chose ce n’est plus intéressant.
Ce que vous dénoncez là a déjà été fait par d’autres artistes mais sans effet concret. C’est peut-être aussi que le public en consomme à souhait ?
Ça dépend de comment le public a été éduqué. Si tu fais écouter un type de musique à tes enfants, ils vont vraiment s’identifier à cette musique. Si tu apprends ta langue à tes enfants, ils seront fiers de la parler partout, comme les miens. Quand ils parlent le Yomalah ils sont fiers, ils savent d’où ils viennent. Un public a besoin d’être éduqué. Comme vous éduquez votre public, c’est comme ça qu’il appréhende et s’approprie la musique. Toutes les musiques sont belles. Je veux juste dire qu’à l’intérieur de tout cela ; ne nous perdons pas. Ne perdons pas ce qu’il y a d’essentiel. Tout le monde sait que le Cameroun s’est sa diversité, ses langues, ses rythmes multiples. Il est hors de question qu’aujourd’hui, nous laissons de côté cette diversité et que nous soyons un pays qui n’a qu’un seul beat. Non. Reniss par exemple a une très belle voix. J’ai écouté les chansons qu’elle faisait avant. C’est extraordinaire. Le jour où je la verrai je lui dirai juste, ‘‘ne fait pas que des chansons à la commande, à la carte. Reste toi’’. Elle a du blues dans la voix. Elle a le truc des grandes chanteuses. Quand elle fait ces musiques là, qui me parlent, c’est magnifique. Il ne faut surtout pas qu’elle oublie ça.
Certains artistes vous diront que la musique patrimoniale ne fait pas du chiffre et qu’il faut bien vivre…
Je sais que ce n’est pas évident mais il faut rester dans la vérité. Vous pensez que c’est facile pour moi ? Mais je suis dans ma vérité, j’ai fait mon choix. Quand j’ai commencé la musique, tout le monde me disait qu’en langue bamiléké je suis mal barrée, personne ne va te suivre ? Tous me conseillaient de chanter en ewondo, mais j’ai cru en moi. C’était difficile mais tout ce qui est facile n’est pas toujours bien. Je suis dans ma vérité. Je ne veux pas que ma musique meurt. Si je meurs physiquement, que mon esprit à travers mes œuvres demeure
C’est quoi le calendrier, après «Just Believe» ?
Après «Just Believe», j’ai le vidéogramme d’une chanson en fufuldé qui avait été écrite par Isnebo va suivre. J’ai une chanson en Bassa. Je pense que c’est avec elle que je vais clôturer ma série de «Just Believe». «Mokteu» a douze titres. Il faut y aller pour tout découvrir mais je pense que ce sont les trois derniers vidéogrammes que je proposerai. Tous les jours je travaille mon prochain album. Je voyage le 11 juillet pour ma tournée européenne de cet été. La première date se sera en France, puis en Belgique. Je finirai par l’Espagne, à Barcelone.
Entretien avec Valgadine TONGA