Tueurs silencieux, l’hypertension et le diabète sont des maladies cardio-métaboliques qui font des ravages au sein de la population camerounaise. Les experts de la santé persistent et signent sur l’impératif de la sensibilisation et du dépistage.
Elise Ntone n’avait aucune prédisposition génétique à l’hypertension. Du haut de ses 1m60, ses 90 kilos ne l’ont jamais empêché de se mouvoir. Cette mère de trois enfants jouissait d’une santé de fer jusqu’à ce matin d’un samedi de mars 2017.
La quinquagénaire prenait part à une marche sportive organisée par une association, dans les artères de Douala, capitale économique du Cameroun. « J’ai été comme étourdie à la fin de la marche. J’ai dû m’asseoir pendant longtemps pour reprendre mes esprits. Après, j’ai parcouru la même distance pour rallier la maison à Bonapriso », nous raconte Elise Ntone. Qui ne s’est point alarmée, croyant avoir juste subi un malaise causé par la marche. Elle se trompait.
« Trois jours après, ma mère me réprimandait vertement sur ma manière d’éduquer mon dernier garçon. Elle trouvait qu’il y avait trop de laisser-aller. A un moment de la discussion, je n’arrivais plus à parler. J’avais perdu l’usage de la parole. Et ma mère avait remarqué que mon visage se déformait. C’est ainsi qu’elle m’a amenée à l’hôpital. Ma tension était à 17/19 et on m’avait diagnostiqué une paralysie faciale », raconte Elise. Elle va engager un traitement qu’elle suivra à la lettre. « Quand je me suis sentie bien, j’ai tout arrêté », confesse-t-elle.
Ambassadrice
2020, rebelote. Un matin, Elise Ntone perd l’usage de tout son côté gauche. Transportée à l’hôpital, sa tension est à 19/18. Après une batterie de tests, le médecin lui prescrit trois médicaments coûtant 30.000 F cfa. « Depuis que je les prends, je n’ai plus rechuté, sauf quand je me mets en colère. J’ai eu beaucoup de chance, parce que selon le médecin, si j’avais encore traîné, j’allais être victime d’un Accident cardiovasculaire », dixit notre interlocutrice.
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Depuis lors, Elise s’est octroyé le titre d’ambassadrice du dépistage de l’hypertension auprès de ses proches, de son entourage. S.N (nom d’emprunt) n’a pas eu la même chance. Ce journaliste de 52 ans qui souffre depuis des années d’insuffisance rénale nous avoue sous cape avoir fait preuve de négligence. « J’ai eu plusieurs alertes avant l’hypertension. Je buvais énormément et mon entourage me faisait des remarques dessus. Je n’en avais cure, puisque je n’étais jamais ivre. Je m’en vantais d’ailleurs. En tant que journaliste, je couvrais des campagnes de sensibilisation et de dépistage des maladies cardio-vasculaires. Mais je n’avais jamais pensé à faire le dépistage. J’ai eu des malaises, qui sont passés. Mais comme dans notre métier, on a généralement moins de 5h de sommeil par jour, je m’étais dit que c’était dû à une carence de sommeil. J’ai négligé, jusqu’au jour où j’ai perdu connaissance à la rédaction. A l’hôpital, on m’a diagnostiqué une hypertension artérielle et par la suite, j’ai fait deux AVC qui m’ont conduit à l’insuffisance rénale. J’aurais pu éviter l’enfer de la dialyse, si j’avais fait à temps, le dépistage de l’hypertension. Et ce ne sont pas les occasions qui avaient manqué », regrette S.N.
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Selon le ministère de la Santé publique, près de 35% à 40% de la population camerounaise souffre de l’HTA, pour seulement 20% sous traitement. Le Pr Mapoure Yacouba, neurologue, indique que l’hypertension artérielle est la première cause d’hospitalisation en neurologie. De fait, « 45% des patients qui entrent en neurologie souffrent d’Accident vasculaire cérébral. 81% de ces patients souffrent d’hypertension artérielle et ont un Avc en rapport avec l’hypertension artérielle qui n’a pas été diagnostiquée, ou a été mal prise en charge, ce qui conduit à des insuffisances rénales, cardiaques et à des arrêts cardiaques. Le traitement est à vie », d’où l’importance d’un dépistage précoce.
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« Il y a aujourd’hui plusieurs technologies qui permettent de diagnostiquer un peu plus rapidement (le mal, Ndlr) et de prendre en charge les patients. L’université Jean Monnet de Saint-Etienne a mis sur pied un appareil qui permet de détecter certaines de ces pathologies et de les suivre même dans la nuit. Parce que certaines de ces maladies cardiovasculaires entraînent une mort subite pendant la nuit, cet appareil permet de suivre le fonctionnement du cœur et des vaisseaux pendant que vous dormez, et peut prédire si vous êtes prédisposé à une attaque cardiaque », explique le Pr Samuel Mandeng, Camerounais, enseignant de médecine en France. Il s’exprimait ainsi lors des premières Journées scientifiques et médicales de Douala en 2021, pendant lesquelles il avait présenté la dernière technologie utilisée pour le dépistage rapide des maladies cardiovasculaires.
Maladies chroniques
Le Dr Huguette Atangana Ekobo, cardiologue, précise que « le dépistage à temps est très important parce que ça nous permet de ralentir par exemple la progression de l’hypertension avec les médicaments. Il y a plusieurs cas de figure, parce que la prévention c’est à partir d’un certain âge pour les hommes, soit 50 ans et plus. Pour les femmes, c’est à partir de 55-60 ans qu’on fait une prévention, avec un régime approprié, et un suivi tous les six mois ou tous les six ans. »
S’il est vrai que la sensibilisation concerne les tranches d’âge susmentionnées, les jeunes peuvent entamer un combat de la prévention, en soignant leur hygiène de vie. « Moins d’alcool bien sûr, ne pas consommer les substances excitantes, les stupéfiants (drogues, tabac), la pratique d’une activité sportive », conseille le Dr Huguette Atangana Ekobo. Camerounaise résidente au Canada, Andréa Bomo est herboriste et coach certifiée de santé holistique et intégrative. Dans une de ses conférences au Cameroun, elle martelait que « l’alimentation est un pan important parce qu’elle contribue à de nombreuses maladies chroniques de nos jours. A peu près 80% des maladies chroniques dont le diabète, ou les maladies cardiovasculaires, peuvent être évitées en changeant son alimentation, son hygiène de vie. Il faut consommer beaucoup de légumes, des fruits, moins de viande rouge. »
Valgadine TONGA