Le Syndicat des médecins du Cameroun (Symec), par la voix de son président le Docteur Bassong Pierre Yves, a suspendu le 9 juin 2017 le mot d’ordre de grève prévu du lundi 12 juin à ce jour. Il explique que cette décision est prise dans l’optique d’assurer une meilleure coordination des actions à venir et pour plus d’impact. Plus tard on apprendra par d’autres canaux d’amples explications, notamment celle selon laquelle «La grève n’aura lieu que si les médecins sont engagés et convaincus de leur lutte, sans faux fuyants. La réussite passera par l’adhésion de tous et une grève pour avoir de l’impact doit être massive et décisive». Là les responsables du syndicat ont vu juste, car en réalité les ennemis de ces revendications sont les médecins eux-mêmes au regard de leurs comportement dans les hôpitaux. Nous citons comme exemple l’hôpital de district de Deido, aujourd’hui réputé comme l’une des institutions sanitaires les plus corrompues.

A l’hôpital de Deido en effet, le certificat médical qui coûte 900 Fcfa est vendu aux usagers à 1000 Fcfa, et le certificat médico-légal dont le prix est de 1800 Fcfa est vendu à 2000 Fcfa. En plus, il faut payer 1000 Fcfa au médecin pour que le document soit signé. Cette information est donnée à l’usager dès l’entrée de l’hôpital par un monsieur qui filtre les entrées en retenant les cartes d’identités contre badges de visiteurs. Le réflexe de tout usager étant de s’orienter depuis l’entrée, il donne cette information sans ambages à ceux qui viennent pour les certificats médicaux. Plus loin dans les bureaux, l’infirmière qui fait entrer les carnets chez le médecin s’assure que les 1000 Fcfa de la signature du certificat y sont, sinon rien n’est fait. Des dizaines de témoignages de jeunes candidats au concours sont édifiants. Tout le monde paye.
Le puits de la corruption
En faisant un calcul simple, si par jour 200 certificats médicaux sont vendus à 900 Fcfa, la caisse aura un surplus de 20 000 Fcfa en fin de soirée, qui va dans les poches des individus. Bien entendu, l’usager unique à qui on escroque ainsi 100 Fcfa a tendance à les négliger, mais le cumul en fin de journée fait un bon pactole. Soit 100 000 Fcfa par semaine, ou 400 000 Fcfa le mois. Plus grave si sur les 200 certificats par jour, le médecin signe 100, cela lui rapporte 100 000 Fcfa/jour, 500 000 Fcfa semaine, ou 2 000 000 Fcfa Cfa le mois. C’est ahurissant me diriez-vous. Même en minimisant, on pourrait dire que certains certificats ont été signés gratuitement, ceux des connaissances, de certaines personnes dont il se méfie, en réduisant au maximum le médecin signataire s’en sort au bas mot avec 1000 000 Fcfa le mois.
Dans ces conditions, on comprend aisément pourquoi des médecins peuvent snober la grève du Symec, dont les membres sont dès lors considérés comme des empêcheurs de tourner en rond pour ceux-là qui ont creusé leur puits de la corruption et s’en abreuvent aisément. Contrairement à l’hôpital de Bonamoussadi, où une cellule de corruption est installée depuis des années, rien de cette nature n’existe ici. C’est un champ que chacun cultive selon la longueur de sa pioche ou la largeur de sa houe. Ainsi, pendant que les dirigeants du syndicat des médecins se font balader dans toute la République par des affectations disciplinaires, pendant que leurs familles sont déstabilisées, pendant qu’ils sont étiquetés par leur tutelle comme l’ennemi à abattre, pendant qu’ils se battent pour l’amélioration des conditions de travail de tous, pour l’intégration rapide et la revalorisation des salaires, certains se complaisent dans la corruption, le clientélisme, la concussion, l’arnaque des usagers.
Une fois de plus l’impunité règne
De toute évidence, c’est la vraie raison pour laquelle la grève a été suspendue, pour espérer avoir l’adhésion massive de tous. Pour l’instant le ver est dans le fruit, l’ennemie est dans la maison. La tournée faite dans les hôpitaux publiques par le ministre de la Santé Mama Fouda lui aurait également permis de conforter ces types de médecins sans ambitions, sans visions, qui ne voient pas plus loin que leur nez. Ils peuvent aujourd’hui se complaire dans la corruption et vivre dans l’opulence, mais aucune situation n’étant éternelle, le jour où ils seront affectés ailleurs où il n’y a aucun certificat médical à signer, ils comprendront peut être enfin pourquoi le Syndicat se bat aujourd’hui. Ce qui se passe à l’hôpital de Deido est trop flagrant pour ne pas être connu des responsables de cet établissement, de la Délégation Régionale de la Santé ou même de la Conac. Si un agent peut clairement informer l’usager à l’entrée de la corruption qui se pratique, cela veut dire que le fléau n’est plus un tabou ici, et se pratique au vu de tous. Et n’est pas prêt de s’arrêter, car une fois de plus l’impunité règne. Les dirigeants du Symec doivent simplement intégrer ces paroles de la chanteuse ivoirienne Pierrette Adams. «Celui qui fait quelque chose a contre lui ceux qui font la même chose, ceux qui font le contraire et la grande majorité, des gens qui ne font rien.» Le chemin de la lutte est encore long.
Roland TSAPI, Journaliste