Se dirige-t-on vers un autre foyer de tension au Cameroun ? Ils sont nombreux à repousser les agents en campagne de sensibilisation pour l’installation de nouveaux compteurs électriques initiée par l’entreprise de distribution et de commercialisation de l’énergie.

C’est depuis le mois de février que les agents d’Eneo sillonnent quelques quartiers de la ville de Douala pour sensibiliser, identifier tous les anciens compteurs dans les domiciles et proposer aux clients un document à signer. Ce document autorise les agents d’Eneo à remplacer les anciens compteurs par de nouveaux compteurs prépayés. Selon une indiscrétion, l’entreprise veut ainsi lutter contre la fraude massive qui s’est installée depuis lors comme une habitude dans la plupart des ménages.
Cette nouvelle trouvaille de l’entreprise leur permet de payer leur énergie avant consommation ce, via plusieurs moyens de recharges modernes et de leur éviter de nombreuses files d’attente constatées lors des règlements de quittances. En effet, avec l’installation des compteurs prépayés, tout client Eneo, contrairement au payement des factures au mois proposé depuis de longues dates, devrait désormais payer à l’avance son énergie via l’achat d’unités correspondantes à sa consommation. Il aura la latitude lui-même de contrôler, d’être maître de sa consommation et d’éviter les surfacturations. Plus d’envoi de releveurs dans les domiciles qui peuvent se tromper sur les chiffres. Le principe est vendable, mais pour de nombreux clients, c’est juste un piège susceptible de les exposer à des coupures surprises et incommodantes. Lire aussi :Nouvelle loi des Finances : Eneo aux trousses des clients
Bonjour le chômage !
Jean Ateba fait partie des réfractaires du concept compteur prépayé. «La nouvelle méthode de paiement met l’usager en insécurité permanente, puisqu’en cas d’épuisement des unités, votre alimentation en énergie est brusquement interrompue avec risque pour beaucoup de clients de se retrouver sans électricité, par conséquent dans le noir si cette suspension le trouve sans un sous pouvant lui permettre de souscrire à l’achat de nouvelles unités. Ce qui n’est pas le cas avec le payement au mois qui donne une marge de manœuvre au client de se préparer à régler sa facture», argumente-t-il.

Il est également question pour l’entreprise, à travers ce moyen, de réduire les charges en supprimant les postes des releveurs dont l’ardoise pesait déjà lourd dans sa trésorerie. On aura ainsi plusieurs Camerounais au chômage. Les employés des entreprises sous-traitantes seront également à mal. Cette solution est aux antipodes des réalités sociales des Camerounais. L’électricité qui devrait être considérée comme un bien public coûte déjà excessivement cher. D’après les statistiques, à plus de 50fcfa le kilowatt pour la tranche supposée sociale, une famille de deux personnes avec un réfrigérateur, un ventilateur, un fer à repasser et toutes les ampoules de la maison, devra payer plus 15 000 Fcfa. En plus, si on tient compte du Smig (38 000Fcfa) et du salaire moyen dans notre pays (100 000Fcfa), il est pratiquement impossible aujourd’hui pour un Camerounais de payer normalement l’électricité sans frauder, ni laisser plus du tiers ou la moitié de son salaire. Lire aussi :Cameroun-Electricité : production hypothétique et distribution en pointillé…
Volet social ignoré
L’arrivée des prépayés serait catastrophique pour nombreux ménages qui risquent de se retrouver dans le noir. Des mesures qui poussent à s’interroger sur la place de cette énergie, de surcroît un bien social, devenu avec la privatisation un produit de business au détriment de l’ensemble de la population pour laquelle le volet social est carrément ignoré. Le paradoxe est que le défi le plus important pour les politiques publiques de libération des marchés de l’énergie, est d’arriver à garantir l’approvisionnement en électricité à un coût socialement acceptable. Ce qui devrait être un préalable avant l’installation desdits prépayés. «J’ai l’impression que nous sommes à la merci d’un prédateur privé», se désole Alex, employé dans une entreprise de sous-traitance. Reste juste à espérer que le nouveau mode de payement qu’Eneo est en train de mettre en place ne créera pas un autre foyer de tension sociale au Cameroun.
Félix EPEE