L’environnementaliste camerounais Didier Yimkoua relève les conséquences des déchets et son importance dans une économie.

Le 15 novembre célèbre la journée mondiale du Recyclage. Une journée souvent passée inaperçue au Cameroun…
La journée internationale du recyclage est très souvent passée inaperçue au Cameroun pour une raison simple : la communauté internationale tarde à fixer une date consensuelle. Deux dates sont avancées, le 18 mars 2018 date d’anniversaire du Bureau international du Recyclage (BIR) qui a célébré la première journée Global recycling day 2018. Le BIR est une association de 700 entreprises et 40 associations née en mars 1948 dont le siège est à Bruxelles. Il existe une autre journée internationale de recyclage aux USA célébrée depuis le 15 Novembre 1994.
Que devrait en réalité représenter cette journée dans le domaine de la protection de l’environnement au Cameroun ?
Cette journée est significative en ce sens que le recyclage est un enjeu écologique majeur. Elle est importante au Cameroun comme dans le monde. Il faut s’arrêter un moment et fixer le regard diffèrent et singulièrement moins condescendant sur ce qui est du déchet ; voir les matériaux recyclables non pas comme des déchets, plus comme des ressources. Le message de Monsieur Arnaud Brunet Directeur du BIR est clair : “ le recyclage n’est pas une option mais une nécessité“. Pour sortir de cette question, disons que grâce au recyclage des déchets, on fait des économies en : énergies, rejet d’eau, de pollution donc de préservation de l’environnement et de la protection des ressources naturelles. Avec le recyclage, on peut réduire l’émission de 700 millions de tonnes de CO2 gaz à effet de serre.
En matière de pollution de l’environnement quels sont les déchets qui affectent le plus l’environnement et pourquoi ?
Tout déchet mal manipulé est susceptible d’affecter la santé environnementale, la santé humaine et animale. La gravité dépend de la toxicité. Selon les activités industrielles, commerciales, agropastorales, sanitaires, domestiques, sont générés des déchets de nature solide, liquide et gazeuse (fumée). A partir d’une analyse de caractérisation rigoureuse, on distingue des déchets dangereux et toxiques et les déchets non toxiques. Les déchets industriels spéciaux très toxiques contiennent des métaux lourds cancérigènes. Les fumées industrielles contiennent des particules fines capables d’entrainer des infections pulmonaires chez des personnes qui y sont exposées. Le mercure a été détecté dans l’environnement aérien de la Zone Industrielle de l’agence MAGZI de Bassa-Douala. La pollution au mercure fait perdre à Douala deux milliards de francs CFA par an. Les personnes contaminées au mercure développent des crises neurotoxiques. Les eaux souterraines (nappes phréatiques, puits et forages) sont régulièrement contaminées par les eaux résiduaires. Cette eau polluée rejetée dans la nature sans traitement au préalable est un risque de santé pour tout consommateur. L’eutrophisation c’est-à-dire l’envahissement des cours d’eau par la jacinthe d’eau renseigne de la qualité d’eau résiduaire déversée dans la nature.

Que faut-il faire pour impliquer davantage les Camerounais dans le recyclage ?
Des filières de principaux matériaux recyclables sont bien organisées au Cameroun. Il s’agit de la ferraille à partir de laquelle est fabriquée du fer à béton, les batteries usées à plomb, les déchets d’aluminium, de cuivre et des plastiques. Sans oublier les secteurs de régénération des huiles usées d’hydrocarbures, la récupération des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ; cependant ces activités sont très polluantes et énergétivores. Quant aux ordures ménagères, il se développe des techniques de compostage et de biogaz, de la fabrication du charbon écologique. Si on compare notre niveau de recyclage à celui de San Francisco aux USA, on dira qu’au Cameroun le recyclage est embryonnaire et artisanal. Que peut-on faire ? Il faut sortir le recyclage de l’artisanat en apportant de l’aide aux associations volontaristes qui fabriquent les pavés auto bloquants à partir des déchets plastiques, qui valorisent les bouteilles vides en plastique etc.
Quelle peut être l’importance du recyclage dans l’économie verte au Cameroun ?
L’Etat de l’Ethiopie s’est doté d’une structure de recyclage et valorisation des déchets qui va incinérer 1800t/jour d’ordures ménagères et produire de l’électricité à mesure de satisfaire 30% des besoins énergétiques de la capitale Addis Abeba. Quelques maisons d’arrêt jouissent de l’autonomie énergétique grâce à la production du biogaz à partir des boues sanitaires. Deux exemples qui illustrent l’opportunité à implémenter l’économie verte par la promotion et la vulgarisation des projets bas carbones. Les opportunités financières manquent le moins cependant, seules les entités publiques telles que les collectivités locales peuvent bénéficier des appuis des bailleurs de fonds. Douala, Yaoundé croulent sous le poids des ordures ménagères alors que ces deux Communautés urbaines auraient pu choisir l’exemple de l’Ethiopie. Demain sera trop tard quand les Chinois iront de maisons en maisons acheter les déchets domestiques. Quelle sera la honte ! Sur un autre plan, le recyclage des matériaux est un enjeu écologique majeur ; nous l’avions signalé ci-dessus. Il crée de l’emploi, génère des taxes fiscales. Il est source d’emplois indirects, réduit la pression sur les ressources naturelles, fait des économies énergétiques et de rejet de gaz à effet de serre dans la nature dont le recyclage des déchets est une alternative au mécanisme d’atténuation des changements climatiques.
Les actions menées par le gouvernement et les entreprises sont-elles suffisantes dans la lutte pour la protection de l’environnement ?
Toute manipulation des déchets est conditionnée par l’obtention d’un permis environnemental et tout convoie d’une cargaison de déchets doit être accompagné d’un manifeste de traçabilité. Le gouvernement de la République par le ministère en charge de l’environnement, a élaboré un document de stratégie nationale de gestion des déchets, des normes de rejets de déchets dans la nature. Notre parlement a ratifié plusieurs conventions internationales dont les plus pertinentes sont : les conventions de Bale, Stockholm, Montréal, Bamako et récemment Minamata sur le mercure. On ne peut passer outre l’inventaire des POPs particulièrement les PCBs dans les établissements classés. Afin de préserver la santé des Camerounais, les stocks recensés doivent être éliminés complètement au plus tard en 2023. Cependant beaucoup de choses restent à faire sur le plan de doter les villes urbaines d’infrastructures d’assainissement à savoir le Centre d’enfouissement technique (CET) 1 et 2 pour stocker les ordures ménagères et assimilées, les centres de stockage des déchets ultimes (CSDU) réservés aux déchets industriels, des stations de traitement et recyclage des eaux usées. Douala où sont localisés environ 45% d’établissements classés et deux zones industrielles n’a aucune infrastructure d’assainissement des déchets industriels. Depuis des années, où sont stockées les poudres que génèrent les incinérations les déchets hospitaliers ? Il faut penser à codifier l’enseignement du recyclage et l’introduire dans les programmes scolaires et universitaires ; bref créer une école des déchets comme au Sénégal. Au niveau local, les collectivités territoriales décentralisées doivent encadrer les programmes de sensibilisation et d’éducation à l’environnement. C’est dans ce sens que nous lançons un appel en direction des jeunes de venir nous joindre pour qu’ensemble nous formions les soldats de la salubrité publique. Lire aussi :Insalubrité : Douala, ville poubelle
Qui sont les acteurs concernés dans la protection de l’environnement ?
L’homme doit être au centre des préoccupations environnementales et écologiques. Comme il est prévu dans notre Constitution, il a le droit de vivre dans un environnement saint. Les acteurs concernés dans la protection de l’environnement sont : le Président de la République qui conçoit la politique nationale de protection de l’emploi, il publie les conventions internationales auparavant envoyées par l’exécutif au parlement pour ratification. Le Ministère en charge de l’administration de l’environnement est chargée de mettre en œuvre la politique telle que définie par le président de la République, il contrôle, régule et punie les contrevenants. Les collectivités locales décentralisées à qui des compétences en matière de contrôle de la pollution locale ont été transférées. Les organisations non gouvernementales (ONGs) qui accompagnent le ministère en charge de l’Environnement à réaliser sa mission. Enfin les populations qui ont droit à l’information environnementale.
En tant qu’écologiste, quel est votre ressenti au niveau de l’environnement camerounais?
Comme militant écologiste, je suis traversé par un double sentiment ; la déception dans la mesure où on termine une élection présidentielle pendant lesquelles les 9 candidats ont ignoré le débat sur les problématiques écologiques et environnementales, quid des questions des décharges sauvages des ordures ménagères, de rejet des eaux usées et autres déchets toxiques dans la nature etc. A ce jour, les patrons d’entreprises dissimulent leurs déchets, parce que disent-ils leur traitement coûte cher. C’est regrettable un tel déni de culture écologique. Toute fois, je suis aussi transpercé par une onde d’espoir vu l’engouement très prononcé des jeunes aux activités liées à la valorisation des déchets. Les ainés que nous sommes, balisons la voie pour eux. Nous conseillons qu’ils se regroupent en associations de lutte pour la protection de la nature et que les déchets sont une richesse. Le Président de la République a pris un engagement en décembre 2015 à la veille de COP 21 à savoir celui de réduire les émissions des gaz à effet de serre du Cameroun d’ici à 2035 à partir du palier de 2010. Cet engagement est une grosse occasion de capter des opportunités financières de compensation. A partir de 2020, le Fonds vert climat sera alimenté de 100 milliards de dollars US par an et 80% de ces fonds seront destinés à financer les projets bas carbone dans les pays en développent comme le Cameroun. Le compostage des ordures ménagères, le reboisement etc… sont des projets bancables, que les jeunes se forment et surtout se renseignent à la bonne source.
Entretien avec Ghislaine DIGONA