Introduite dans la Constitution camerounaise depuis 1996, la décentralisation reste aujourd’hui un sujet embarrassant pour le Pouvoir. S’il était possible que cette notion soit effacée de loi fondamentale Yaoundé n’hésiterai pas.
Le président de la République a signé mercredi 1er août 2018, le décret portant organisation du ministère de la décentralisation et du Développement local, cinq mois exactement depuis la création de ce département ministériel lors du réaménagement gouvernemental survenu le 2 mars 2018. Ce décret, présenté par le quotidien Cameroon Tribune dans son édition du 02 août comme signe de l’accélération de la décentralisation, est dans la réalité le énième acte législatif pris en faveur d’une notion devenue comme un serpent de mer, impossible de cerner définitivement. Calendrier en main, cette décision se prend ainsi 22 ans exactement depuis qu’on parle officiellement de la décentralisation au Cameroun. L’idée nait au cours de la conférence Tripartite qui s’est tenue du 30 octobre au 13 novembre 1991. Elle a été le socle consensuel sur lequel s’est appuyée l’élaboration de la Constitution de 1996 dans laquelle la notion de la décentralisation est actée officiellement pour la première fois en ces termes : La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé, d’après l’alinéa 2 du tout premier article.
Arsenal juridique impressionant….
Depuis l’adoption de la Constitution, 9 lois et décrets au total ont été jusqu’ici votés et signées, toutes en rapport avec la mise en applications effective de la décentralisation. 8 ans après la constitution, on a les trois lois du 22 juillet 2004. L’une portant orientation de la décentralisation, la deuxième fixant les règles applicables aux communes, et la troisième fixant les règles applicables aux régions. Deux ans après on a deux autres lois le 14 juillet 2006, l’une fixant les conditions d´élection des sénateurs et l’autre le mode d´élection des conseillers régionaux, en 2009 on a la loi du 10 juillet portant régime financier des Collectivités décentralisées et celle du 15 décembre portant fiscalité locale, et en 2010 le décret du 01 juin fixant la nomenclature budgétaire des collectivités territoriales décentralisées. Parmi ces textes, le cadre est fixé par la loi portant orientation, qui précise à l’article 2 alinéa 1 que la décentralisation consiste en un transfert par l’Etat, aux collectivités territoriales décentralisées, de compétences particulières et de moyens appropriés, et l’article 3 alinéa 1 spécifient que «les collectivités territoriales de la République sont les régions et les communes. »
A côté des textes, le pouvoir a également crée en 2004 un organe dédié, le Conseil National de la Décentralisation, présidé par le Premier Ministre. En 2008 le décret portant son organisation et son fonctionnement est signé, indiquant qu’il est composé 15 ministres, 4 membres du parlement et deux membres du conseil économique et social. Il est supposé assurer la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de la décentralisation au Cameroun, avec un rythme de fonctionnement de deux réunions par an. Les partenaires au développement sont même venus au secours du gouvernement dans la mise en application de la décentralisation, avec le Programme d’Appui à la Décentralisation et au Développement Local (PADDL), le Programme d’Appui aux Capacités Décentralisées de Développement Urbain (PACDDU), ou le Programme National de Développement Participatif (PNDP).
La mauvaise foi du pouvoir
L’arsenal juridique est donc impressionnant, pour la seule décentralisation. Mais les effets restent invisibles. Aucune région ou commune ne peut dire à ce jour qu’elle vit les réalités de la décentralisation, d’ailleurs les régions attendent toujours d’avoir les conseils régionaux, et des gouverneurs des régions, élus localement. Aujourd’hui plus que jamais, le pouvoir de Yaoundé ne sait pas quoi faire de cette notion. Elle est devenue gênante, source de conflit et de défis, porteur des gènes des revendications des maires et autres, surtout synonyme de perte du pouvoir de certains départements ministériels à Yaoundé, où les fonctionnaires freinent de 4 fers pour que le processus n’aboutisse pas, un processus qui nous dit on est en marche depuis 22 ans exactement.
Et les problèmes que la décentralisation étaient censée résoudre restent d’actualité. Dans la ville de Douala par exemple, une route peut se dégrader jusqu’à former des points de piscines en saisons de pluies, personne ne semble se soucier. La mairie d’arrondissement prétend ne pas avoir les ressources, et se défausse sur la Communauté urbaine. Celle-ci oriente les plaintes vers les ministères soient des travaux publics, soit du développement urbain et de l’habitat. Finalement on se perd dans les attributions des uns et des autres, difficile de définir avec exactitude quelle institution a compétence pour faire quoi. Pourtant une décentralisation stricte et ferme aurait réglé problème. Pendant que les compétences se promènent en l’air, c’est ainsi que les budgets sont aussi interceptés et dilapidés, finalement par on ne sait qui.
La création du ministère de la centralisation est le dernier acte législatif en la matière. Et il a fallu attendre 5 mois pour produire l’organigramme après avoir nommé le ministre longtemps avant. La lenteur observée à tous les niveaux du processus laisse penser que la décentralisation est devenue un objet d’embarras entre les mains du gouvernement. Outre l’annonce officielle de la volonté de mettre en place une organisation du territoire efficace et plus proche des habitants à travers ce processus, l’Etat continu encore aujourd’hui d’exercer le pouvoir au niveau communal à travers ses représentants que sont les délégués du gouvernement, les préfets et sous-préfets, services déconcentrés. Pourtant, la décentralisation bien qu’appliquée ailleurs avec beaucoup de bonheur, reste au Cameroun un « processus »
Roland TSAPI