L’histoire nous renseigne que les hommes d’églises ont souvent joué un rôle déterminant dans la recherche de la paix dans les pays en conflits. L’initiative de la Conférence générale des anglophones prise par le Cardinal Christian Tumi va-t-elle ouvrir la voie de la résolution de la crise anglophone ?

L’appel qui vient de l’Eglise. On peut ainsi désigner l’organisation annoncée d’une grande conférence anglophone, dans un communiqué signé il y a 5 jours par d’éminents hommes de Dieu, avec en tête le Cardinal Christian Tumi. En plus de ce dernier, trois prédicateurs ont apposé leurs signatures en bas du document à Douala le 25 juillet 2018, dont le révérend Babila George Fochang de la Presbyterian Church, l’iman Tukur Mohamed Adamu de la mosquée centrale de Bamenda et l’imam Alhadji Mohammed Aboubakar de la mosquée centrale de Buea. Les quatre appellent à une conférence générale des anglophones pour les 29 et 30 août prochain à Buea. Invoquant leur responsabilité morale dans la promotion de la paix et l’harmonie parmi les hommes, ils rappellent : «Comme nous le savons tous, les populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest endurent depuis près de deux ans des souffrances énormes, depuis l’irruption de la présente crise en octobre 2016. Nous pensons que le moment est venu de mettre fin au conflit à travers un dialogue national franc et inclusif sur le problème anglophone, et lançons un fervent appel au président de la République, Chef de l’Etat, à organiser un tel dialogue le plus tôt possible. »
Les réserves du gouvernement

D’après eux, la tenue de cette conférence générale des anglophones sera le premier pas vers ce dialogue national dont l’organisation incombe au président de la République et à son gouvernement. En réponse à cet appel, le gouvernement reste nuancé pour le moment. Tout en saluant l’initiative, le ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary, s’exprimant au nom du gouvernement, a indiqué qu’il n’était pas acceptable que les hommes de Dieu mettent sur le pied d’égalité les forces armées étatiques qui protègent les populations et les groupes armées qui opèrent dans ces régions, quand ils demandent aux deux parties de déclarer la fin du conflit armée, en prélude à cette conférence. En plus de cette demande, le Cardinal Christian Tumi et ses confrères souhaitent que le gouvernement libère tous ceux qui sont aujourd’hui détenus en relation avec cette crise, et que les poursuites contre eux soient purement et simplement abandonnées. Le gouvernement devrait en même temps favoriser le retour au bercail de ceux qui sont aujourd’hui déplacés à cause des conflits, y compris ceux en exil.
En attendant la réaction du gouvernement par rapport à ces attentes, déjà exprimées par ailleurs dans d’autres cadres par d’autres personnalités, on peut déjà se dire que cet appel est une réponse à un questionnement qui revient lorsqu’on parle de dialogue, à savoir avec qui. Les hommes de Dieu se positionnent ainsi non seulement comme interlocuteurs, mieux, en médiateurs, comme on l’a vu ailleurs avec plus de bonheur.
Vérité réconciliation
Si l’Afrique du Sud est à ce jour un pays relativement pacifié où cohabitent les différentes races et couches sociales, il le doit à l’Eglise conduite par Desmond Tutu, à la tête de la célèbre commission vérité et réconciliation. La commission fut Créée en juin 1995, dans des conditions quasi similaires à celles que vit le Cameroun, à la suite de longues et difficiles négociations entre l’A.N.C., espérant la poursuite des responsables des crimes commis pendant l’apartheid et le gouvernement, exigeant une amnistie pure et simple. Elle eut pour tâche d’assurer une gestion politico-juridique du passé dans le but de promouvoir l’unité nationale et la réconciliation dans un esprit de paix qui dépasse les conflits et les anciennes divisions. Sous la direction de Monseigneur Desmond Tutu, une équipe représentative de toutes les tendances politiques du pays fut chargée d’entendre les candidats à l’amnistie et d’évaluer leur sincérité, de permettre aux victimes de s’exprimer et de faire connaître leurs souffrances, de proposer des formes de réparation et de dédommagements.

Cette procédure de traitement du passé porta ses fruits. Il ne s’agissait pas en effet d’une instance de jugement mais d’un lieu de promotion de la repentance et de la contrition qui se proposait, en échange d’un aveu sincère, public et complet des crimes politiques commis depuis 1960, d’offrir l’amnistie et d’accoucher d’une société libérée de son passé. La Commission a joué sur un registre consensuel en Afrique du Sud, celui des principes chrétiens de la justice et du pardon. Cet effort a débouché sur une désactivation psychologique du désir de vengeance et contribué à la normalisation du régime. Plus proche du Cameroun, en République démocratique du Congo, si le pays ne s’est pas à ce jour complètement embrasé, c’est aussi grâce aux hommes de Dieu, avec en tête le cardinal Laurent Monsengwo.
En décembre 2016, la Conférence des évêques catholiques du Congo (Cenco) s’est investie à fond pour éviter que le pays ne sombre encore dans la violence. La tension était déjà au maximum entre les partisans du président Joseph Désiré Kabila, dont le mandat s’achevait le 19 décembre mais qui ne voulait pas lâcher les rênes du pouvoir, et ses opposant politiques, prêts à prendre les armes s’il le fallait pour le faire partir. Un dialogue organisé par la Conférence trois jours avant la fin du mandat a permis de maintenir le pays dans une relative accalmie jusqu’aujourd’hui. Les prélats avaient réussi à obtenir des deux camps une période de transition pendant laquelle Joseph Kabila devait rester au pouvoir, mais avec la promesse ferme de ne pas toucher à la Constitution du pays entre temps, et surtout d’oublier qu’il peut encore se représenter.
Des exemples peuvent se multiplier, qui montre que l’Eglise a de tout temps jouer les médiations pour ramener la paix là où il fallait, les hommes d’Eglise étant les derniers vers qui ont a tendance à se retourner, lorsque tout espoir est perdu. Reste à espérer que le bâton pris par le Cardinal Tumi, sera semblable à ce bâton que Dieu avait mis entre les mains de Moïse, pour sauver son peuple et l’amener à la terre promise.
Roland TSAPI