
Le complexe du colonisé est un mal profond qui nous ronge au quotidien, mais dont personne ne semble s’en rendre compte. En fait, nous passons le temps à nous plaindre des autres, et quand je dis nous, je fais allusion à tous les Camerounais sans distinction de sexe, de religion, de culture ou de langue. Le sujet peut être élargi à tous les domaines de la vie, mais arrêtons-nous d’abord sur les relations que nous entretenons avec les puissances étrangères, dont la plus pointée du doigt est la France. Il est vrai que l’histoire est têtue, et nous ne pouvons pas changer le fait que notre pays ait été colonisé par la France, et l’est même encore si l’on veut pousser la réflexion plus loin. C’est ainsi que tous les problèmes que nous avons aujourd’hui sont imputées à cette métropole, qui garderait une main invisible sur le Cameroun et veillerait gentiment à ce que nous ne soyons jamais indépendant.
Sauf qu’à force de nous le répéter, nous avons fini par oublier que nous-mêmes pouvions être pour quelque chose dans ce qui nous arrive. Nous nous contentons de transposer sur l’autre toutes les fautes, attestant ainsi la réflexion du philosophe Jean Paul Sartre qui disait que l’enfer c’est les autres. Pourtant, dans notre vécu quotidien, nous avons pris l’habitude de dénigrer notre propre identité, nos mœurs, nos valeurs, notre façon de vivre, pour valoriser plutôt ce qui vient d’ailleurs. C’est le lieu pour moi de partager avec vous cette réflexion d’un compatriote, qui nous interpelle sur cette habitude à jeter le tort absolu sur le gouvernement et les puissances étrangères, et nous invite à nous regarder d’abord dans le miroir.

Il pose la question de savoir si avant même de voir au niveau de la direction de l’Etat, est- ce que dans nos têtes de citoyens nous sommes sortis de la colonisation?
- Qui dans sa tête ne valorise pas les études faites en France plus que celles qui sont faites au Cameroun? On veut tous envoyer les enfants étudier où? En France.
- Qui n’a pas le complexe de « ma paire de chaussure vient de Mbeng »?
- Qui n’a pas honte de poster sur les réseaux sociaux ses photos prises au village Ngog Mapubi, Kolofata, Batcham, Bazou, Ngoro, mais veut vite y mettre celles qu’il a prises dans un village … de France ?
- Qui ne considère pas comme dévalorisants les congés qu’il va passer à Yokadouma, Zoétélé, Bipindi, Yabassi, mais très valorisantes celles qu’il va passer … en … France?
- Combien d’entre nous n’ont pas la photo du monument de la réunification affichée dans leurs bureaux, mais ont des dizaines de photo et de gadgets de la tour Eiffel?
- Combien sont réellement séparés du complexe d’infériorité face à « la peau blanche »?
- Combien de femmes sont fières de leur négritude et la mettent en valeur dans son naturel, sans chercher à avoir le teint des blanches, les cheveux des blanches, l’accent des blanches, etc.?
- Combien avons-nous accepté personnellement l’acculturation jusqu’à la nourriture que nous mangeons? « Sauce basquaise », « viande bolognaise », « capitaine en Bellevue », « randonnée de cacahuètes », « riz cantonnais », parce que tout cela sonne plus élégant que le « nkui de Mbouda », le « fiang wondo » , le « achu », le kwem, la banane malaxée, le sanga, etc ?
- Combien parmi nous peuvent organiser une fête chez eux et servir exclusivement des mets locaux et du vin blanc, sans qu’on y voit du vin cru de Bordeaux 12 ans d’âge ?
Tant que dans nos têtes nous serons encore colonisés, il n’y aura pas d’espoir à l’échelle nationale. Il est vrai que le système qui nous a formatés ne nous aide pas dans cette voie. C’est pour cela que même dans les programmes scolaires on privilégie l’histoire de la première ou de la seconde guerre mondiale, qui a vu la victoire de la France, de l’Angleterre et de tous les alliés sur l’Allemagne, tout en passant aux oubliettes les combats menés pour l’indépendance par nos héros nationaux que sont Martin Paul Samba, Ngosso Din, Um Nyobe, Félix Roland Moumié, Douala Manga Bell, pour ne citer que ceux-là. C’est pour cela que dans nos salons le soir on peut regarder en direct à la télévision tous les matches des championnats européens, alors qu’on peut à peine regarder en direct un match des Lions Indomptables, n’en parlons pas des matches du championnat local.
Mais ce manquement au niveau de la politique globale d’appropriation de nos valeurs ne nous excuse pas. Il n’y a pas de honte à être soi-même, notre pays deviendra ce que nous aurons voulu qu’il soit, c’est-à-dire ce que nous sommes en réalité. Nous devons commencer notre propre décolonisation dans nos têtes, avant d’exiger des gouvernants qu’ils rompent ces accords qui nous maintiennent encore dans l’esclavage.
Roland TSAPI, Journaliste