Les pays de l’AES (Alliance des Etats du Sahel, qui rassemble le Mali, le Burkina Faso et le Niger) ont claqué la porte de la Cour pénale internationale. L’annonce a été faite ce mardi 23 septembre 2025, avec effet immédiat. Les implications positives et les revers de cette décision hautement souverainiste, l’attitude d’autres pays africains sont analysés dans cet entretien avec le géostratège Charly Kengne.
Quelle analyse faites-vous du départ des pays de l’AES de la Cour Pénale Internationale ?
Déjà il faut dire que c’est un départ qui me semble très justifié. D’ailleurs les éléments convoqués par ces pays pour justifier leur départ s’expliquent et se comprennent. La CPI a toujours brillé comme étant une organisation internationale instrumentalisée pour mener une forme de pression sur les dirigeants politiques africains. La deuxième raison c’est qu’on a l’impression que la justice de ce côté se rapproche plus d’une justice néocoloniale que d’une justice qui veut dire le droit et faire la lumière sur les affaires qui lui sont soumises. D’ailleurs, d’aucuns reprochent à la CPI d’être très partiale envers les pays africains. Le Mali qui fait partie des pays ayant claqué la porte à la CPI, a récemment envoyé un dossier assez fourni aux Nations Unies, dans lequel le pays dénonçait, preuve à l’appui, une certaine complicité entre la France et les groupes terroristes qui opèrent dans sa partie Nord. La CPI n’a pas jugé utile de véritablement s’attarder sur ce dossier, pourtant cela fait partie de ses prérogatives. On a par exemple vu la CPI très active dans le dossier ivoirien, avec la déportation pour la CPI d’un président élu démocratiquement. On a eu l’impression dans la crise post-électorale ivoirienne de 2011 que la CPI était beaucoup plus utilisée comme une organisation chargée de jugée les déchus, parce que dans le cas ivoirien, c’est justement la loi des vainqueurs qui a primé. On a vu le camp des vainqueurs avec Alassane Dramane Ouattara, soutenu par la communauté occidentale, déporter un président élu –Laurent Gbagbo, à la CPI. La preuve justement qu’il était innocent des accusations portées contre lui c’est que cette même CPI l’a innocenté de toutes ces charges.
On a vu également cette CPI très active dans le conflit Russo-Ukrainien, en émettant un mandat d’arrêt international contre un président en exercice, en la personne du président Vladimir Poutine. Quand on sait très pertinemment que derrière le conflit Russo-ukrainien, il y a deux blocs qui s’affrontent : le bloc de l’Est porté par l’alliance Sino-Russe contre le bloc de l’Ouest porté par l’alliance Américano-Européenne. Justement dans le cadre des décisions prises par la CPI, on a eu l’impression que cette justice, loin d’être impartiale, répétait seulement la volonté du bloc occidental porté par l’Otan, en omettant les crimes causés par l’Ukraine, pour s’attarder à des présumés crimes qui pourraient être causés par le bloc russe.
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Indépendamment de tout ceci, il faut dire également que la plupart des cas jugés au niveau de la CPI sont liés à des affaires africaines. Vu tout ceci, la CPI est beaucoup plus perçue par les Africains, comme un instrument à la solde du bloc occidentalo-capitaliste, pour mettre en avant leurs agendas géopolitiques, contre les pays africains. On peut ainsi comprendre la sortie de l’AES de cette organisation. On n’a pas vu la CPI se saisir des dossiers sur le génocide en cours à Gaza, avec la Palestine. On voit clairement comment la CPI tarde à s’impliquer dans le dossier Palestinien, et pour cause, les Etats-Unis ont menacé les juges de la CPI de sanction, si à jamais ils décidaient d’émettre un mandat international contre un leader Israélien.
Quelles seraient les implications positives et négatives de cette décision de l’AES ?
Les implications positives peuvent se regrouper en trois grands points. Premièrement, c’est une affirmation de la souveraineté de ces pays. Il faut dire que les pays de l’AES estiment que la CPI est devenue un instrument de répression néocoloniale, et souhaitent à juste titre affirmer leur souveraineté en créant leur propre mécanisme de justice endogène. C’est la raison pour laquelle il est annoncé de ce côté très prochainement, la création d’une Cour de Justice du Sahel, pour véritablement implémenter cette vision nationaliste et panafricaniste portée au niveau de ces Etats. La deuxième raison est liée à une indépendance judiciaire. Aujourd’hui les Etats de l’AES sont en train de mettre en place des juridictions régionales autonomes, pour justement traiter des crimes internationaux et bien sûr des questions liées à la criminalité organisée ; ce qui leur permettrait désormais de mieux contrôler leurs affaires internes. La troisième raison est liée à la protection des dirigeants. Nous savons que les pas de l’AES, par cette initiative pourraient ainsi protéger leurs dirigeants de poursuites judiciaires à l’échelle internationale.
Maintenant, comme implication négative, ce retrait va entraîner une forme de perte de la crédibilité, car il va être perçu par certains comme un signe de faiblesse ou un manque de volonté de coopérer avec ce qu’ils qualifient de communauté de internationale. Il y a également des risques d’impunité car les pays de l’AES pourraient être accusés de chercher à se soustraire à la justice internationale, ce qui permettrait une forme d’impunité. Il y a aussi un impact sur la coopération internationale car le retrait de la CPI pourrait affecter la coopération entre l’AES et certaines organisations internationales. Il y a enfin la création d’une justice parallèle, parce que la mise en place d’une justice régionale autonome aujourd’hui pourrait soulever un certain nombre de questions sur l’efficacité et l’impartialité de cette juridiction.
L’AES était déjà sortie CEDEAO. Aujourd’hui c’est la CPI. Est-ce un regroupement de leaders qui veulent fonctionner à vase clos ?
Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’un regroupement de leaders qui désirent fonctionner à vase clos. Il s’agit simplement d’un regroupement de leaders qui veulent mettre en avant les désidératas de leurs peuples, et qui entendent aujourd’hui restituer la vérité historique qui a été longtemps cachée et qui consiste à faire croire aux Africains qu’ils ne sont pas mettre de leur destin, qu’ils ne peuvent pas se prendre en charge, qu’ils n’ont pas de dignité encore moins d’histoire. Nous sommes en réalité dans un regroupement de leaders portés par leurs peuples, qui entendent déconstruire un discours longtemps entretenu au niveau des instances internationales, qui consistait à déshumaniser l’Homme Noir, à le diaboliser, à le réduire à sa plus petite expression, en oubliant l’apport historique de l’Homme Noir à l’humanité, en passant par la civilisation, les grandes inventions, la construction de l’occident.
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Pourquoi les pays africains qui dénoncent la justice à deux vitesses de la CPI ne claquent pas la porte ?
Il est important de rappeler qu’avant ces trois Etats de l’AES, d’autres sont sortis. C’est le cas du Burundi, qui s’est retiré en 2017, dénonçant une partialité de cette Cour envers les pays africains. C’est aussi le cas de l’Afrique du Sud qui a entamé les procédures depuis 2016 pour se retirer. Les autres pays ne claquent pas la porte pour plusieurs raisons. La première est politique. Aujourd’hui, la plupart des dirigeants à la tête des Etats africains sont arrivés par le système de la Françafrique. C’est un système qui ne donne pas une certaine marge de manœuvre aux chefs d’Etat africains de défendre les intérêts de leurs peuples et de leurs Etats. La deuxième raison est géopolitique, voire sécuritaire. La CPI aujourd’hui dans sa manière de faire est instrumentaliser par ce qu’on qualifierait de communauté internationale, mais que moi j’appelle la communauté occidentale, ceci pour implémenter leurs agendas géopolitiques sur le continent africain. A partir de cet instant, elle sert à cette communauté occidentale d’épée de Damoclès sur la tête de ces dirigeants africains qui voudraient s’émanciper de ce système. On pourrait enfin expliquer cela par une forme de complexe, en ce sens que les Etats africains estiment encore que la vérité peut être dite en dehors du continent, or la plupart de ces organisations ont été mises en place sans les Etats africains, sans notre consentement.
Avec ces décisions radicales empreintes de souverainisme des dirigeants de l’AES, certains observateurs prédisent déjà un Eldorado dans quelques années. Qu’en pensez-vous ?
Avec les dynamiques géopolitiques, sociopolitiques, géostratégiques, géoéconomiques implémentées dans les pays de l’AES, on est en droit de penser qu’ils pourraient devenir dans quelques années, des Eldorado pour les Etats africains. Cela peut se vérifier avec les statistiques qui sont annoncées par le FMI et la Banque mondiale. Pour le cas du Niger, il y a moins de deux ans, ce pays était classé dans le top 5 des pays les plus pauvres au monde. Les dernières statistiques macroéconomiques du Niger nous montrent que ce pays présente aujourd’hui les meilleurs indicateurs de perspectives macroéconomiques au Sud du Sahara. Ceci simplement grâce aux choix et orientations politiques et géopolitiques, menés de ce côté depuis l’arrivée de ces leaders. L’uranium du Niger qui hier encore ne profitait qu’à la France, est vendu aujourd’hui par le Niger à des prix qui répondent au standard international, et qui profite au pays. Les prix d’un certain nombre de matières premières et des denrées alimentaires ont drastiquement chuté sur le marché d l’AES, c’est signe véritablement d’une bonne santé économique. Dans les pays de l’AES, les prix du pétrole à la pompe sont les plus bas des pays au Sud du Sahara. C’est pareil avec le ciment. Au Mali, il y a des industries qui sortent de terre, qui témoignent de la volonté souveraine du pays. C’est le cas de cette usine de transformation du lithium, qui est un minerai stratégique pour les industries de hautes technologies. Le Burkina Faso par exemple a renforcé aujourd’hui ses réserves d’or, qui sont des signes annonciateurs d’une possible monnaie. Récemment encore il y a eu la création d’une banque d’investissement, pour supporter et soutenir les petites et moyennes entreprises. Ce sont des indicateurs qui démontrent de la bonne santé d’un pays.
Entretien réalisé avec Valgadine TONGA






