Observations sur le projet de loi n°1076/pjl/an régissant les associations artistiques et culturelles au Cameroun
Les professionnels du secteur culturel au Cameroun s’insurgent contre les mécanismes qui ont conduit à la rédaction de ce projet de loi qui n’honorent pas les institutions de notre chère patrie. Après avoir réussi sur le tard, seulement hier dimanche 28 juin 2020 au soir, à obtenir par des canaux officieux le contenu de ce projet mal rédigé, nous nous sommes employés à lui apporter les amendements que ces auteurs souhaitaient manifestement éviter. Et ils ne sont certainement pas exhaustifs puisque nous n’avons eu que cette nuit du dimanche 28 au lundi 29 juin 2020 pour réagir aux manquements de ce texte tout en prenant la peine de faire des propositions dans l’esprit et même la lettre du cadre juridique et réglementaire de la République du Cameroun.
Définition floue et illégale des termes clés
Dès l’exposé des motifs, il apparaît des notions telles que « association artistique et culturelle », « compagnie », « union », « guilde » et « fédération ». Des notions qui s’inspirent clairement de la culture des fédérations sportives et des fédérations syndicales, mais dont certains termes sont tirés du décret n0 79/390 du 22 septembre 1979 portant institution de la charte culturelle de la République du Cameroun qui régit justement l’organisation et le regroupement des associations culturelles.
Le chapitre 3 du projet de loi sur la notion de « mouvement artistique et culturel » revient sur les modalités de regroupement des associations artistiques et culturelles avec une contradiction flagrante entre ses dispositions et celles y relatives figurant dans la loi sur la liberté d’association qui ne limite en rien le cadre géographique d’exercice des activités des associations. Or puisque les associations qui accèdent au statut d’associations artistiques et culturelles sont déjà créées sur une base non limitative territorialement, il y a forcément risque de conflit des normes juridiques devant régir de telles entités. Pour donner l’impression de le contourner, dans les articles qui concernent le premier degré de regroupement, cette disposition n’est pas mentionnée, mais transparaît de façon sibylline dans l’ordonnancement des paliers supérieurs.
Nos propositions
– Retenir et redéfinir les notions « association », « compagnie », « union », « fédération » et certainement ajouter la notion de « confédération ». Il est important que l’on reste dans l’esprit de la liberté d’association en s’inspirant des pratiques des fédérations sportives (compagnies culturelles, à l’image des clubs sportifs) et des fédérations syndicales (différents paliers d’unions et de fédérations territoriales)
Quelques définitions inspirées de la riche réglementation de notre pays et des meilleures pratiques actuelles dans les milieux associatifs et culturels :
- Association culturelle: regroupement d’au moins 3 personnes qui décident de mettre en commun des moyens afin d’exercer une activité culturelle ayant un but premier autre que leur enrichissement personnel.
- Compagnie culturelle : association culturelle qui promeut un art ou une culture en particulier qui se dote d’une infrastructure et d’un encadrement professionnels pour exercer ses activités.
- Union culturelle : regroupement d’associations culturelles et sections d’associations culturelles d’un même arrondissement (union locale), d’un même département (union départementale), d’une même région (union régionale), ou à l’échelle nationale (union nationale) représentant des métiers ou activités différents mais partageant des valeurs communes.
- fédération culturelle: regroupement d’associations culturelles et sections d’associations culturelles d’un même arrondissement (fédération locale), d’un même département (fédération départementale), d’une même région (fédération régionale), ou à l’échelle nationale (fédération nationale) représentant les mêmes métiers ou activités mais souvent d’orientations différentes.
- Confédération culturelle: regroupement de fédérations nationales ayant vocation à représenter l’ensemble des associations tous métiers confondus.
Le présent projet de loi est muet sur les domaines, métiers et activités auxquels il fait mention.
Il est nécessaire d’énoncer clairement les domaines culturels en général, à défaut d’apporter des détails sur les différents métiers ou activités qu’on retrouve dans ces domaines. Mais en laissant ce soin à des textes réglementaires du ministère en charge de la culture, on prend le risque de limiter l’étendue du champ de regroupement à des secteurs d’activités dits de « même discipline ». Au regard des actions du MINAC promouvant des regroupements en pôles d’activités artistiques et culturelles devant constituer des fédérations, on peut raisonnablement soupçonner que le terme discipline désigne de telles dispositions. Il se trouve qu’elles ont été relevées comme étant contradictoires avec les usages qui ont cours dans le milieu culturel. En plus de se concentrer davantage sur des métiers créatifs et quelques-uns qui y gravitent, sans s’étaler sur le vaste champ impressionnant qui composent et fait vivre le secteur culturel et créatif.
D’autre part, cela est limitatif de la liberté d’association, en cantonnant législativement ces entités à des disciplines, qui elles-mêmes se chevauchent pour la plupart. Nous pensons qu’une liberté totale devrait échoir aux initiateurs des associations d’en délimiter les champs en cette matière.
Manipulation liberticide de l’agrément
– L’agrément ne doit pas être obligatoire.
– L’agrément ne doit concerner que les associations reconnues d’utilité publique.
– L’agrément doit avoir pour but une délégation des pouvoirs du gouvernement de la République à une association culturelle afin de réaliser des missions de service public (éducation, médiation, événements locaux, départementaux, manifestations culturelles relevant des collectivités territoriales décentralisées, événements d’envergure nationale ou internationale engageant les institutions républicaines, défense et protection du patrimoine culturel national…)
– L’agrément devrait permettre par exemple aux regroupements d’associations (unions, fédérations et confédérations) d’organiser en leur sein la répartition de subventions de l’État auprès de ses associations membres…
En clair, l’agrément du ministère en charge de la culture ne doit pas être une condition sine qua none pour exercer en tant qu’association culturelle. On ne doit pas mettre en compétition les associations culturels et les entrepreneurs culturels dont l’activité pour la plupart, notamment les entrepreneurs de spectacles vivants, est assujettie à l’obtention d’une licence auprès du Ministre en charge de la culture.
Par ailleurs, un pouvoir tutélaire trop étendu est ainsi concédé au Ministre qui est conséquemment limitatif des libertés fondamentales d’association. D’autant plus qu’il emporte contrôles et sanctions disciplinaires, civiles et pénales en cas de non-respect de telles dispositions, à quelques niveaux que ce soit de regroupement.
Degré d’intervention exagéré du Ministre en charge de la culture dans la vie des associations culturelles
Dans un contexte marqué par la décentralisation (voir Code général de la décentralisation, Décret 2010 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées aux communes…), on est littéralement étouffé par l’interventionnisme concédé au ministre en charge de la culture et à ses services centraux ou déconcentrés. Il se traduit d’un contrôle à tous les actes de vie d’une association dite « artistique et culturelle », quel que soit le niveau de regroupement, la limitation vraiment injustifiée de la durée de validité de l’agrément (alors que pour l’acte constitutif primaire aux termes des dispositions de la loi 90, celle-ci est raisonnablement plus longue), les conditions d’octroi, de renouvellement dudit agrément pratiquement similaires et contraignantes, l’obligation de soumettre rapport et bilan au plus haut niveau du sommet hiérarchique du Ministère en le faisant transiter par les services subordonnés, l’application disproportionnée de sanctions disciplinaires, comme pour le cas de l’exercice en tant qu’association artistique et culturelle avant l’octroi de l’agrément ou le terme échu à la procédure, la soumission a un régime de déclaration pour les regroupements d’associations artistiques et culturelles, etc.
En plus, ceci risque de faire le lit d’une corruption invétérée du fait de l’alourdissement de procédures, de la complexification des interventions et surtout des sanctions sous-jacentes.
On ajoute à ceci, qu’aucune parcelle de pouvoir ou de possibilités de collaboration entre les associations artistiques et culturelles n’est concédée aux Collectivités Territoriales Décentralisées. Elles ne sont évoquées que comme simple faire-valoir de mention de situations géographiques et nulle part à quelques niveaux procéduraux ou autres. L’impression qui se dégage de ce qui apparaît comme une hypercentralisation de la tutelle ministérielle sur les associations artistiques et culturelles, se fait à contre-courant des principes et de la réalité de la décentralisation prônée par le Président de la République du Cameroun.
Le régime de sanctions par trop sévères et pour des motifs qui en eux-mêmes posent déjà un problème de leur justesse.
Ce régime de sanctions en rajoute un peu trop eu égard aux nombreuses sanctions déjà prévues par le Code pénal et même par la Loi sur la liberté d’association. Car comment empêcher des associations qui se projettent, qui ont souscrit à se soumettre à la procédure administrative relative à l’obtention de l’agrément, de ne pas déjà démarré leurs activités, dans la perspective d’une suite favorable ? Comment imaginer qu’on puisse les sanctionner pénalement, du simple fait qu’on les soupçonnerait ou qu’elles donneraient de fonctionner, avant l’octroi de l’agrément ? Il est à noter la prégnance démesurée accordée à l’agrément comme épicentre de la quasi-totalité des sanctions prévues dans ce texte. Toute chose qui nous conforte dans l’idée d’une caporalisation des associations à objet culturel.
Aucune mesure d’accompagnement des associations par les pouvoirs publics n’est précisée
Il nous paraît incongru que pendant que le Ministère en charge de la culture serait autorisé à s’immiscer dans la gestion des associations artistiques et culturelles par des contrôles et autres moyens de pression, qu’il puisse se servir de celles-ci pour fournir le CASPC de fonds issus de frais de procédure multipliés à l’excès, alors que nulle part il n’est prévu de mécanismes d’accompagnement de telles entités, sinon une hypothétique subvention ou autre financement qui devrait transiter par des fédérations. D’ailleurs si ces dernières sont considérées comme les seuls interlocuteurs ou intermédiaires entre le Ministre et les associations, pourquoi un agrément à un si bas niveau et autant de mesures contraignantes imposées à cette échelle ?
Tentative liberticide et illégale de contrôler l’affiliation des associations camerounaises à des fédérations internationales basées à l’étranger
Qu’est-ce qui peut justifier l’obligation pour les associations artistiques et culturelles d’obtenir l’accord formel du Ministre en charge de la culture pour s’affilier à des fédérations internationales, si ce n’est la caporalisation de ces entités et un pouvoir exorbitant à lui accordé, ou la disposition de goulots d’étranglement de trop, susceptibles d’empêcher lesdites entités de bénéficier d’apports extérieurs, jusqu’ici salutaires à leur fonctionnement ?
En conclusion il faut dire que ce projet de loi doit être rejeté car contreproductif pour le mouvement artistique et culturel et pour l’ordre public pour les inévitables conflits qu’il générerait. Avant de présenter un projet de loi de cette nature à l’Assemblée Nationale, le gouvernement devrait procéder à de larges consultations publiques de toutes les parties prenantes afin d’élaborer un avant-projet qui lui servirait base de travail.
- COLLECTIF DES PROFESSIONNELS DU SECTEUR CULTUREL AU CAMEROUN
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