Le Cameroun a célébré le 20 mai dernier la 45eme fête de l’unité. Une fête qui revêt une signification particulière selon qu’on soit des générations 50, 60, 70, 80, 90 ou 2000.
Pour les générations de 50 /60 il s’agit de célébrer l’unification du Cameroun oriental et occidental au sortir d’une longue et pénible guerre d’indépendance, noircie par l’interdiction de l’Union des population du Cameroun, l’extermination des centaines de milliers de Camerounais en zones Bassa et Bamiléké, assombrie par l’assassinat des Um Nyobé, Ernest Ouandié, Felix Roland Moumié, ponctuée par le référendum du 11 février 1961 au Cameroun occidental afin de déterminer si l’ancienne colonie britannique doit intégrer le Cameroun ou le Nigeria, clôturé par la conférence de Foumban du 16 au 21 juillet de la même année pour sceller la réunification.
Pour les générations 70/80, le 20 mai rappelle plutôt les efforts fait pas les élèves du primaire, des lycées et collèges pour épargner l’argent de la fête, la tenue de la fête qui à l’époque se résumait à un pagne aux effigies du président Ahidjo et cousu sous forme de boubou, disait-on pour coller à la mode musulmane, à la retraite aux flambeaux par les bébés scouts, le bal dansant du 19 mai au soir, et le défilé du 20 mai après lequel l’élève était content de dépenser ses 25 Fcfa pour un koki beignets, et plus joyeux encore s’il avait réussi à convaincre une camarade de classe de partager, et surtout l’accompagner après au studio photo où devaient se faire les photos souvenir…
Et que dire de la génération 90/2000 ? Pas grand-chose pour rester sobre. Le contexte socio politique et économique a changé. On parle désormais de rigueur et moralisation. Mais la crise économique s’est installée, la désillusion a pris corps sur le plan politique, la consommation de l’alcool est en hausse. Les fonctionnaires sont devenus plus riches que les opérateurs économiques. La jeunesse est désormais en déperdition le chômage bat son plein, on ne croit plus à l’école au regard du nombre des diplômés des universités qui demandent encore de quoi manger aux parents. Le transport urbain est désormais assuré par les motos, le clientélisme, le favoritisme sont la mode dans la fonction publique. La corruption règne en maître dans les ministères. Bref, la société s’est désintégrée. On parle de plus en plus de tribalisme. L’unité a pris un sérieux coup. Le 20 mai n’est désormais qu’une occasion pour les apparatchiks du sérail de parader sur les lieux de fêtes sans spectateurs, et se retrouver au domicile des administratifs le soir pour ce qui est des régions, ou au Palais de l’Unité pour d’autres Camerounais qui aiment entendre qu’ils portent le titre creux de Very Important personnality, VIP.
L’Unité ne se décrète pas
L’unité, personne n’en parle plus, sinon dans l’élaboration des thèmes aussi complexes que distants des populations, qui vivent au jour le jour des divisions et les querelles nourries par la misère ambiante. Aujourd’hui, avec la crise anglophone, l’on se rend compte que la conférence de Foumban, au cours de laquelle la réunification a été signée, était un marché de dupes. L’élite anglophone a été trompée, et aujourd’hui c’est cette élite anglophone qui continue de tromper la frange de la population occidentale, administrativement désignée comme les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ce constat a été fait à Douala hier 23 mai au cours d’un café débat organisé par l’ONG Un Monde Avenir sur la question de l’Unité nationale. Occasion de constater que l’Unité ne se décrète pas. Elle se construit sur le temps et se vit. Occasion aussi de regretter qu’un pouvoir dictatorial n’a pas intérêt à ce que le peuple soit uni, c’est pourquoi tout est mis en œuvre pour que la société camerounaise soit désunie dans tous les segments de la société. Pour cette question anglophone qui est désormais la trame de cette unité, il est reproché au Premier Ministre Philémon Yang, anglophone, de contribuer à exclure les populations anglophones, en prononçant tous ses discours publics en français alors que rien ni personne ne lui interdit de le faire en anglais, pour renforcer l’intégration. Encore qu’il n’occupe ce poste que parce qu’il est anglophone.
En fin de compte, l’Unité est mis à mal par les gouvernants eux-mêmes, en trouvant des mauvaises solutions aux vrais problèmes posés, des solutions qui de par leurs formulations excluent une partie des Camerounais. Le cas de l’Ecole normale de Maroua créée dit-on pour les Nordistes, le cas de la création d’une école normale de la magistrature dite pour les anglophones, le cas de ces édifices publics qui sont construits tous les jours mais sans aucune disposition pour l’accès des handicapés. Au vu des éléments historiques et actuels donc, l’on ne pourra parler d’unité véritable. Il convient simplement de mettre un processus qui passe par la concertation, la consultation pour finir par la conciliation, où tout le monde va s’asseoir afin qu’on se parle face à face, en se regardant dans les yeux.
Roland TSAPI, Journaliste