
Le Président de la République a nommé, le 15 mars 2017, le Président, le vice-président et les membres de la commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme pour un mandat de 5 ans éventuellement renouvelable. Près de deux mois après le décret portant création, organisation et fonctionnement de ladite commission, Paul Biya a finalement fait connaître l’identité des quinze personnalités devant faire valoir leurs savoirs, leur savoir-faire et leur savoir-être dans le processus de l’implémentation de la double logique du bilinguisme et du multiculturalisme. Seulement, au regard de la composition structurale de cette instance, il apparaît que le Chef de L’État a opté pour la théorie de la reproduction des représentations sociologiques tant chaque aire culturelle en fait partie. Aussi Paul Biya a-t-il pensé à l’équilibre du genre, en nommant quatre femmes nanties d’une certaine stature dans le champ public.
Retour en grâce d’Ama Tutu Muna
Si Mmes Françoise Angouing, Djenaba Bakary et Mbappè jouissent d’une certaine notoriété de par leurs fonctions de pouvoir et leur statut social dans chacune de leur sphère d’activité, l’on se questionne encore sur le retour en grâce de Mme Ama Tutu Muna qui bénéficie, une fois encore, chose curieuse, des faveurs du prince du Renouveau. En effet, l’ex-Ministre de la Culture a, au vu et au su de tous, affiché le caractère rebelle à l’égard de l’actuel Premier ministre Philémon Yang à l’époque au point où l’opinion publique nationale et internationale fut médusée. Le fait pour Ama Tutu Muna, d’avoir, manifestement, refusé de respecter les décisions de la justice de la Cour suprême relativement au contentieux entre la Cmc et le Minac traduit, sans conteste, le mépris pour les décisions de justice et, par conséquent, pour L’État du Cameroun. Nommer une telle personnalité féminine dans cette commission, dont les valeurs recommandées dans le texte présidentiel marquant la création sont, entre autres, l’intégrité morale, l’honnêteté intellectuelle, le patriotisme, participe à saper ce critère tant il est connu de tous que cette dame a dédaigné le chef du gouvernement et, in fine, la macrostructure étatique.
La logique du cumul de fonctions
De plus, il est avéré que la nomination des membres de ladite commission pose un sérieux problème tant Paul Biya a nommé la quasi-totalité des individus au moins titulaires d’un strapontin dans l’espace socio-politique. En effet, la figure de proue de cette commission qui plus est occupe la posture de Président est Peter Mafany Musonge, 74ans, qui, à l’heure actuelle, est pourvu d’au moins cinq postes de responsabilité. En réalité, l’ancien chef de gouvernement est, entre autres, Grand Chancelier des Ordres nationaux, Président du groupe parlementaire Rdpc (Rassemblement démocratique du peuple camerounais) au Sénat, Sénateur. Ce type de nomination contribue à ancrer, de façon éternelle, la logique du cumul de fonctions si bien que l’on se demande si d’autres catégories de personnalités publiques sans poste ne pourraient avoir accès à de telles fonctions. Au-delà de Peter Mafany Musonge, il y a Oumarou Djika Saidou, vice-président, enseignant à l’Université de Ngaoundéré, Samuel Efoua Mbozo’o, Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, David Abouem A Tchoyi, ancien membre du gouvernement, ancien gouverneur des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, Benjamin Itoe, ancien membre du gouvernement et Magistrat de la République, Abbé Jean-Marie Bodo, promoteur d’un organe médiatique, etc qui sont, tous, titulaires d’un poste de responsabilité, chacun dans son giron.
Revendications corporatistes
Par ailleurs, si l’on peut se réjouir de la cooptation d’une figure juvénile dans cette commission, à savoir celle de Joseph Afesi Mbafor, l’on s’interroge également sur le degré d’intégrité morale de ce Président du Conseil national de la jeunesse du Cameroun (Cnjc) qui, lors de la dernière assemblée générale élective, a été accusée de malversations financières. Toute chose l’ayant discrédité pour prétendre encore à une telle position de pouvoir. N’eût été l’intervention de l’ancien ministre de la Jeunesse et de l’Education civique, Pierre Ismael Bidoung Mkpatt, Afesi Mbafor n’aurait pas été juché à la tête du Cnjc.
Au demeurant, sans avoir la prétention de juger le maçon au pied du mur a priori, il est aisé de constater que la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme ne saurait régler le problème anglophone, dont le basculement dans la cristallisation des revendications éminemment politiques est né ces derniers mois. En réalité, c’étaient initialement des revendications corporatistes. Aujourd’hui, il s’agit d’imposer à L’État une nouvelle forme de structuration de cette entité que des leaders maximalistes nomment le fédéralisme. Or, la commission a, entre autres, pour attribution de proposer des avis et des rapports sur les atteintes au bilinguisme et au multiculturalisme, de veiller à l’enracinement de la cohabitation des deux langues (Français et Anglais) qui sont d’égales valeurs suivant les principes des dispositions constitutionnelles. Aussi cette commission n’est-elle qu’un organe consultatif tant Paul Biya a l’ultime mot pour sanctionner et décider de l’opérationnalisation de telle ou de telle autre mesure. Le problème politique ne sera pas, tel que le schéma se présente, résolu à court, à moyen et à long terme.
Serge Aimé Bikoi, journaliste et Sociologue du développement.