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Bassin du lac Tchad : Au cœur de la crise, des milliers d’élèves abandonnent l’école

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Malgré les actions gouvernementales, accompagnées des Ong, en faveur de l’éducation dans la région de l’Extrême-Nord, située dans le bassin du Lac-Tchad, en proie aux attaques des groupes armées, plusieurs écoles restent fermées. Les acteurs du secteur éducatif encouragent l’État camerounais à adapter les solutions au contexte socioculturel de cette partie du pays, située au croisement du Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger.

Des tentes en paille et des cases rondes couvertes par un toit de chaume. A l’intérieur de certaines de ces baraques, des troncs d’arbres font office de tables bancs. C’est dans ces conditions que s’éduquent les élèves de l’école publique bilingue de Moho dans le canton Mokong, commune de Mokolo, département du Mayo-Tsanaga, région de l’Extrême-Nord.

Ce mercredi 13 mars 2024 aux environs de 10h, près 400 enfants jouent dans la cour de la taille d’un terrain de handball. Cet espace est ouvert sur la route, sans aucune barrière de protection. C’est l’heure de la récréation dans cette école de Mayo Tsanaga. L’une des rares encore ouvertes dans ce département où Boko Haram a le plus sévi dans cette région camerounaise, située dans le bassin du Lac Tchad. Une zone entourée par le Cameroun, Nigeria, Tchad et Niger.

Ici, toutes les salles de classe ne disposent pas de tables bancs, encore moins d’un tableau. Les bâtiments n’existent presque plus « C’est tout ce qui nous reste après des attaques de la secte terroriste Boko Haram », confie un enseignant de cette école qui a souhaité s’exprimer sous anonymat. Ce jour, ils sont 3 de service. « Boko Haram n’a fait qu’empirer notre situation », lâche un autre enseignant, l’air désespéré, qui a aussi choisi de garder l’anonymat. Cet éducateur qui déplore le délabrement avancé de l’école, souligne que l’absence d’infrastructures adéquates les empêche d’avoir des journées complètes de classe. « Les pailles qu’on appelle ici «seko» ne sont plus en bon état et ne peuvent plus nous couvrir. Par ces temps de fortes chaleurs, il nous est impossible de tenir longtemps. Après la récréation, les élèves auront encore droit tout au plus à 2 heures de cours et quand le soleil sera au zénith, ils seront libérés, parce que nous ne disposons d’aucun abri contre les rayons du soleil », explique cet enseignant.

Avant les attaques de la secte terroriste Boko Haram, qui ont débuté dans la région en 2013, l’école publique de Moho avait un effectif d’environ 700 élèves. Mais les attaques répétées de ce groupe armé ont éloigné les apprenants des salles de classe. « Aujourd’hui, Moho ressemble plus à une bourgade fantôme. Le village se vide au fil du temps », déplore l’un des enseignants encore en service dans cette localité d’environ 16 000 habitants.

Moho n’est pas le seul village dans cette situation. Du fait des attaques répétées de la secte terroriste nigériane Boko Haram, une quarantaine d’écoles de la région ont été fermées ou ont perdu un bon nombre de leurs élèves qui se sont déplacés vers les zones plus sécurisées. « Nous avons fui le village. Mes parents m’ont envoyé continuer l’école à Maroua qui est plus calme », témoigne Idriss, un élève, qui ne souhaite plus retourner dans son ancienne école située dans le Mayo-Sava, malgré la forte présence militaire.

Comme cet élève, Oumarou A. fait partie des enseignants qui ont abandonné leur poste de travail à cause des incursions de Boko Haram. « J’étais jeune enseignant à ma troisième année de fonction à Kordo quand on entendait parler de ces incursions qui se faisaient généralement pour voler du bétail, les céréales et prendre des otages », se souvient cet enseignant. En 2022, « nous étions à la rivière Mayo-Sava quand nous avons été alertés par des cris. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons constaté que 3 personnes avaient été tuées et deux femmes enlevées. Durant toute la semaine, il n’y a pas eu d’école et peu à peu, les élèves ainsi que leurs parents ont quitté le village. Rien n’a plus été comme avant », regrette-t-il.

Une quarantaine d’écoles fermées…

Lorsqu’elles font une incursion dans un village, expliquent les acteurs de la société civile, ces bandes armées détruisent des infrastructures scolaires ou pillent des équipements, et dans certains cas enlèvent des enfants en âge scolaire. Selon Bana Barka, le point Focal Cameroun de l’Inter-Agency Network for Education in Emergencies (Inee), entre 2014 et 2022, 8 écoles ont été attaquées dans le Logone et Chari, 4 entre 2014 et 2015 dans la Mayo-Sava, et 7 entre 2015 et 2021 dans le Mayo-Tsanaga.

Bana Barka au cours d’une présentation sur les conséquences des attaques sur l’éducation, a estimé que près de 47 écoles ont été fermées en 2023 dans l’Extrême-Nord pour plusieurs raisons.  Entre autres : les incursions de Boko-Haram, l’insécurité croissante dans les villages environnants ou frontaliers du Nigeria, l’enlèvement des enseignants, l’occupation militaire des sites de l’école, les conflits intercommunautaires, les inondations.

Le département de Mayo-Sava, selon cet acteur de la société civile, est celui où les établissements scolaires sont à 50% fermés pour raisons de sécurité. Il est respectivement suivi par le Logone et Chari et le Mayo-Tsanaga. Ces 3 départements sont les plus affectés par les exactions de Boko-Haram, sur les 6 que compte cette région située le long de la frontière avec le Nigeria.

Cette partie du Cameroun subit des conflits violents des bandes armées, une insécurité qui affecte le nord-est du Nigéria, l’ouest du Tchad et le sud-est du Niger, situés autour du bassin du Lac Tchad.  Dans une publication en 2023, l’Onu relève que le conflit du bassin du Lac Tchad ainsi que les tensions intercommunautaires et les catastrophes naturelles, ont entraîné la fermeture d’écoles et forcé plus de 420.000 personnes à fuir, laissant des milliers d’enfants sans accès à l’éducation. Soit plus de 482.000 enfants en âge scolaire, dont plus de 366.000 déplacés internes à l’Extrême-Nord.

L’éducation en temps de crise

Ces multiples violences continuent d’impacter fortement le secteur éducatif dans un contexte déjà marqué par des difficultés structurelles dues au manque d’équipements et de personnel qualifié. Des problèmes qui peinent à trouver des solutions efficaces dans cette partie du bassin de Lac Tchad, tant les actions du gouvernement restent insuffisantes pour booster le secteur éducatif.

Toutes nos tentatives pour acquérir les données sur les investissements de l’Etat dans l’éducation depuis le début des attaques de Boko Haram, ainsi que la politique de développement du secteur éducatif dans cette région ont été vaines. Le délégué régional du ministère de l’Education de Base pour l’Extrême-Nord, Djibrilla Garga, n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet. Contacté également, Amadou Garga Ousmanou, le sous-directeur des affaires générales à la délégation régionale estime que, « ces données ne peuvent pas être fournies par un simple entretien ».

 

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Toutefois, peut-on lire dans le document du projet soumis par le ministère de l’éducation de base (Menedub), le Cameroun a sollicité en 2019, un  financement de plus de 7 millions de dollars américains, auprès du Partenariat Mondial pour l’Éducation, afin de répondre aux besoins immédiats d’éducation des populations les plus  affectées par les crises humanitaires, dont celles liées aux effets de la secte Boko Haram à l’Extrême-Nord.

Pour cette région, ce financement vient en complément à une réponse sous-régionale du bassin du Lac Tchad pour laquelle le Gouvernement du Cameroun et ses partenaires techniques et financiers contribuent déjà, indique le document. La même source mentionne qu’en 2014, le gouvernement a construit et équipé 208 salles de classe, 64 blocs de latrines et forages dans les écoles hôtes à travers le programme d’urgence scolaire décrété par le Chef de l’Etat.

Le nerf de la guerre

En effet, les experts sont unanimes sur le fait que l’État du Cameroun s’est appuyé sur ses partenaires étrangers pour le financement des actions de reconstruction des écoles dans l’Extrême-Nord depuis 2013. « Le partenariat mondial d’éducation a beaucoup aidé le Cameroun en termes de reconstruction des salles de classe. Je le sais pour avoir été membre de la rédaction de la requête en tant que représentant du Cefan au sein du local education group. Le Cameroun avait reçu en 2017, 30 milliards F Cfa. Ces financements ont continué. Le budget du Cameroun par contre n’a pas évolué de façon quantitative avant et pendant les conflits puisqu’il dépend en matière d’éducation de ses partenaires étrangers ; même pour le recrutement des enseignants du primaire en temps normal », explique Thobie Emanuel Mbassi Ondoa, secrétaire exécutif de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (FECASE).

A l’en croire, le Cameroun est intervenu dans le processus de résurrection de l’école dans l’Extrême-Nord, qu’en matière de pédagogie et curricula car, le programme scolaire appliqué aux élèves réfugiés internes ou externes, est celui prescrit par le gouvernement.

Dans le camp de Minawao, explique Halidou Demba, le Président du conseil d’administration de l’Ong Public Concern, tout est financé par le l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) jusqu’au paiement des enseignants. Le gouvernement camerounais n’interviendrait que dans l’accompagnement.

Pour mieux comprendre la situation, Thobie Emanuel Mbassi Ondoa relève que « le gouvernement Camerounais n’avait pas élaboré une politique concernant l’éducation en temps  de crise dans le Document de Stratégie du Secteur de l’Éducation et de la Formation 2013–2020. Il se disait que le Cameroun est un pays de paix et n’imaginait pas avoir à faire à des conflits internes ». Il souligne que « la seule disposition qui était prévue en situation d’urgence, concernait les réfugiés qui pouvaient venir des pays voisins qui souffrent assez régulièrement des conflits », précise-t-il.

Sur son site, GPE relève  que sur la période 2021-2027, 53,8 millions de dollars devraient être mis en œuvre par la Banque mondiale en faveur du Cameroun pour «améliorer l’environnement d’apprentissage et la qualité de l’éducation dans 300 écoles de communautés accueillant des réfugiés et 200 écoles de communautés accueillant des personnes déplacées internes».

Un processus de financement qui, pour le Dr Mahamat Alhadji, coordonnateur du département fondement de l’éducation à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Garoua, avec qui nous avons échangé, fait partie des initiatives qui s’inscrivent dans le partenariat entre le gouvernement et les ONG. « Le gouvernement à lui seul ne peut pas supporter toutes les charges engendrées par les conflits dans cette région », souligne-t-il.

 

Les actions humanitaires

Les organisations non gouvernementales (Ong) locales et internationales contribuent à l’essor de l’éducation dans ces localités. Entre 2013 et 2019, par exemple, l’Ong locale Public Concern, a construit sous financement de le HCR, un camp des réfugiés à Minawao avec au moins 50 salles de classes. Elle a aussi réhabilité certaines salles de classe hors camp, distribué du matériel scolaire à plus de 15 000 élèves dans le camp, recruté et recyclé des enseignants. « Le camp s’étend sur des centaines d’hectares. A l’intérieur, nous avons 6 écoles primaires, deux écoles maternelles, un lycée et un centre de formation professionnelle. Tout a été financé par le Hcr sauf le terrain qui a été offert par le Cameroun », soutient Halidou Demba.

 

L’armée camerounaise aide aussi à la construction de plusieurs autres écoles dans la région. Par endroit, certains militaires se font le devoir d’enfiler la blouse d’instituteur au plus fort de la crise, pour occuper les enfants restés dans les villages. Contacté par rapport à leur action sur le terrain, le colonel Samuel Dourai, commandant du Bir et chef de l’opération Alpha (mise en place par le Cameroun pour lutter contre Boko Haram), a promis de nous revenir. Jusqu’au moment où nous allions sous presse, nous n’avons pas eu de suite. Toutefois, dans un article, quotidien national, rapporte qu’en 2022, le génie militaire a construit 156 écoles dans 46 villages des départements les plus affectés de la région.

Déserts scolaires

Cependant, ces infrastructures ne réussissent pas à ramener les élèves dans les salles de classe. Selon l’inee Cameroun, 17 écoles étaient fonctionnelles dans les départements du Logone et Chari, Mayo Sava et Mayo Tsanaga en 2023. Les Ong présentes sur le terrain expliquent ces déserts scolaires entre autres, par les attaques physiques et idéologiques sur l’école perpétrées par Boko Haram. Pour y remédier, l’Ong Public Concern a procédé à une sensibilisation de masse. « Nous avons fait venir le grand Imam de Maroua et les zulema donc ceux qui connaissent la science, pour expliquer aux parents que, l’école occidentale est une bonne chose et que la religion musulmane n’est pas en déphasage avec l’instruction bien au contraire, elle l’encourage », explique cette organisation.

En outre, la pauvreté, les handicaps dus aux conflits et l’absence d’actes de naissances du fait de nombreux déplacements, sont aussi des freins au retour de l’école dans l’Extrême-Nord. Si dans le camp des réfugiés, le HCR délivre un document qui tient lieu d’acte de naissance, ce n’est pas le cas pour les déplacés internes. Pour la seule commune de Mokolo par exemple, le Cameroon Education For All Network (Cefan) affirme dans un de ses rapports, que « le total des besoins en actes de naissance s’élève à 22 857 sans prise en compte des naissances effectuées par les accoucheuses traditionnelles et qui sont estimées à 8 640 par an ».

Zone d’éducation prioritaire (Zep)

En plus la crise, la région de l’Extrême-Nord est classée parmi les zones d’éducation prioritaire (Zep) par le gouvernement ; en raison de son faible taux brut de scolarisation qui est de 7,5% pour les préscolaire et un indice de pauvreté de 74,3% selon   l’Institut national des statistiques (Ins). Les conflits n’ont fait qu’empirer la situation en plus des pesanteurs socioculturelles.

Mais il y a de l’espoir selon les experts, il suffit d’une volonté politique. « Il y a un plan de reconstruction de l’Extrême-Nord lancé par le chef de l’État. J’espère que cela nous permettra de résoudre le problème d’accès aux documents d’État civil et le recrutement des enseignants qui vont rester sur place », suggère Halidou Demba. Pour le syndicaliste Mbassi, l’État du Cameroun devrait davantage investir dans les infrastructures de base. « Sur le plan éducatif, l’Extrême-Nord occupe la dernière place à cause d’un manque d’infrastructures de base. Il y en a qui n’ont d’école que de nom. Ce sont juste des pailles qui appuient des élèves », s’indigne-t-il. Dans une analyse sur la question, le chercheur Robinson Herrick Mouafo Djontu, propose aux autorités camerounaises, de trouver des solutions adaptées aux contextes socioculturels de la région.

Adeline TCHOUAKAK et Loris-Clet Adiang

Ce reportage est réalisé dans le cadre du projet Open Data around Lake Chad (ODALAC), organisé par ADISI-Cameroun avec l’appui financier du Centre for Journalism Innovation and Development (CJID) et Open Society Foundations (OSF).

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