« Le Sentier des Affligés affranchis, Village des humanitaires », deuxième roman de Dino Mikozil, a été présenté à la presse lors de la cérémonie dédicace du mardi 15 octobre 2024 dans la Médiathèque de l’Institut Français du Cameroun, antenne de Douala.
« Dans le village, on parlait d’une insécurité réputée. Les braquages, les vols, les viols et même les tueries étaient récurrents. Toutes les victimes de guerre n’avaient pas intégré le camp des réfugiés. Plusieurs préféraient se débrouiller dans les quartiers en tant que moto taximen pour les hommes honnêtes, puis domestiques ou blanchisseuses pour les femmes sérieuses. Par contre, les autres commettaient toutes sortes d’exactions et de déviances. Les jeunes filles en particulier nourrissaient des familles entières à la sueur de leurs cuisses. Dieu seul sait si celles-ci prenaient au moins le soin d’exiger l’usage de préservatifs à leurs « clients ». Quel triste sort!
« …Je ne veux pas parler de ça s’il vous plaît. Figurez-vous que j’ai passé au moins quatre jours et quatre nuits avec eux et pour eux ! Je n’aurais jamais imaginé que des gens que je prenais pour des frères m’auraient fait ça. Pourtant, grand-mère me dit souvent qu’on ne fait pas cette chose avec les parentés ! Mais eux, ils n’ont plus le moindre scrupule à l’égard des liens de sang, ni à l’égard de Dieu, encore moins à l’égard de la loi. S’il vous plaît, faites quelque chose mes sœurs ! Agissez ! Dites aux militaires et aux gendarmes d’aller massacrer ces imbéciles, sinon, ils continueront à faire du mal à mes sœurs au village. Bon Dieu si je pouvais avoir une arme ! Si seulement quelqu’un pouvait me donner une grosse arme, je partirais faire ma propre vengeance ! »
Ces bouts de texte extrait du roman Le Sentier des Affligés affranchis, Village des humanitaires, donne un aperçu choquant, réel, et bien descriptif des ravages que produit la guerre, qu’elle soit civile ou militaire. L’auteur s’intéresse aux traumatismes psychiques des blessés de guerre, notamment les réfugiés. Derrière la voix de la jeune camerounaise originaire de l’Est Cameroun, Paule Milène Zoé Onguene, personnage principal, l’auteur porte dans sa chair et son être, les souffrances des femmes, filles et enfants réfugiés, abandonnés à eux-mêmes, buvant le calice jusqu’à la lie des damnés agents du mal.
On pourrait évoluer dans la lecture de ce roman pourvu de 195 pages, mais une grosse virgule bien placée s’impose, pour rendre à César ce qui lui appartient. Le Sentier des Affligés affranchis, Village des humanitaires est l’œuvre de Dino MIKOZIL, de son vrai nom Romaric Madom Mianko. Dino Mikozil est un nom de baptême à lui attribué par ses camarades de formation. Dino, parce qu’ils ont toujours trouvé en lui un dinosaure et Mikozil qui a une connotation médicamenteuse car l’écrivain veut que sa plume ait un effet thérapeutique sur les lecteurs.
Né le 12 mars 1987 à Ebometom dans l’arrondissement de Messamena région de l’Est, Dino MIKOZIL est le 7ème d’une fratrie de neuf enfants. Il a toujours pu compter sur ses proches, surtout quand la faucheuse lui a arraché son frère ainé et son père. Père de quatre enfants, ce sous-officier de gendarmerie formé à Koutaba est en service à la Légion du Littoral, Brigade de Recherches Douala 1-Bonanjo, 3ème adjoint au commandant de brigade. Dino Mikozil est un mordu d’arts, de lecture et de danse.
Il est ainsi une Lapalisse de dire que Dino MIKOZIL jouit des aptitudes tous azimuts pour parler des afflictions des victimes de guerre, telles les névroses et de comment les soigner. Lui qui a servi trois ans à l’Extrême-Nord, à partir de 2014, c’est-à-dire au fort des attaques de la nébuleuse Boko Haram. Dino MIKOZIL a également servi comme Casque Bleu à Bangui, en Centrafrique, entre autres. Hormis tout ceci, il est important de noter que les lignes du roman, préfacé par le Chef de Division de la Sécurité Militaire au Ministère de la Défense Emile Joël Mbamkoui, vont bien au-delà de l’univers de la guerre.
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Dans un style narratif on ne peut plus accessible à toutes les classes sociales et générations, les lignes du livre traitent ci et là de plusieurs faits sociaux : les procès en sorcellerie et leurs ravages dévastateurs ; l’insécurité dans les rues de Yaoundé ; les tourments du chômage ; le couloir sinueux et infernal des fois, que traversent des jeunes diplômés de nos universités, une situation souvent conséquente d’une mauvaise orientation scolaire et d’un système éducatif en déphasage avec les réalités du marché de l’emploi. Cela pourrait faire rire certains, mais l’auteur assume, quand il martèle que le travail manuel devrait être bien plus valorisé dans les écoles, quitte à devenir une matière obligatoire à fort coefficient, dans les examens nationaux. De cette manière, dit-il et je cite : « Tout le monde serait prêt aux métiers pratiques plutôt qu’à se bourrer les têtes avec des théories à peine rentables. » Toujours au rang des sujets évoqués, les actes de bravoures des forces de maintien de l’ordre, l’arrivisme de certains membres de la famille qui, jadis éloignés, deviennent soudainement proches et envahissants dans votre vie, quand vous connaissez une élévation sociale.
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Cet ouvrage parle à tout le monde. Le compter parmi les livres au programme scolaire serait du pain bénie pour aiguiser l’esprit narratif et simple chez les élèves. Les féministes se l’arracheraient, aller lire pourquoi. Vous l’aurez compris, Le Sentier des Affligés affranchis vous réserve un cocktail de surprises qu’il convient de déguster personnellement. Spoiler pareil travail serait un crime.
Une œuvre étant appelée à susciter également des questionnements, une interrogation nous vient. En possédant le personnage principal de Paule, on perçoit un parti-pris de l’auteur, voire le développement d’un argumentaire tendant à soutenir que l’Onu et ses démembrements font une gestion ou une régulation irréprochable des conflits. Pourtant, ces dernières années, des populations africaines et systèmes politiques dénoncent l’inefficacité, le laxisme et le manque de neutralité de l’Onu dans la résolution des conflits. Comment comprendre la position de l’auteur sur la question ? En attendant l’ouverture des échanges, notons pour sortir que l’ouvrage de 13 chapitres est le deuxième de Dino MIKOZIL. Une Famille sourde-muette est le tout premier né, édité en 2019 aux éditions Cresado.
Le Sentier des Affligés affranchis est un roman paru aux éditions Proximité.
Valgadine TONGA