A la faveur de la sixième édition du festival Musina qui s’est déroulée du 3 au 5 mars 2023 à Jébalè, les festivaliers venus des quatre coins du monde ont été subjugués par les valeurs humaines de ce village de Douala 4.
Samedi 4 mars 2023. Il est 14h quand la pirogue ayant à bord des membres du Réseau des journalistes culturels du Cameroun (Rj2c) accoste sur les berges de Jébalè. Derrière eux, deux pirogues se succèdent, avec des personnes venues toutes assister au festival Musina. Elles sont en retard aux activités de cette sixième édition. Le départ au débarcadère de Bonassama a accusé un gros retard, dû à la disposition des passagers et des biens à consommer durant les deux jours sur l’île. Après la traversée de 20 min, il faut prendre le train des activités en marche.
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Guidés par la responsable des relations publiques du festival, Christie Balema, les journalistes du Rj2c se jettent à la découverte de Jébalè 1 et 2. «Marchez pieds nus pour être connecté avec la terre, avec la nature. Et sentez-vous à l’aise parce qu’ici vous êtes chez vous. Notre particularité c’est l’accueil», conseille Christie Balema. Elle ne croit pas si bien dire. En arpentant les pistes des champs, chaque habitant, jeunes comme vieux, nous adresse en premier le bonjour, sourire en coin. Personne ne s’intéresse à votre titre ou votre lieu de résidence. Notre guide nous conduit chez Tètè Tiki. Il est reconnu comme le père de la pharmacopée dans le village. Aucune maladie n’échappe à son savoir. C’est pour davantage faire profiter sa médecine au plus grand nombre, que la sixième édition du festival Musina lui a confié la tâche d’exposer sur la pharmacopée africaine dans le traitement du paludisme, des hémorroïdes et de la hernie.
Nous avons loupé l’atelier. Tètè se promet de nous faire un résumé après avoir fini son plat de ndolè accompagné de bâton de manioc. Pendant que l’équipe se donne la liberté de cueillir les belles goyaves derrière la maison de notre hôte, son épouse nous surprend avec un plat de nourriture servi à ras bord. Nous ne nous faisons pas prier pour déguster. Nous la rejoignons ensuite dans sa cuisine où elle attache des mets de pistaches. Il est temps de retrouver Tètè Tiki. Il a fini son repas. «J’ai démontré à tous ceux qui étaient là, comment on soigne la hernie sans passer par le bloc opératoire. J’ai présenté les solutions naturelles pour venir à bout du paludisme, des hémorroïdes et de la hernie. Le paludisme est devenu une arme qui tue plus que le sida. Il y a une solution naturelle : prendre le bon magnanga (huile de palmiste), une cuillère à soupe matin, midi, soir pendant trois jours, pour soigner le palu.»
Musina mobilise le monde
Sur le site du festival Musina, les fumées des poissons directement péchés dans le fleuve et les brochettes de viande embaument l’air. Les mets de pistaches et les boissons occupent les étals. Les prix grimpent au rythme de l’affluence des festivaliers. Ils sont venus de partout. Marie-Noëlle est une ressortissante de l’Ouest Cameroun, résidente à Douala. Elle est accompagnée de trois amis (Allemands et Chinois), venus au Cameroun pour le Musina. «C’est ma première fois à ce festival. Avoir plusieurs artistes rassemblés sur une scène, c’est formidable. Je pourrai demander aux autres artistes de faire pareil dans leurs villages, pour partager cette joie partout. C’est vraiment un exemple à imiter», indique Marie-Noëlle. Depuis l’Europe où elle vit, Nathalie a eu vent du festival à travers les réseaux sociaux. Pour elle, le billet d’avion en valait la peine. «Je suis de Bamenda, mais Camerounaise. Quand j’ai entendu parler du festival Musina, je n’ai pas hésité à faire le voyage. Ça change des concerts dans les grandes villes du pays. On est au village, les gens sont chaleureux. Dans ce village, personne ne cherche à savoir d’où tu viens, si tu parles la langue ou pas. Tout le monde est bien accueilli, l’ambiance est superbe».
C’est dans cette ambiance que la scène du spectacle s’ouvre, aux environs de 23h. Ndongo Show, Janea, Franko…émoustillent la foule. Sergeo Polo aura de la peine à quitter un public qui reprend en chœur ses chansons. Toto Guillaume, le capitaine tant attendu, gagne les planches. Il commence par un hommage à Ekambi Brillant (fils de Jébalè) à travers la reprise de deux de ses titres. Nguila Nyama enchaîne avec ses tubes. Les festivaliers sont en extase. Le chef du village, Boulou France, et sa suite, se trémoussent également sur l’espace de danse. On dirait un bal masqué où tout le monde est accepté. A Jébalè, ni la langue ni le faciès ne sont un crime, nous confie Sergeo Polo à la fin de son show : «C’était ma première fois à Jébalè et je suis agréablement surpris par l’hospitalité des habitants. Quand j’étais sur scène, j’ai vu tout le monde chanter en communion, fredonner ‘’Solantine’’, ‘‘Pardonne-moi’’… Ça m’a fait chaud au cœur. C’est cette particularité de ce peuple que j’ai envie aujourd’hui de mettre en exergue et d’espérer le même accueil quand j’irai dans d’autres villages du Cameroun. Je remercie beaucoup mon grand frère Toto Guillaume qui m’a invité sur cette scène, dans ce village chaleureux et hospitalier.»
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L’hospitalité de Jébalè ne se limite pas qu’au peuple. La nature est toute aussi gratifiante. De nuit comme de jour, les manguiers font pleuvoir leurs fruits mûrs sur les festivaliers. Ils se sucent immédiatement, sans minauderie. Il en tombe tellement que chacun cherche un emballage où ranger d’autres mangues, à rapporter chez soi.
La 6ème édition du festival Musina s’est célébrée autour du thème «na oa é na mba», c’est-à-dire ton sort est mien, nos sorts sont liés. Lutte traditionnelle, course de pirogue, concours de natation, conférence-débat du 3 mars, sont entre autres articulations ayant marqué le festival.
Ce festival est initié par des jeunes. Le promoteur est d’ailleurs le rappeur Killamel (de son vrai nom Armel Ndoumbe). «Avec ce festival, reconnaît le chef du village Boulou France, « les jeunes apportent une seconde vie au village. Il permet aussi de vendre l’image de notre village à l’international. Ça fait 6 ans que le festival existe. Nous sommes contents de cette initiative de la jeunesse». Cependant, pour le rendez-vous de 2024, le promoteur devra absolument soigner l’organisation, qui pour l’instant fait tâche.
Valgadine TONGA